La France face à un nouveau défi démocratique : comment garantir des forces de l’ordre irréprochables dans des contextes de guérilla ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Unité de police BRAV-M.
Unité de police BRAV-M.
©THOMAS SAMSON / AFP

Réforme des retraites

Alors que des organisations d’extrême-gauche n’hésitent plus à faire preuve d’une extrême violence dans le but de cliver et polariser une opinion dans laquelle elles se savent minoritaires, comment ne rien céder à la violence tout en échappant au piège tendu ?

Jean-Marc Fedida

Jean-Marc Fedida

Jean-Marc Fedida est avocat au barreau de Paris. Egalement essayiste, il est l'auteur de Impasses de Grenelle : De la perversité écologiste (Editions Ramsay, 2008).

 

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Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier est général de division (2S) de gendarmerie. Spécialiste du maintien de l’ordre et expert international en sécurité des Etats, il est notamment régulièrement engagé en Afrique. Le général Bertrand Cavallier est l'ancien commandant du Centre national d’entraînement des Forces de gendarmerie de Saint-Astier. 

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Atlantico : Alors que les manifestations contre la réforme des retraites s’enchaînent, les organisations d'ultra gauche n’hésitent pas à faire preuve d’une violence de plus en plus forte. Quel est le véritable but des manifestants d'ultra gauche avec cette violence ? Est-ce une volonté de créer un mouvement anti-police ?

Jean-Marc Fedida : Pour répondre à cette question il convient d’avoir les idées claires et de poser cette vérité qu’un comportement délinquant ne saurait être une revendication politique admissible dans la mesure où les voies d’expression d’un mécontentement idéologique doit trouver des modalités d’expression démocratiques. Ce n’est manifestement pas le cas des mouvements auxquels vous faites référence qui contreviennent au droit et troublent l’ordre public.

Or, les buts que vous évoquez ne trouvent pas d’expression articulée en dehors de « slogans » qui en soit ne comportent pas à ma connaissance de raisonnement structuré au delà en effet d’une manifestation violente. Le droit à la rebellion reconnu par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne saurait faire l’économie de l’élaboration d’un contenu qui puisse - pour être légitime - avoir un corpus idéologique que j’ignore.

Le fait est que ce sont les services de police qui sont les cibles de ces « revendications inarticulées » non seulement pour le rôle qu’elles jouent mais surtout pour ce qu’elles représentent, savoir l’instrument de l’Etat pour garantir et assurer les libertés publiques. A ce titre, ces mouvements ne se concrétisent sous la forme violente à l’égard des forces de l’ordre que parce que c’est l’ordre qui est détesté. Le slogan entendu « tout le monde déteste la police » en réalité exprime en réalité un rejet de l’ordre républicain.

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Bertrand Cavallier : En France, les mouvances d’ultra-gauche ont été structurées principalement autour des groupes Antifa, qui recouvrent tant des courants communistes révolutionnaires marxistes et anti-léninistes que ceux de l’anarchie radicale. Ce sont ces mouvances constituées de groupes affinitaires qui génèrent notamment les fameux Black Blocs, ce que définit le politologue Francis Dupuis-Déri comme « cortège de militants révolutionnaires habillés en noir susceptibles de recourir à l'action directe ».

Ces mouvances s’inscrivent dans une contestation globale de l’ordre établi, du capitalisme, qu’il faut abattre, et s’attaquent en conséquence à tous ses symboles et piliers dont prioritairement les forces de l’ordre. Adeptes d’une violence systémique et de l’action directe, elles mettent donc à profit toute situation pour rechercher la confrontation. A cet effet, elles instrumentalisent toutes les causes, quitte à tisser des alliances paradoxales comme dans certaines banlieues avec des mouvances racialistes ou adeptes de l’islam politique. La récupération de la cause écologiste s’inscrit pleinement dans cette démarche d’autant qu’elle permet la prise de contrôle de territoires.

Bien évidemment, s’appuyant sur une parfaite maîtrise de la guerre informationnelle, « l’éco-système ultra-gauche » est tout entier engagé dans une manoeuvre de conditionnement de la jeunesse, pour qu’elle haïsse la police, et plus globalement les forces de l’ordre, selon le syndrome « ACAB : all cops are bastards ». Ce processus, facilité par la configuration naturelle de contestation de l’autorité, soit de la figure du père, chez un adolescent, l’est plus encore par la perte des références, l’anomie caractérisant la société occidentale. L’objectif est ainsi, sans forcément obtenir de cristallisation idéologique, de massifier la radicalité et ainsi d’affaiblir, voire de neutraliser, le protecteur et le régulateur de l’ordre social. En la matière, L’ouvrage « L’insurrection qui vient », paru en 2007, rédigé par un comité invisible, est très éclairant.

De nombreuses critiques ont été émises envers les forces de l’ordre et des débordements ont en effet été constatés. Quelles sont les responsabilités ? A quel point ces erreurs du côté des forces de l’ordre auraient-elles pu être évitées ?   

