La planification écologique : un oxymore ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des éoliennes à proximité de Cuxac Cabardes, dans le sud-ouest de la France. 16 avril 2022
Des éoliennes à proximité de Cuxac Cabardes, dans le sud-ouest de la France. 16 avril 2022
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Contradiction

Dans la mesure où cet oxymore est véhiculé désormais par un nombre de plus en plus important de commentateurs, il est sans doute plus que temps de se pencher sur les dangers de cet engouement.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Lorsque Jean-Luc Mélenchon a lancé le terme « planification écologique » en 2008 il souhaitait montrer l’importance de l’écologie dans son programme avec la création d’un Conseil à la planification écologique, une grande concertation nationale débouchant sur une loi (forcément un Grande Loi) de la planification écologique et un contrôle ultérieur de sa mise en œuvre. Le lyrisme des propos arrive souvent à transformer des verbalisations en concepts et c’est ainsi que depuis 14 ans, ayant « avalé » les mots on a fini par considérer l’idée sans contester la contradiction du mélange de la planification et de l’écologie, un oxymore, un assemblage de mots contradictoires. 

La planification, le plan, c’est la définition d’un objectif à atteindre sur un certain nombre d’années et la mise en place de moyens humains et financiers pour l’atteindre. Pour une entreprise le processus est simple puisque le responsable de la décision finale est connu et la vérification du résultat sans ambigüité. Pour un pays dictatorial on sait qui fixe l’objectif et c’est le même qui annoncera le succès du programme. Dans les démocraties la planification peut fonctionner sans difficultés sur des objectifs simples comme « marcher sur la lune «  ou « trouver un vaccin contre le covid » mais elle peut être rapidement confondue avec de l’Etatisme et donc, soit rejetée par les acteurs économiques , soit inefficace,  ce qui a conduit, après les plans de reconstruction nationaux de l’Après-Guerre à la disparition de l’institution. Le Commissariat au Plan a fait sa réapparition balbutiante ces dernières années en France sans avoir résolu les problèmes de fond : qui fixe l’objectif et qui mesure le résultat. Ainsi tous les dispositifs de « Plans » étatiques se heurtent à la réalité de manière brutale, le fameux PPE (Plan Pluriannuel de l’Electricité) qui conduit le pays à la pénurie et aux dérives de prix incontrôlables ou le Plan de Relance source d’effets d’aubaine évidents  et aux résultats non mesurables et donc incertains . Dans notre pays , à coté d’un secteur public pléthorique il existe un secteur privé toujours prêt à œuvrer pour le bien commun et donc mobilisable sans pour autant accepter la soumission . Si le mécanisme de planification est l’institution d’un dialogue et d’une communion d’objectifs et de moyens, il peut réussir, si c’est une manœuvre politique et administrative pour satisfaire des ambitions et nourrir une bureaucratie , le mot planification est mal choisi et il faut y rajouter le qualificatif « soviétique « . En régime démocratique la planification ne peut se concevoir qu’avec l’assentiment et la participation de la grande majorité de la société pour avoir une chance de réussir, c’est donc le résultat quasi unanime d’un travail collectif des forces vives de la Nation qui s’expriment d’autant plus facilement que le péril est accepté d’où la réussite plus facile en temps de guerre où l’objectif commun est plus clair qu’en temps de paix ! 

L’écologie c’est la science qui étudie les relations des êtres vivants dans leur milieu et l’écologisme se propose de protéger l’environnement et les équilibres naturels . Les humains agressent pour leur développement les milieux naturels, les écologistes tentent de limiter les effets  de l’utilisation de la nature. La poussée démographique et la demande de satisfaire les besoins et les désirs des populations rentrent en contradiction avec l’idée de la « règle verte » qui voudrait que l’on ne prélève pas davantage sur la nature que ce que l’on peut reconstituer. La déstabilisation économique et politique de beaucoup de pays vient de la vitesse du peuplement et d’une relative lenteur du développement des infrastructures. La tentation de bâtir des  régimes autoritaires est donc évidente, ce qui a conduit à un recul des démocraties un peu partout dans le monde. Le rêve d’un Gouvernement de la Planète n’a pas de réalité , pas plus que celui de réaliser un paradis écologique dans un seul pays pour faire de la vertu une contagion . Les solutions intermédiaires pour lutter contre telle ou telle pollution ou agression contre la nature sont aussi inefficaces car elles dépensent et épuisent  des moyens colossaux sur des développements qui ont , eux aussi, leurs inconvénients majeurs en ce qui concerne l’avenir des milieux naturels. Ainsi l’écologisme qui voudrait préserver la situation existante vient -il heurter l’existence des humains sur la planète qui visent, eux à se multiplier et à assurer pour la survie de l’espèce l’utilisation  des ressources mises à leur disposition. La « règle verte » est planétaire et suppose un gouvernement autoritaire planétaire autoritaire , ce que bon nombre de romanciers ont d’ailleurs imaginé. Alors il pourrait se concevoir une maitrise des naissances , des fins de vie programmées, d’une maitrise des désirs …le monde décrit par Orwell et beaucoup d’autres après lui . La protection de l’environnement et des milieux naturels ne peut donc être planifiée pas plus dans un pays que pour le monde entier, la planification écologique est donc bien un oxymore, ce qui n’empêchera pas les uns et les autres de s’en gargariser . 

