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La République En Marche : Christophe Castaner face à la part d’illusion du mouvement présidentiel
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Election à main levée

La République en Marche désignera ce samedi son délégué général ainsi que son bureau exécutif, lors d'un congrès à Lyon.

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

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Atlantico : Ce samedi 18 novembre, le congrès de LREM aura lieu à Lyon, et le parti désignera son délégué général ainsi que son bureau exécutif. En revenant sur les électeurs, adhérents ou miltants En Marche​, en quoi leur choix électoral a-t-il pu se porter sur Emmanuel Macron du fait de son affichage d'une "différence", sans que cette "différence" recherchée par l'électorat soit homogène ? Faut il ainsi voir, au moins en partie, une forme d'illusion sociologique dans LREM ? 

Jean-Philippe Moinet : Emmanuel Macron a répondu avec le succès que l'on sait, au printemps dernier, à une demande qui s'est avérée importante et profonde: une demande de renouvellement de l'offre politique, qu'il s'agisse du profil du personnel politique, de sa démarche ou de ses propositions de réformes. Cette demande est apparue beaucoup plus vaste que ce que les acteurs (et observateurs) politiques traditionnels avaient pu appréhender. Les radicalités, de gauche et de droite, surfaient sur une attente, qui était également présente, non seulement aux marges mais dans la vaste zone "centrale" de la vie politique, ce qui a sapé les bases (électorales) des partis de gouvernements précédents: cette sape a été particulièrement violente au PS, qui a été mis à terre; il a produit des effets puissants aussi, même s'ils ont été limités, au parti LR, qui était encore il y a un an le mouvement qui devait remporter la présidentielle et les législatives.

L'attrait pour "la différence" Macron était donc commune à des zones électorales et idéologiques, originellement bien différentes. Mais comme le phénomène de Gaulle en 1958, les convergences, quand elles sont fortes et rapides, bousculent les lignes de clivages du passé, remettent en cause les grilles de lectures habituelles et il faut un certain temps, pour les acteurs (et observateurs) installés dans des habitudes, pour comprendre ce qu'il se passe et intégrer le nouveau logiciel. Le mouvement LREM, lui, est à la fois à l'origine, le reflet et le résultat d'une recomposition en cours, qui vient d'abord des attentes de la société française et qu'Emmanuel Macron a, il y a un an et demi, d'abord pressenti, puis organisé, enfin incarné à l'échelle nationale. Je pense que cette "différence" là, même si elle a pu bien sûr masquer des ambiguïtés de programme ou des hésitations de positionnements, est tellement puissante dans les attentes de l'opinion qu'elle ne s'arrêtera pas de sitôt. Nous sommes même au début d'un nouveau cycle. C'est d'ailleurs ce qui déstabilise toutes les oppositions au macronisme, PS et LR en tête.  

​En quoi cette imprécision qui a pu être reprochée à Emmanuel Macron peine-t-elle encore à être totalement levée ? En quoi cette imprécision, ressemblant à une volonté de ne pas afficher un marquage politique fort, peut-elle encore perdurer aujourdhui ? Une telle situation peut-elle participer à cette forme d'illusion ? 

Je pense que le "en même temps" d'Emmanuel Macron n'est pas une imprécision, elle peut être critiquée comme une composition permanente, comme une recherche d'équilibre et une ambivalence mais les "transformations" engagées ne sont pas floues, elle cherche à changer la donne (par exemple en matière de droit du travail, d'éducation, ou de fiscalité, avec la réforme de l'ISF) tout en trouvant des compensations pour ne pas apparaître comme brutalisant des situations ou des catégories. C'est ce qui l'a différencié d'ailleurs, dans les affichages et dans les mesures, de François Fillon, qui avait fait campagne, notamment en matière économique et sociale, sur la "radicalité". Cette recherche d'équilibre, entre "et de droite et de gauche" dans l'inspiration des décisions, peut-elle perdurer ? Oui. C'est même une marque de fabrique qu'il devra, pour des raisons d'efficacité et de différenciation politique, non seulement confirmer mais amplifier, dans tous les domaines de la vie publique où les transformations doivent avoir lieu. Pour les prochains chantiers, comme la formation professionnelle, le logement, la politique de la Ville, les régimes de retraites ou de l'assurance chômage, l'audace macronienne qui consiste à s'attaquer à du lourd devra s'accompagner d'une combinaisons de mesures qui permettra de faire accepter les changements. En clair, depuis 30 ans, la gauche avec Mitterrand et Jospin, puis la droite avec Chirac et Sarkozy, n'ont pas réussi à réaliser des réformes structurelles dont le pays avait besoin. La situation d'une France bloquée en est devenue tellement problématique que le couple Macron-Philippe a été portée au sommet du pouvoir exécutif pour s'atteler, précisément, à de grosses réformes. A l'issue de l'été, je l'avais d'ailleurs écrit à ce moment-là, il n'y avait pas beaucoup de choix pour le nouveau Président et son Premier ministre: il ne fallait pas hésiter à accélérer le rythme des transformations, meilleure réponse à faire aux critiques, toujours promptes en France vis-à-vis des pouvoirs en place. Depuis la rentrée de septembre, finis les cafouillages d'été sur des bouts de ficelles budgétaires: quasiment chaque semaine, un plan de réforme est enclenchée. Les critiques n'ont pas vraiment le temps de se développer qu'un nouveau front d'actions "transformatives" est ouvert. C'est un feu roulant qui, au total, ne fait pas un "grand soir" mais de petites révolutions qui, cumulées, donne l'impression que les lignes bougent et que le pays va peut-être utilement se transformer. L'heure du bilan n'est pas venue, il ne viendra que dans deux ans, notamment à l'occasion des élections européennes. Raison de plus pour ne pas hésiter dans l'ampleur des chantiers de réformes à investir.

