La France puissance et la Troisième guerre mondiale<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Bruno Le Maire, à l'Elysée, lors d'un conseil des ministres.
Emmanuel Macron et Bruno Le Maire, à l'Elysée, lors d'un conseil des ministres.
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Atouts économiques

A l'heure de la guerre en Ukraine, la France est-elle proche de son maximum de production ? « La France puissance » est-elle un slogan creux, un rêve ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Mais quel optimisme pour la France et quel pessimisme pour la paix ! En fait, personne ne parle des deux : ni de la menace qui monte partout, ni de sa vraie protection : la force nationale. On préfère discuter ici (plus ou moins calmement) de la réduction du temps de travail, une réduction qui ne se ferait non plus par semaine, mais en réduisant la durée de la vie au travail. Ce sera notre « futur choisi », avec des retraites qui ne tiendront pas compte de l’allongement de la durée de la vie, avec plus de séniors puis plus de vieux (à proprement parler), tandis que baisse le nombre de naissances, avec moins de jeunes à venir. Le déficit mathématique de notre système de retraite par répartition qui en résulte, conduit à plus de dette publique, d’autant que nous souhaitons augmenter les retraites minimales, mieux traiter les pensions des femmes et les carrières longues. S’arrêter de travailler pour jouir plus longtemps de la vie, s’occuper des petits enfants et paresser occupent ainsi les esprits et les estrades, sans être la réponse la plus adaptée au monde plus violent qui vient. Au contraire.  

« La France puissance » : personne ne tire les conséquences que ceci implique, alors même que l’activité stagne, avec une croissance à 0,1% fin 2022 tandis que le taux de chômage atteint 7%, son niveau le plus bas depuis 2008. La France est-elle donc proche de son maximum de production, encore 1 ou 2% de taux de chômage à gagner, ce qui sera très compliqué, sinon inflationniste, alors qu’elle est en déficits extérieur et budgétaire, donc creuse encore la dette publique ? « La France puissance » est-elle un slogan creux, un rêve ? 

« La France puissance », pire, s’éloigne-t-elle quand la guerre « de haute intensité », état contre état, s’approche ? Pas assez de chars, de munitions même, quand revient la guerre en Europe, à 2000 kms d’ici, quand il faudrait innover, investir et former bien plus dans le domaine militaire, tout en réduisant certaines dépenses civiles pour faire de la place. Réduire des dépenses publiques civiles ? Oui, en modernisant et en simplifiant massivement les procédures administratives d’un côté, pour dépenser plus d’un autre, dans l’effort de guerre. En outre, cet effort est plus cher que jamais : il cumule une formation aux différents types de conflits en cours, au-delà d’une sensibilisation aux malheurs du peuple ukrainien, plus la préparation aux prochains. Toute guerre est hybride, et l’a toujours été, avec la mobilisation des techniques les plus récentes et des moyens humains les plus nombreux, avec les plus traditionnels, voire les plus sauvages, nous songeons à Wagner. La peur est toujours présente, plus que jamais le mensonge, qui ne cesse de faire des progrès, dans le brouillard sur les intentions et les protagonistes, qui ne cessent de changer. 

La guerre en Ukraine est une Troisième guerre mondiale de fait : plus compliquée, plus graduelle, elle mobilise toutes les armes et tous les pays. Cette fois, la Russie veut rebâtir son empire, l’Urss et celui des Tsars, ce qui concerne évidemment l’Ukraine, mais aussi les Balkans et les pays en« stan » : Tadjikistan, Ouzbékistan… Elle (qui : la guerre, la Russie, les États-Unis ?) va aussi contraindre l’Europe à revoir sa base énergétique, donc industrielle, que la Russie alimentait avec son pétrole et son gaz, jusqu’à ce qu’explosent les oléoducs Nord Stream. Les prix du gaz et du pétrole s’envolent, font monter les prix, les taux, la dette publique en Europe, mais poussent aussi l’Inde et la Chine à s’approvisionner en Russie (dépourvue de ses anciens clients, avec des rabais pour les nouveaux). Une Chine qui renforce ses liens avec elle, la vassalisant plus, tandis qu’Inde, Afrique du Sud et Brésil, ne disent mot, BRICS oblige. 

Une autre division du monde se met ainsi en place, plus complète que celle des années 30, au moment où l’illibéralisme devient une nouvelle force séductrice et où la démocratie américaine titube. Comme avant 1914 et 1939, les libéraux et les démocrates ne prennent pas conscience du risque, qui implique de revoir leurs priorités. Aujourd’hui, dire qu’il faut réunir des moyens pour la paix quand on peine devant le réchauffement climatique ne va pas de soi, tant montent surtout d’autres revendications, plus à court terme encore. Certes la recherche militaire se renforce en Europe, poussée par la guerre, avec des accords entre certains états et entreprises et un fonds européen qui vient de naître, mais passer à une « industrie de défense européenne » paraît lointain, compte tenu d’une double réalité : l’Otan renforcé et la puissance de l’industrie militaire américaine. Cette industrie européenne est néanmoins à préparer, notamment si un futur Président américain veut moins soutenir l’Ukraine et/ou si un autre front s’ouvre en Iran ou à Taïwan, ce qui augmentera les besoins. Mais aujourd’hui ? 

Il est donc inutile de rêver : l’Europe attire parce que c’est une démocratie, parce que c’est un « grand marché », surtout parce que les deux sont protégés par l’Otan et les armées nationales. L’Europe peut partager des normes et des principes généreux, mais rien ne vaut la défense de son sol. Elle ne doit surtout pas partager un de ses deux boutons nucléaires, l’anglais et le français : il ne servirait plus, enfoui sous les débats. « La France puissance » est plus importante que jamais, parce que l’Europe a une devise généreuse :« unie dans la diversité », mais sans savoir ce qu’elle fera dans l’adversité actuelle, externe et qui veut la détruire. Donc il s’agit pour elle de convaincre ses membres d’aller dans le même sens : tous seront plus forts, parce que chacun le sera. Et donc ici, quand la guerre est là, « la France puissance » ne doit surtout pas songer à la retraite.

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