Ce constat est nécessaire mais ne doit pas conduire à ne rien faire, bien au contraire, mais à se rendre compte de la nécessité de revenir à la réalité et à ne plus se limiter aux mots …et aux oxymores . 

Il est clair que l’augmentation des activités humaines sur terre dues à la fois à la démographie et aux innovations scientifiques, techniques et industrielles conduit à des modifications de plus en plus sensibles de notre environnement. La nature, sur terre ou sur mer, est un trésor que nous voulons à la fois préserver et utiliser, nous sommes donc dans une perpétuelle contradiction comme nos jeunes « accros «  à leurs portables et leurs « applis » fustigeant une société « dans les griffes du marché ». Nous sommes donc tous des « écologistes » vivant en « prédateurs » conscients ou inconscients. Comme expliqué nous ne sommes pas en mesure de « planifier l’écologie », mais nous devons et nous pouvons modifier notre trajectoire en luttant contre le gaspillage et en investissant dans le recyclage. Mais pour cela il faut tenir compte de nos connaissances actuelles, des solutions éprouvées, des progrès à réaliser et ne pas engager nos ressources financières et humaines dans des impasses évidentes défendues par des idéologues éloignés des réalités, c’est-à-dire oubliant les données physiques, les couts et l’acceptabilité sociale. 

La lutte contre la pollution urbaine est confondue avec la lutte pour le climat , c’est-à-dire contre les émissions de gaz carbonique ou CO2. C’est une erreur ! Le CO2 n’est pas un polluant. On peut lutter contre la pollution urbaine avec la généralisation de la voiture électrique ou à hydrogène, mais rien ne dit que l’intégralité de leur fabrication, de leur utilisation et de leur démantèlement soit meilleure pour le CO2 que les véhicules à moteur thermique. 

La lutte contre les plastiques à usage unique a été promue par l’émotion mais aucune preuve de l’efficacité des mesures acceptées n’a été fournie . On est même à parler d’investir massivement dans le recyclage de produits par ailleurs interdits à la fabrication et à l’usage ! 

La promotion des énergies solaire et éolienne s’accompagne de propos sur le stockage électrique « certes difficile aujourd’hui mais ce sera mieux demain « . On connait le débat, il faut se dégager des fossiles émetteurs de CO2 , on va utiliser comme complément  provisoire à l’intermittence le gaz ( Russe pour l’Allemagne aujourd’hui !) le temps de faire des progrès dans le stockage. Malheureusement il y a une notion oubliée , c’est que les électrons en mouvement ne se stockent pas et il faut donc changer l’électricité à stocker dans autre chose qui , en retour, plus tard refera de l’électricité. Deuxième notion , bassement terrestre, il y a deux changements d’état et donc étude des rendements. Et quel que soit la transformation souhaitée, l’eau en réservoir, l’hydrogène après électrolyse ou le méthane il faut produire quatre fois ce que l’on peut restituer ! Plus grave c’est le rendement théorique qui est mauvais , comme celui des installations éolienne ou solaire qui ont besoin de vent ou de soleil. Ces énergies peuvent être des appoints dans un mix énergétique, mais pour cette raison fondamentale de rendement on ne peut pas en faire le centre d’une politique énergétique …sur la planète terre. 

Ce sont des exemples sur des dossiers « à la mode « , mais le lancement tonitruant de programmes d’avenir sur telle ou telle solution , la fin des plastiques, la civilisation hydrogène, les petits réacteurs nucléaires, suivi de guerres picrocholines pour engranger les aubaines ainsi répandues et « gratuites «  puisque ces bontés sont originaires de l’Etat devraient s’arrêter avec quelques propos de bon sens . 

Les problèmes posés par nos contradictions d’humains ne seront pas résolus par un démiurge ou un « sachant ». il faut laisser une chance à toutes les techniques et les solutions parce que personne ne peut savoir les développements possibles. On a condamné le charbon, mais il continue à être utilisé et les travaux pour diminuer les émissions lors de sa combustion ont quasiment disparu…les équipes françaises ont du partir …en Suisse ! On a condamné le véhicule thermique, il continue à être plébiscité dans le monde entier tandis que les travaux sur la captation du CO2 se poursuivent avec beaucoup de succès et d’espoirs. On a condamné le nucléaire en particulier la filière à neutrons rapides (arrêts Superphénix et Astrid)  mais dans quatre pays on continue à travailler …avec nos données ! On fait du « plastic bashing «  en France mais on considère que la consommation mondiale va doubler en cinq ans ! On annonce des parcs d’éoliennes en mer mais on oublie le désastre de la pêche côtière . La poursuite de nos activités sur terre a besoin non de contraintes, punitions, règlementations, incitations …mais de liberté , d’initiatives , d’innovations , on n’a pas besoin d’interdits , de tabous, de contrôles ni de bureaucratie, on a besoin de respirer, de vivre, d’espérer.  On tâtonne et on annonce la décarbonatation de secteurs entiers à une date déterminée en ignorant les effets pervers et les progrès à venir de la science , de la technique et de l’industrie. On est bien incapables de planifier , mais on n’arrête pas d’en parler, comme si les mots pouvaient effacer la peur, comme si l’utilisation immodérée d’oxymores permettait de conjurer le mal, celui de vouloir à la fois consommer, utiliser et préserver.

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