La Moldavie a-t-elle raison d’avoir peur d’être la prochaine cible de Poutine ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La présidente moldave Maia Sandu prononce un discours lors d'une conférence ministérielle, le 21 novembre 2022.
La présidente moldave Maia Sandu prononce un discours lors d'une conférence ministérielle, le 21 novembre 2022.
©Yoan VALAT / POOL / AFP

Menace russe

Voisine de l'Ukraine, la Moldavie suspecte la Russie de planifier un coup d'Etat, notamment en raison de la région russophone de Transnistrie.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : La compagnie aérienne Wizz Air a annoncé le 27 février qu'elle suspendait ses vols vers la capitale moldave Chisinau à partir du 14 mars en raison de préoccupations concernant la sécurité de son espace aérien, une décision qualifiée de soudaine et regrettable par l'Autorité de l'aviation civile moldave. La situation est-elle si préoccupante ? Que se passe-t-il en Moldavie et dans les environs ?

Michael Lambert : La Moldavie occupe une position singulière pour la Russie dans la mesure où on y trouve deux territoires pro-russes, la Transnistrie et la Gagaouzie, qui soutiennent l'invasion de l'Ukraine et souhaitent voir l'ensemble de la Moldavie se rapprocher de Moscou plutôt que du monde occidental.

La Transnistrie, territoire sous contrôle russe depuis 1992 et où sont stationnés 1 500 hommes de l'armée russe, pourrait contribuer à l'occupation d'Odessa par les troupes russes en attaquant depuis le front ouest. En outre, cette région exerce une pression constante sur la Moldavie et entrave toute possibilité d'intégration à l'Union européenne (la Moldavie ne contrôlant pas l'ensemble de son territoire, critère essentiel pour l'adhésion à l'UE).
L'exclave transnistrienne pro-russe joue donc un rôle essentiel dans la politique de Moscou visant à entraver l'expansion de l'UE et de l'OTAN, et exacerbe militairement les risques pour l'Ukraine et son accès à la mer Noire via Odessa. Ajoutons que l'éventualité d'une reconnaissance diplomatique de la Transnistrie par la Russie, comme ce fut le cas avec l'Abkhazie (2008), l'Ossétie du Sud (2008), ou plus récemment avec les deux républiques populaires de Donetsk et de Louhansk (2022), reste sur la table et pourrait déstabiliser durablement la Moldavie et l'Ukraine.

Autre territoire singulier, la Gagaouzie n'est pas indépendante mais bénéficie d'une certaine autonomie au sein de la Moldavie. Cette région, peuplée de turcophones orthodoxes, est partisane de Moscou et adhère à la propagande du Kremlin, souhaitant que la Moldavie et l'Ukraine s'éloignent de l'Occident et se rapprochent de la Russie. A cet égard, les opérations de déstabilisation médiatique en Moldavie sont particulièrement efficaces en Gagaouzie. Enfin, il faut ajouter que la Moldavie ne peut se rapprocher de la Roumanie et lancer le projet de la Grande Roumanie sans l'accord préalable de la Gagaouzie. En somme, la Gagaouzie devrait recevoir autant d'attention de la part de l'Occident que la Transnistrie, car elle déstabilise également la Moldavie. 
Le choix de WizzAir de cesser ses opérations est naturellement problématique car il coupe de nombreux Moldaves du reste de l'Europe, et accroît davantage les pressions sur la diaspora moldave. Cependant, même si l'on peut craindre une extension du conflit ukrainien à la Moldavie, la décision de Wizz Air semble prématurée car la Transnistrie et la Gagaouzie sont calmes, du moins pour le moment.
Quel serait l'intérêt stratégique pour Vladimir Poutine d'attaquer la Moldavie ?

La Moldavie a de très faibles forces armées (6 500 professionnels pour un budget de 25 millions de dollars par an), ce serait donc une victoire facile pour le Kremlin. De plus, les Moldaves sont divisés sur leur appartenance au monde occidental et au monde slave, et ne sont pas farouchement opposés à un rapprochement avec Moscou, contrairement à une majorité d'Ukrainiens.

Outre cette victoire militaire, la Moldavie partage sa frontière avec l'Union européenne et l'OTAN, ce qui en fait un avant-poste pertinent, sans oublier que la Transnistrie dispose de réserves considérables de matériel soviétique dans ses entrepôts (notamment le dépôt de munitions de Cobasna). Sur le plan économique, ce pays latino-orthodoxe possède des atouts comme le secteur viticole et un potentiel agricole important, mais cela ne semble pas être la préoccupation de Moscou à ce jour.
Y a-t-il des raisons de craindre que la Russie agisse ?

La propagande russe est particulièrement efficace en Gagaouzie et en Transnistrie, mais compte tenu du nombre et de la qualité des équipements militaires en Transnistrie (pour la plupart soviétiques des années 1960-1970), il y a peu de raisons de craindre un débordement du conflit ukrainien en Moldavie tant que la Russie ne parvient pas à atteindre Odessa. En revanche, on peut craindre une reconnaissance diplomatique de la Transnistrie par la Russie, qui interviendrait probablement en même temps que celle de l'Ossétie du Sud (Géorgie).

Quant à la Russie, elle accuse l'Ukraine de préparer une "invasion" en Transnistrie. Pourquoi cette région est-elle si enviée ? L'Ukraine a-t-elle manifesté un quelconque intérêt à cet égard ?

La Russie a raison d'envisager cette option, surtout en cas de défaite en Ukraine, car la Transnistrie n'aurait pas les moyens de se défendre contre les équipements militaires occidentaux. La question principale est de savoir si, en cas d'attaque de la Transnistrie, l'Ukraine cèdera le contrôle de ce territoire à la Moldavie, à laquelle il appartient, ou le rattachera à l'Ukraine, la Transnistrie étant une région historiquement ukrainienne rattachée artificiellement à la Moldavie par Staline.
Sur le plan stratégique et économique, ce territoire offre également des perspectives agricoles considérables, mais son acquisition viserait essentiellement à éviter une présence russe dans un exclave pro-russe situé entre l'Ukraine et la Moldavie, et donc à permettre une extension de l'UE et éventuellement de l'OTAN sans avoir à prendre en compte la question transnistrienne.
Une attaque russe en Moldavie pourrait-elle donner une toute autre tournure à la guerre ? Quelles seraient les conséquences pour les Ukrainiens et les Occidentaux ?

Une attaque en Moldavie pousserait les Occidentaux et surtout l'OTAN à prendre une initiative rapide pour repousser les Russes de Moldavie. La Moldavie pourrait ainsi devenir l'épicentre d'un conflit militaire entre l'OTAN et la Russie.
Pour les Ukrainiens, cela impliquerait la mobilisation d'une partie des troupes russes dans un pays voisin, ce qui permettrait à Kiev d'avancer plus rapidement vers l'Est, ce n'est donc pas dans l'intérêt de Moscou en ce moment. 

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