La loi Florange de retour à l'Assemblée : que reste-t-il du texte d'origine ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La commission mixte paritaire n'a pas réussi à se mettre d'accord le 5 février 2014 sur le projet de loi visant à reconquérir l'économie réelle, dite "loi Florange".
La commission mixte paritaire n'a pas réussi à se mettre d'accord le 5 février 2014 sur le projet de loi visant à reconquérir l'économie réelle, dite "loi Florange".
©Reuters

Dernière ligne droite

Ce lundi s'entame la dernière ligne droite des discussions parlementaires relatives au projet de loi Florange. Le 24 février prochain, le texte définitif sera adopté, qui semble bien différent que celui déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale au départ.

Jacques Sapir

Jacques Sapir

Jacques Sapir est directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), où il dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il est l'auteur de La Démondialisation (Seuil, 2011).

Il tient également son Carnet dédié à l'économie, l'Europe et la Russie.

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Atlantico : Suite au rejet par le Sénat, la commission mixte paritaire n'a pas réussi à se mettre d'accord le 5 février 2014 sur le projet de loi visant à reconquérir l'économie réelle, dite "loi Florange". Elle est de nouveau examinée par les députés à partir de ce lundi, dans les jours suivants par les sénateurs, et une ultime fois le lundi 24 par l'Assemblée, qui a le dernier mot. Quelles sont les principales modifications apportées au texte d'origine ?

Jacques Sapir : Fondamentalement, le projet de loi évacue la possibilité d’une nationalisation, fait du juge de commerce le pivot d’une procédure contradictoire où chaque partie devra présenter ses arguments, et renforce les moyens de recherche d’un repreneur. C’est, bien évidemment, très en retrait sur l’idée initiale, et cela n’a plus grand chose à voir avec le projet initial. Le nouveau projet aura en fait peu d’impact  sur des situations comme celles de Florange. Par contre, et c’est une innovation importante qui est introduite sans qu’on s’en aperçoive, un juge devient désormais l’interlocuteur principal des salariés et de l’entreprise. C’est une rupture avec la tradition de l’Europe continentale où le pouvoir politique s’entremettait, avec la légitimité que lui conférait l’élection et la représentation de la Nation, dans des conflits sociaux. On ne le remarque pas assez, mais ce projet de loi « américanise » notre droit et notre pratique en ce domaine. Je pense que cela va créer des problèmes en fait de plus en plus important et que, si le pouvoir politique peut avoir le sentiment de s’être dégagé d’un guêpier, il va en fait se retrouver rapidement mis en accusation par les salariés.

Sur quels amendements le Sénat et l'Assemblée nationale n'ont-ils vraiment pas réussi à s'entendre ? Pourquoi ?

 C’est essentiellement sur la possibilité pour l’État de nationaliser un site, voire de l’exproprier, que se concentre le conflit entre l’Assemblée et le Sénat. Les sénateurs communistes et du Front de Gauche se sont abstenus.

Quel sort est réservé à la proposition présidentielle "quand une grande firme ne veut plus d'une unité de production et ne veut pas non plus la céder, elle a l'obligation de la vendre" ?

 De fait, il n’en reste rien. François Hollande a enterré sa « promesse », et il a capitulé devant les patrons. Mais, il n’a pas fait que cela. Il aurait pu dire, et s’eut été plus honnête, que cette « promesse » était inadaptée, ou malvenue, et qu’il convenait de ne plus en parler. Mais, en transposant un mécanisme étatique, sous une forme certes très, très, amoindrie, en un mécanisme judiciaire il fait basculer notre droit et notre pratique. Si l’on met cela en perspective avec les menaces qui aujourd’hui planent sur l’inspection du travail et sur les prud’hommes, on ne peut que constater que d’une part il y a une tendance très forte à « américaniser » (ou « angliciser ») notre droit du travail et que ce gouvernement est l’un des plus réactionnaires – sous couvert de progrès – de ces dernières années. En voulant mettre le « politique » hors du jeu social, François Hollande donne raison à la conception britannique de l’Union européenne. Je ne suis pas sûr qu’il en ait conscience lui-même. Mais, ce faisant, il détricote un peu plus les lambeaux « d’Europe sociale » qui se maintenaient encore de nos jours. Il pourrait, et le PS avec lui, le payer au prix fort lors des élections européennes. Ce ne serait que justice.

Finalement, après tant de temps à faire la navette, que reste-t-il du texte d'origine ?

 En réalité, rien. Certes, on peut dire que « l’esprit de Florange » inspire ce projet. Mais, en réalité, il en est de ce projet comme du pauvre Martin, le syndicaliste de Florange, qui devient tête de liste du PS aux élections européennes, mais qui se fait durement refouler par la police lorsque Manuel Valls vient dans sa région. Il y a une instrumentalisation, tant des personnes que des mots, par ce gouvernement qui est extrêmement déplaisante et dont le résultat est très pervers. Je le redis, si l’on considérait que le moment pour une telle loi était mal venu, où même si l’on faisait sien le point de vue du patronat sur cette question, on pouvait le dire. On le devait même aux Français. Mais ici, ce dont il est question, est un acte d’une immoralité profonde : on s’appuie sur une chose pour faire son contraire. Avec de telles méthodes, que l’on ne s’étonne plus que les gens soient enragés et votent pour les « extrêmes ». Les véritables incendiaires sont au gouvernement.

Concrètement, comment ce projet de loi va-t-il être mis en œuvre ?

C’est une bonne question, car à l’évidence c’est par la pratique, et la pratique du juge en particulier, que l’on verra à quoi il faut s’attendre. Je crains que, aujourd’hui, on aille de plus en plus vers un tournant social réactionnaire qui ne pourra qu’engendrer une réaction violente à proportion du désespoir et de la colère des gens.

Propos recueillis par Marianne Murat

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