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La paresse belge coupable des attentats du 22 mars?
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On se demande...

Si l’on peut reprocher aux Français une véritable arrogance, la paresse est le principal défaut des Belges, qui adorent s’imaginer que leur manque d’ambition et leur satisfaction facile les mettent à l’abri de toute critique. Le 22 mars, leur paresse naturelle et leur suffisance leur ont joué un bien vilain tour. On en trouvera ci-dessous le récit.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Comment la paresse de la justice belge a laissé filer un kamikaze

On lira avec intérêt ce récit donné par la presse belge concernant l’un des kamikazes de l’aéroport de Zaventem:

Khalid El Bakraoui, le kamikaze du métro de Bruxelles, avait été condamné à 5 ans de prison pour vol avec violence en 2011. Il avait bénéficié d’une libération conditionnelle en décembre 2013. Cette libération conditionnelle avait été révoquée par défaut par le Tribunal d’Application des Peines (TAP) de Mons le 18 février dernier, a indiqué le procureur du Roi de Mons, confirmant une information de plusieurs médias. El Bakraoui était aux abonnés absents depuis octobre 2015.

Khalid El Bakraoui, le kamikaze du métro de Bruxelles, avait disparu des radars de la justice à la fin octobre 2015, alors qu’il était en liberté conditionnelle à la suite d’une condamnation en 2011 pour des faits de vols avec violences commis en 2009. Le procureur du Roi de Mons, Christian Henry, a précisé que les faits de vol avaient été commis à plusieurs et avec des armes, notamment des Kalachnikov.

El Bakraoui avait été libéré sous conditions le 19 décembre 2013 après avoir pu bénéficier, depuis le mois de mars 2013, d’une détention sous surveillance électronique. Le procureur du Roi de Mons a souligné que l’individu avait ensuite été contrôlé par deux policiers le 13 mai 2015 après avoir commis une infraction de roulage dans un sens interdit à Bruxelles alors qu’il conduisait une voiture de marque Skoda. Après vérifications, il s’est révélé qu’il ne respectait pas une des huit conditions de sa liberté, à savoir de ne pas entrer en contact avec un détenu, un ex-détenu ou un complice. Or, le passager de la voiture était un ex-détenu qui avait été condamné pour vol avec violence deux ans auparavant.

Le dossier, géré par le Tribunal d’Application des Peines de Mons, avait été transmis au parquet de Mons qui avait alors demandé la révocation de sa liberté conditionnelle pour non-respect de certaines conditions de liberté. Selon le procureur du Roi de Mons, le Tribunal a toutefois estimé que la seule incartade de l’individu avait été de ne pas respecter une des conditions de sa liberté et que, par ailleurs, sa réinsertion professionnelle se passait correctement. L’intéressé était en effet fidèle aux rendez-vous de l’assistant de justice et revendiquait, selon certains médias, un travail le soir dans l’Horeca.

El Bakraoui n’a toutefois plus donné de nouvelles à son assistant de justice à partir du 22 octobre 2015. Une nouvelle demande de révocation de sa liberté conditionnelle a alors été réintroduite par le parquet de Mons le 22 décembre dernier. L’individu devait répondre à la convocation du Tribunal d’Application des Peines de Mons le 28 janvier, ce qu’il n’a pas fait. Sa liberté conditionnelle a donc été révoquée par défaut et El Bakraoui a été signalé en Belgique et dans la zone Schengen afin de le réincarcérer. Il n’a jamais plus été contrôlé depuis lors par la police, avant de réapparaître le 22 mars en kamikaze du métro de Bruxelles.

Comment la paresse des espions belges a laissé filer le même kamikaze

S’agissant du même El Bakraoui, l’espion belge en poste à Ankara a manifestement laissé filer le bonhomme, alors que les renseignements turcs avaient signalé le cas:

Ibrahim El Bakraoui, l’un des kamikazes de l’attentat de l’aéroport de Zaventem, a été arrêté le 11 juin 2015 à Gaziantep, ville du sud de la Turquie, située à 15 kilomètres de la frontière syrienne. Le 29 juin, l’officier de liaison est mis au parfum par la police nationale turque. Trois jours plus tard, le 29 juin, l’officier de liaison communique cette information à la Direction centrale de la lutte contre la criminalité grave et organisée (DJSOC) de la police fédérale et celle-ci renvoie des éléments du passé judiciaire de l’intéressé à l’officier de liaison. Elle demande à l’officier de liaison des informations complémentaires concernant l’arrestation d’Ibrahim El Bakraoui.

Le 14 juillet 2015, la Turquie envoie à 10h14 une note verbale à l’ambassade belge selon laquelle Ibrahim El Bakraoui sera expulsé à 10h40 pour les Pays-Bas. A 16h00, l’ambassade prévient l’officier de liaison. L’intitulé de la note ne permet pas de déduire le caractère urgent de son contenu. Elle ne contenait pas de motif et n’appelait à aucun action.

Le 15 juillet, l’officier de liaison apprend à une réunion avec la police turque qu’Ibrahim El Bakraoui a été arrêté pour terrorisme. L’officier de liaison est invité par la police turque à faire parvenir une demande écrite s’il souhaite plus de détails. L’assistante de l’officier de liaison communique à 10h38 à l’ambassade belge qu’Ibrahim El Bakraoui a été arrêté à Gaziantep. A 10h50, l’officier de liaison belge informe son homologue néerlandais.