Jean-Marc Fedida : Pour ma part, et pour avoir été personnellement témoin comme beaucoup de la violence des manifestations, je n’ai pas envie d’accabler les hommes et les femmes qui sont pris à partie parce qu’ils portent un uniforme. Je ne me résous pas à éclipser l’être humain qui est sous l’uniforme, sa personne à le droit à tout autant de respect que n’importe qui. C’est une donnée que l’on omet souvent de rappeler, et leur violente prise à partie physique - faut-il le rappeler, ce sont des corps, des bras, des cranes humains que l’on frappe. Les agresseurs n’en n’ont manifestement pas conscience, ou feignent de ne pas s’en préoccuper. Dès lors qui est dans le mépris de l’humain ?

Vêtu d’un uniforme, les insignes de la fonction créent des obligations formelles c’est une certitude, mais que l’on pardonne à l’avocat de se préoccuper de l’humain. Alors je risque une question, ceux qui engagent des personnes humaines dans des situations de tension extrême, ont elles conscience de la mise en risque ? Les responsabilités ne doivent elles pas être partagées entre celles et ceux qui donnent l’ordre d’engagement ?

Bertrand Cavallier : La gestion des manifestations des gilets jaunes, en particulier dans la capitale, a suscité, comme rarement dans notre histoire récente, de fortes criques qui n’émanaient pas seulement des contempteurs habituels des forces de l’ordre. Ces critiques ont alors tenu principalement à un usage débridé de la force, notamment du LBD (Lanceur de balles de défense), par des unités de circonstance, c’est à dire non permanentes, créées à la hâte, soit les DAR (Détachements d’action rapide, composés de personnels souvent issus des BAC), mis en place en décembre 2018, par le préfet de l’époque, Michel Delpuech. Elles ont ensuite transformées en 2019 en BRAV (Brigades de répression de l’action violente) sous l’impulsion de son successeur, le préfet Didier Lallement. 

Le souvenir de ces dysfonctionnements qu’un film documentaire tourné par David Dufresne et intitulé Un pays qui se tient sage avait parfaitement analysés, est encore vivace. 

Cependant, les dérives comportementales au sein des forces de l’ordre, en dépit de situations marquées par de grandes violences, sont depuis beaucoup moins fréquentes. Est ainsi à noter une diminution considérable de l’usage du LBD. Les problèmes rencontrés récemment - propos agressifs et insultants, matraquage de manifestants pacifiques à terre -, sont des faits isolés survenus au sein d’unités de terrain. Ils n’en sont pas moins inadmissibles et ont été immédiatement dénoncés par la hiérarchie policière et les responsables politiques. 

La prévention de ces dysfonctionnements relève de trois mesures : une meilleure formation, un encadrement plus impliqué, et enfin, s’agissant de l’action au sein des cortèges de manifestants, l’emploi premier d’unités très structurées de type escadrons de gendarmerie mobile ou CRS. Concernant ce dernier point, les directives données par le nouveau préfet de police, Laurent Nunez, vont pleinement dans ce sens.

Comment garantir l’irréprochabilité des forces de l’ordre dans un contexte aussi explosif ?  Quels sont les moyens théoriques et pratiques d’éviter ces situations ?

Jean-Marc Fedida : La première des choses est évidemment de rendre responsables ceux qui donnent les ordres et qui à mon sens ne pas être les grands absents des conséquences des instructions qu’ils donnent et des décisions qu’ils prennent. Si vous envoyez des hommes et des femmes dans des situations intenables, vous devez en répondre tout autant que ceux qui seraient concernés par des pratiques regrettables. Or les débats actuels font totalement abstraction de cette dimension.

Bertrand Cavallier : Cette question de l’irréprochabilité traduit donc l’attente à la fois d’une grande exigence comportementale des forces de l’ordre mais également d’une grande efficacité dans l’exercice de leur mission dont il faut rappeler qu’elle est éminemment complexe. L’actualité le démontre aisément.

Plusieurs facteurs conditionnent ces attentes : 

Sur le plan doctrinal, il faut se tenir au respect des trois principes fondamentaux du maintien de l’ordre qu’a confirmé le SNMO (schéma nationale de maintien de l’ordre) : emploi premier d’unités spécialisées, gradation dans l’emploi de la force, maintien à distance de l’adversaire (ce qui n'exclut pas en tant que de besoin, le recours à des modes opératoires offensifs).

Sur le plan opérationnel, pour les évènements d’envergure, la réussite est de plus en plus conditionnée par des planifications rigoureuses, conduites tant au niveau stratégique qu’opératif (respectivement pour la gendarmerie, le Centre national des opérations de la DGGN, et le Centre zonal des opérations au niveau des régions zonales), avec comme préalable une définition claire de l’effet final recherché par l’autorité responsable de l’ordre public, soit le préfet. Cette planification doit déboucher sur une conception de manœuvre dûment formalisée, validée par l’autorité préfectorale, qui est ensuite mise en oeuvre par un état-major composé de cadres experts du maintien de l’ordre.

