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La France, perdante du Conseil européen ? M. Juncker président de la commission : ce que ça va changer ou pas pour nous
©Reuters

Juncker Président !

Malgré l'opposition de nombreux dirigeants européens, Jean-Claude Juncker, l'ex-Premier ministre luxembourgeois, a finalement obtenu le soutien du Conseil européen à 26 voix contre 2. Dès lors que le Parlement aura voté, il devrait ainsi succédé à José Manuel Barroso, président depuis novembre 2004.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Jean-Claude Juncker, ancien Premier ministre luxembourgeois, a été choisi par les dirigeants européens, à 26 voix contre 2, pour succéder au Portugais José Manuel Barroso à la présidence de la Commission européenne. Qu'est-ce que cette transition va changer au niveau du fonctionnement de l'Union européenne et de sa politique future ?

Nicolas Goetzmann : D’un point de vue purement institutionnel, ce qui change, c’est l’application du traité de Lisbonne. C’est-à-dire que contrairement aux précédentes décisions du conseil européen sur le choix du président de la commission, c’est ici le candidat des partis politiques qui a été nommé. C’est-à-dire que le Président de la Commission n’est plus le résultat d’une négociation entre chefs d’états mais il est une personnalité politique soutenue par une majorité du Parlement Européen. C’est un saut vers plus de fédéralisme qui a été effectué hier. Et ce choix a été porté par 26 chefs d’état contre 2. 

Jean Claude Juncker dispose ainsi d’une légitimité par la voie du Parlement, et aura la possibilité d’utiliser tous les pouvoirs de la Présidence de la commission, ce qui n’est pas neutre. Parce que Barroso n’était que l’homme désigné par le conseil, et donc au garde à vous. Juncker aura plus de marges de manœuvre, notamment en pouvant user de son droit d’initiative, alors que Barroso était plus ou moins muselé sur ce point.

Sur la politique future, il suffit de lire la feuille de route de Jean Claude Juncker. Rien de neuf sous le soleil. A la crise européenne les chefs d’état ont choisi de répondre par le néant. Tout va bien.

Christophe Bouillaud : A priori, pas grand-chose. En effet, avec Jean-Claude Juncker, c’est à la nomination de quelqu’un du sérail européen auquel on assiste. Jean-Claude Juncker a été Premier Ministre du Luxembourg de 1995 à 2013. Il a été ministre dans son pays depuis … la fin des années 1980. Il a présidé l’Eurogroupe pendant une bonne partie de la crise économique en cours. Il est vraiment impossible de voir en sa personne une promesse de renouvellement de la politique européenne.  

Par contre, son mode de nomination devrait faire jurisprudence : le parti européen arrivé en tête en nombre de députés aux élections européennes sera à l’avenir en droit de revendiquer la Présidence de la Commission pour le candidat qu’il aura désigné préalablement à l’attention des électeurs européens. Le fait que le Conseil européen ait validé cette règle en dépit même de l’image tragique d’immobilité  qu’offre un Juncker pour l’Europe à venir constitue en ce sens une avancée vers la fédération démocratique européenne. La campagne pour la Présidence de la Commission en 2019 devait du coup être beaucoup plus acharnée que celle à laquelle nous venons d’assister avant le 25 mai. 

Mardi 24 juin dernier, François Hollande a publié une lettre ouverte au président du Conseil européen, Herman von Rompuy, responsable de la ligne directrice européenne, afin de proposer cinq grandes priorités pour l'avenir de l'UE. En échange du respect de ces priorités, le président français a assuré son soutien à Juncker. Sa proposition a-t-elle été retenue ? François Hollande a-t-il obtenu ce qu'il voulait ?

Nicolas Goetzmann : Depuis 2012, François Hollande dit qu’il va réorienter l’Europe. Il a échoué en 2012. Puis, il a tenté une nouvelle fois de proposer quelque chose suite aux élections européennes. Cette proposition s’est matérialisée mardi dernier avec l’envoi de cette lettre en faveur d’un plan de relance de 1200 milliards d’euros. Le communiqué du conseil européen publié le 27 juin est assez clair, il n’a rien obtenu. Rien. Pas même un lot de consolation. La conférence de presse fut  en ce sens assez pénible, puisqu’il s’agissait pour lui de tenter de sauver la face comme il le pouvait. Il a d’ailleurs terminé en parlant de foot et de l’équipe de France. Il faut quand même se rendre compte que jamais la France n’a été aussi faible depuis les prémices de la construction européenne, et le Président en porte l’entière responsabilité. Le plus frappant est que son avis n’est même plus considéré  comme digne d’intérêt par la presse étrangère, il est devenu bien trop faible sur le plan intérieur pour pouvoir porter la voix de son pays en Europe. C’est un véritable effondrement politique de la France au sein de l’Union.