Faut il comprendre cette situation comme une stratégie assumée de la part de la LREM ? Quels en sont les risques, notamment sur la construction d'une base électorale forte ? ​

Le mouvement LREM est composé de profils très différents, qui créent une sorte de mosaïque qui peut faire un sol solide pour une construction durable. Mais, et en cela aussi la donne Macron a des similitudes avec la nouvelle donne de Gaulle du début de la Vème République, la démarche et le volontarisme d'un homme valent autant, dans sa percée, que l'état de décomposition du système antérieur et autant que l'aspiration d'un mouvement venant de la base (qui s'appelait mouvement gaulliste UNR et qui s'appelle aujourd'hui mouvement macronien LREM). L'ambiguïté que vous évoquez, comme élément de critique effectivement entendu, serait un vrai problème actuel si les oppositions, dans leur clarté, impressionnaient de crédibilité et provoquaient des mouvements puissants. Or que voyons-nous "en face" de LREM ? On voit une déconfiture quasi absolue au PS, une difficulté de rassemblement et même des divisions flagrantes à LR, de grandes déconvenues chez Mélenchon (qui annonçait un million de citoyens déferlant sur les Champs-Elysées en septembre) et une grave crise de famille au FN de Marine Le Pen. Avec des oppositions aussi affaiblies, fragmentées, en crise de leadership (sauf à LFI), la construction d'une base électorale forte et durable à LREM est loin d'être impossible. 

La question est d'ailleurs moins celle-là que la difficulté, pour ce mouvement, à se faire un espace, pourtant potentiellement important, sur le registre de l'animation du débats d'idées et de la délibération autour des futures mesures à prendre. A côté du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, il manque un troisième pilier à la maison LREM, celui du mouvement des citoyens, qui apparaît en veilleuse depuis les élections. Or, la vitalité du nouveau pouvoir, sa capacité à entendre la société, sa faculté à asseoir et élargir sa base électorale future dépendra aussi du dynamisme de ce mouvement qui, à partir de ses 300 000 adhérents, peut devenir aussi une force de propositions et débats. Non pas utile seulement pour le pouvoir présidentiel mais pour la société elle-même, qui était jusqu'à récemment en rupture avec ses politiques.

La force potentielle de LREM doit donc être utilisée, si les proches d'Emmanuel Macron ont l'intelligence d'en prendre la mesure, pour faire mouvement avec ce mouvement: dans les territoires, ces adhérents ne doivent pas être réduits à suivre des directives ou éléments de langage venant du haut, même si des relais de pédagogies politiques sont et seront utiles; ces adhérents doivent être aussi, et peut-être surtout, mis en position de conquérir des territoires (géographiques, thématiques ou mentaux)mis en position de débat, sans restriction, sur les mesures à imaginer pour l'avenir. Cela peut produire quelques clivages, sur des dossiers de réformes à venir, ils devront être arbitrés dans un deuxième temps ce qui ne fait jamais que des heureux. Mais cette ouverture semble indispensable aujourd'hui, la période étant favorable à des initiatives audacieuses, y compris sur la forme que peuvent prendre les débats citoyens. Et ces initiatives, si elles sont prises par le mouvement LREM, seraient une belle manière d'occuper le terrain et de limiter encore les volontés de rebonds des partis d'opposition. Ce mouvement, pour quelques temps encore, a la capacité de devenir non pas un simple mouvement de suivistes mais un mouvement original d'avant-gardistes. C'est un choix stratégique, qui doit sans doute être rapidement fait et qui sera, sans doute, l'un des points importants de réflexion, en coulisses du Congrès LREM de Lyon ce week end.

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