Entre le 29 juin et le 20 juillet, il n’y a plus de communication entre l’officier de liaison et la DJSOC. Ce n’est que le 20 juillet à 10h28 que l’officier de liaison informe la DJSOC de ce que Ibrahim El Bakraoui a été arrêté pour terrorisme et qu’il a été refoulé vers les Pays-Bas sur un vol du 14 juillet. Il dit attendre des informations complémentaires de la Turquie. L’officier de liaison demande officiellement ces renseignements à 11h25 à la police turque par courriel.

Il y aura ensuite encore quatre réunions entre l’officier de liaison et les autorités turques, les 28 juillet, 20 novembre, 8 décembre et 14 février mais le cas Ibrahim El Bakraoui n’y est plus évoqué.

Paresse belge: la police flamande connaissait-elle la planque d’Abdeslam depuis décembre?

Autre question: la police de la ville de Malines connaissait-elle depuis plusieurs semaines l’adresse de la planque d’Abdeslam?

L’organe de contrôle des services de police, le Comité P, a confirmé l’ouverture d’une enquête pour une information qui n’a pas circulé. Dès le 7 décembre, un policier de Malines a signalé dans un rapport l’adresse du 79 rue des Quatre vents, où a été appréhendé ce mois-ci Salah Abdeslam, le seul suspect vivant des attentats de Paris du 13 novembre. Le rapport n’avait pas été transmis à la cellule antiterrorisme.

La police de Malines a démenti cette information en fin de matinée vendredi. Selon le chef de corps, les policiers malinois ne disposaient pas de renseignement précis sur la présence d’Abdeslam à la rue des Quatre vents. Ce dernier reconnaît cependant qu’une faute a été commise au sein de ses services autour de la transmission d’une information à la Banque de données nationale générale. Cette information précisait qu’il pouvait y avoir une " troisième personne radicalisée " qui pouvait être liée à l’adresse rue des Quatre Vents à Molenbeek-Saint-Jean et qui a probablement eu un contact avec les frères Abdeslam dans un passé lointain. La police de Malines affirme qu’elle n’avait pas d’information concernant une éventuelle planque de Salah Abdeslam et aucune info en sa possession ne renvoyait à Salah Abdeslam ou Abid Aberkane, le logeur du suspect clé, d’après la police locale.

La justice belge a ménagé Abdeslam après son arrestation

Autre révélation, apportée par Le Monde et Politico cette fois: la juge d’instruction n’a pas véritablement interrogé Abdeslam après son arrestation. Ce défaut a probablement permis la commission des attentats du 22 mars:

Les enquêteurs belges n’auraient entendu Salah Abdeslam, suspecté de terrorisme, qu’une heure entre son arrestation vendredi soir et le double attentat terroriste de mardi matin. C’est ce qu’ont affirmé son avocat Sven Mary et deux autres sources proches de l’enquête au site d’information européenne, Politico Europe. Selon ce média, les enquêteurs n’auraient pas interrogé Salah Abdeslam sur la possibilité d’autres attentats parce qu’ils ont d’abord sondé l’intéressé sur sa participation dans les attentats de Paris en novembre.

L’audition de Salah Abdeslam dans la prison de Bruges n’a pas porté sur l’éventualité d’une menace, car les enquêteurs voulaient d’abord se concentrer sur la chronologie des faits et sur le rôle du suspect dans le commando funeste à Paris. En dépit de la découverte d’un détonateur, d’armes et d’empreintes digitales d’Abdeslam dans une "safehouse" à Forest quelques jours plus tôt, et la suspicion croissante d’un réseau terroriste plus large qu’escompté à Bruxelles, les enquêteurs n’ont que brièvement interrogé le captif car il récupérait encore de son opération, selon une source des services de sécurité belge. « Ils n’avaient pas pensé qu’il était possible que quelque chose puisse se passer mardi matin. » L’avocat Sven Mary a confirmé que les enquêteurs ne se sont entretenus que brièvement avec son client.

La paresse de la police belge et l’évacuation du métro

La presse belge souligne également le " retard à l’allumage " après les attentats de Zaventem: la police belge a-t-elle tardé à évacuer le métro?

Les deux explosions provoquées par les terroristes dans le hall de l’aéroport de Zaventem ont eu lieu à 07h58. Immédiatement, la cellule fédérale, composée des représentants des ministres et services compétents, est convoquée au centre de crise. L’attention est d’abord accordée au secours médical et à l’évacuation de la zone, exécutée le plus rapidement possible en raison du risque d’une troisième explosion.

Un appel est également lancé immédiatement à un niveau accru de vigilance. Tous les responsables des transports publics sont informés et sensibilisés.

A 08h50, la décision est prise d’évacuer le métro bruxellois ainsi que les gares ferroviaires de la capitale. A 9h04, l’Organe de Coordination pour l’Analyse de la Menace (OCAM) décrète le niveau 4 d’alerte. A 09h05, le plan d’urgence national face à une attaque terroriste est déclenché. A 09h11, l’explosion se produit dans une rame de métro à la station Maelbeek.

Un appel à ne pas se déplacer est lancé à la population afin de permettre aux services de secours de faire leur travail. Il est également demandé aux Communautés que les écoliers restent à l’école et n’en sortent pas. La circulation des transports en commun en surface et des trains dans les trois grandes gares bruxelloises est arrêtée. Le réseau de la STIB est évacué, fermé et surveillé par la police et l’armée.

Bref: les Belges, avec un moins de certitude sur leur supériorité sur les Français, un peu moins de déni sur leur désorganisation, auraient probablement pu éviter de nombreux morts dans leurs rues.

L’Union européenne a choisi une capitale à sa mesure.

Cet article a été initialement publié sur le blog d'Eric Verhaeghe

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