Christophe Bouillaud : Le soutien de F.rançois Hollande était quasiment obligatoire à partir du moment où le PS avait choisi d’inscrire sa campagne électorale dans la nouvelle règle d’une compétition ouverte pour la Présidence de la Commission via les électeurs. Martin Schulz était le candidat du PS et du PSE comme les électeurs français ont pu le voir sur les affiches électorales. Le PSE est arrivé second après le PPE, il lui faut accepter le candidat du PPE – ou bien, avouer que la démocratie à l’échelle européenne, cela ne peut pas exister, que c’était un coup de bluff face aux électeurs. Du coup, François Hollande n’avait pas grand-chose à négocier de ce point de vue. Il devait accepter Juncker. On verra par contre dans les prochaines semaines, si J.C. Juncker se présente devant le Parlement avec un programme qui tient compte des cinq priorités énoncées par F. Hollande.  Probablement il en tiendra compte, modérément…

Comment la présidence de Jean-Claude Juncker à la Commission européenne va-t-elle infléchir la politique intérieure de François Hollande ?

Nicolas Goetzmann : François Hollande l’a indiqué lui-même, il n’y aura rien de nouveau sur le plan de la politique intérieure. Les 50 milliards d’économie et  le pacte de responsabilité sont maintenus. Il a également indiqué que c’est grâce à cela qu’il avait pu « infléchir la politique européenne ». Ce qui est une farce.  Le communiqué du conseil exprime une idée terrible en parlant de la croissance «  Pourtant, il ne s’agit pas d’un retour sur  les promesses d’antan ». Ce qui veut dire que les promesses d’une Europe de la croissance sont enterrées. La promesse faite par le conseil européen, c’est que la crise va continuer et que  les politiques inefficaces menées depuis 2008 vont se poursuivre. C’est le choix qu’on fait les chefs d’état ces 26 et 27 juin à Ypres, et ce malgré les résultats alarmants des élections européennes. 

Christophe Bouillaud :  Ce n’est pas la Présidence de Jean-Claude Juncker qui compte vraiment, mais la configuration générale de la Commission. Il faut savoir qui va obtenir le Commissariat chargé des affaires économiques, qui sera le remplaçant d’Olli Rehn. Aura-t-on un autre représentant des pays « créditeurs », un partisan de l’austérité, ou bien un représentant d’un pays « débiteur » plus intéressé par une relance réelle de l’économie européenne ? L’enjeu est de savoir si l’Union européenne va essayer de relancer vraiment son économie, ou si elle décide de rester dans le petit jeu des compromis entre « créanciers » et « débiteurs » qu’on a vu à l’œuvre depuis 2010. L’existence d’une relance européenne est importante pour Hollande (et aussi pour Matteo Renzi d’ailleurs). Sans une conjoncture économique européenne meilleure, la Présidence Hollande finira en effet dans un désastre : pour que le « pacte de responsabilité » fonctionne, il faut que  les entreprises françaises doivent trouver une demande dynamique à l’exportation,  y compris et surtout dans les marchés de la zone Euro.  

A 2 voix contre 26, David Cameron a échoué dans sa tentative de bloquer la nomination de Juncker. A quel point cette défaite risque-t-elle d'isoler le Premier ministre britannique dans l'Europe future ?

Nicolas Goetzmann : David Cameron a été très combatif. Il a perdu la bataille mais il a au moins essayé de faire bouger les lignes. Il est intervenu auprès des dirigeants suédois et néerlandais, il a essayé de peser sur Angela Merkel, et il a tenté de faire chanter tout le monde en brandissant la menace d’une sortie de l’Union. On peut au moins lui reconnaître un activisme réel. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde.

Vis-à-vis de sa population, David Cameron se retrouve pratiquement contraint de faire campagne pour le « non » concernant le référendum sur l’appartenance du Royaume Uni dans l’Union qu’il a promis en 2017, en cas de réélection.

Même si David Cameron a perdu cette bataille, Angela Merkel a bien compris qu’elle ne pouvait se permettre d’aller beaucoup plus loin avec lui. Les prochaines échéances de la mi-juillet (désignation des commissaires européens) seront sans doute l’occasion de donner satisfaction à David Cameron sur certains autres points.

Christophe Bouillaud : Pour l’instant, D. Cameron apparait en effet comme le perdant de l’affaire. Il aura certes peut-être quelque compensation ensuite dans la répartition des postes. Par contre, si J. C. Juncker se révèle incapable de relancer l’Europe et éventuellement dépassé par la tâche qu’on lui a confié, D. Cameron pourra jouer l’air de «  Je-vous-l’avais-bien-dit, chers collègues ». De fait, les dirigeants européens ne sont vraiment pas superstitieux : choisir un Luxembourgeois pour présider encore une fois la Commission alors que la seule Présidence de la Commission depuis toujours qui ait fini par une démission forcée (Santer en 1999) se trouve être justement luxembourgeoise, c’est fort courageux.  Plus sérieusement, s’opposer à la nomination de Juncker, c’est aussi se placer à terme en garant d’une autre Europe, celle des nations souveraines. Que se passera-t-il en effet si, au terme des choix fédéraux qui se profilent, un autre pays refuse comme en 2005 par référendum une avancée vers l’intégration ? D. Cameron peut finir par incarner une « Europe de rechange » au cas où. 

Angela Merkel, qui a finalement voté pour le candidat luxembourgeois tout en insistant auprès des autres dirigeants européens, est-elle la grande gagnante du Conseil européen ?

Nicolas Goetzmann : Sans surprise, elle a fait la pluie le beau temps. Elle n’a cédé sur rien. La politique qui sera menée est la politique qu’elle prône et l’homme qui a été désigné est celui qu’elle soutient. Ceci alors même qu’elle n’avait que peu d’appétit pour Jean Claude Juncker.

Elle n’a pas cédé à Matteo Renzi, elle n’a pas cédé à François Hollande, elle n’a pas cédé à David Cameron et malgré cela, 26 pays sur 28 ont voté comme elle, dont François Hollande. La « compétitivité » est encore mentionnée dans le texte produit par le conseil, mais également les déficits et la dette. Il n’y a donc véritablement rien de nouveau. Et la Commission est renforcée dans ses pouvoirs de contrôle des états.Mais le symbole le plus fort de ce conseil européen est sans aucun doute la perte d’influence de la France. Il n’est pas besoin d’être partisan pour se rendre compte de cette situation. Le plus inquiétant est que l’évidente volonté de minimiser l’impact médiatique du conseil européen a été pour l’Elysée une sorte d’aveu d’impuissance. 

Christophe Bouillaud : Elle a obtenu ce qu’elle voulait en effet. C’est elle qui a pesé pour que le PPE opte pour Jean-Claude Juncker contre Michel Barnier comme candidat de ce dernier. C’est elle qui a insisté pour qu’on respecte la règle de primauté du candidat du parti arrivé en tête. On peut faire l’hypothèse que, sachant bien que le PPE arriverait de toute façon en tête, il ne fallait pas que le candidat de ce dernier soit trop dynamique et ne se prenne trop au sérieux. Un Michel Barnier aurait bien pu se croire autorisé à se comporter comme un Walter Hallstein dans les années 1960 ou comme un Jacques Delors dans les années 1980, comme un vrai chef de l’Etat européen. Un Juncker est un bien trop vieux renard de l’Europe intergouvernementale  pour ne pas connaître les limites à apporter à  son pouvoir vis-à-vis des exécutifs des Etats membres.

Ce choix d’un Président de la Commission faible mais adoubé indirectement par le vote populaire aurait pu convenir à un David Cameron, mais ce dernier n’a pas accepté qu’on fasse semblant d’aller vers une vraie démocratie européenne. Pour lui, il n’y a de démocratie que nationale. Probablement pour A. Merkel et pour la plupart de ses pairs aussi, mais ils ont considéré qu’il fallait au moins faire semblant, et que Juncker était le mieux à même de jouer ce rôle. 

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