Dès lors qu’il y a engagement de plusieurs escadrons de gendarmerie mobile, ou de CRS, ces unités sont engerbées au sein d’un Groupement tactique gendarmerie (GTG) ou Groupement opérationnel (GO pour les CRS). Ces échelons opérationnels sont indispensables pour garantir la cohérence de l’action au niveau tactique.

L’irréprochabilité des forces de l’ordre ne tient cependant pas qu’à des facteurs qui leur seraient propres. En effet, le sur-emploi que l’on constate des gendarmes mobiles, Crs, et policiers des compagnies d’intervention doivent conduire à poser la question des conséquences de deux phénomènes préoccupants inter-agissants :

  • la réduction drastique des temps de formation et de reconditionnement ; 

  • la fatigue physique mais aussi psychologique du fait notamment de la récurrence de la violence et de son intensité, sans évoquer la sur-pression médiatique.

A cela, il faut ajouter trois autres éléments :

  • la dissymétrie croissante entre les moyens et armements des gendarmes et policiers et ceux à mis en oeuvre par les mouvances les plus radicales, relevant notamment de l’ultra-gauche (cf les affrontements de Sainte-Soline) ;

  • le ressenti des forces de l’ordre de l’incapacité de l’Etat de droit à neutraliser durablement ces groupes ultra-violents ;

  • et dans le même temps, un déchaînement médiatique à l’encontre des membres des forces de l’ordre avec l’enclenchement systématique de procédures administratives et judiciaires au moindre manquement.

L’usure des forces de l’ordre doit être prise en considération au plus haut niveau des instances politiques. Elle oblige à une réflexion sur deux points majeurs :

  • le fait que des manques de maîtrise, notamment dans l’usage de la force, seront plus fréquents, avec tous les risques d’exploitation politico-médiatiques, voire de désordres majeurs, qu’ils pourraient susciter et qui sont attendus par les mouvances extrémistes ;

  • l’impératif d’économiser les acteurs qui mettent en œuvre la dite violence légitime, compte tenu de la possibilité d’éclatement d’autres crises plus sévères tenant notamment aux syndromes séparatistes. 

Cette réflexion doit enfin intégrer le postulat selon lequel le maintien de l’ordre n’est pas une fin en soi, ou qu’il ne saurait être, sauf exception relevant d’un phénomène atypique, un mode de gestion d’une crise. Il a en effet vocation, en mettant fin aux troubles, à permettre le retour à une situation normale de façon à favoriser une solution politique du conflit fondée sur le dialogue avec les acteurs structurant le dialogue social, dont au premier titre les syndicats.

Face à la polémique, la dissolution de la BRAV-M a été discutée et une pétition sur le site de l’Assemblée Nationale a recueilli près de 180 000 signatures en ce sens. Est-il possible de remettre les choses en ordre au sein des forces de l’ordre sans pour autant tomber dans le piège anti-police tendu par, notamment, l'ultra gauche ?

Jean-Marc Fedida : Nous constatons en réalité une double hypocrisie. D’une part il est hypocrite de soutenir qu’il y a une revendication politique articulée dans les agissements violents des mouvements d’ultra-gauche. Ce sont des agissements délinquants par nature. Il est tout aussi hypocrite de soutenir que les moyens mis en face devraient être par nature autre que répressifs.

Cette double hypocrisie du discours public est en réalité la traduction d’une fracture irréductible ou l’échange d’idée est rendu impossible. La violence est ici plus que jamais que l’expression de la faillite du débat démocratique. Cette violence est une question inarticulée. Il faut en prendre acte et s’attacher à en décrypter le sens.

La polémique relative a la dissolution de la BRAV-M n’a au regard de cette remarque aucun sens, puisqu’en l’état quelle qu’en soit la forme, la question de la remise en cause de l’ordre ne peut appeler que l’emploi de la force publique, que ce soit aujourd’hui par la BRAV-M ou demain par un autre service.

Bertrand Cavallier : Le lancement des BRAV a été assez hasardeuse, du fait d’une culture initiale non assez intégrée dans la philosophie du maintien de l’ordre mais également et probablement d’un certain maximalisme observé au niveau du responsable de l’ordre public.

Pour autant, bien formées, bien encadrées, elles constituent une composante nécessaire à la bonne conduite des opérations de maintien de l’ordre dans la capitale. En effet, de par leur mobilité, leur très bonne connaissance du terrain, elles ont vocation à agir dans la profondeur, de part et d’autre des itinéraires empruntés par les cortèges des manifestations pour neutraliser des groupes d’individus susceptibles de provoquer des troubles (dégradations, incendies… ). Cette culture de fulgurance, devant bien entendu obéir aux principes de proportionnalité dans l’emploi de la force, est à la fois différente et complémentaire de celle requise pour l’action au profit des cortèges et de leur environnement immédiat, soit l’action principale.

Cette action principale relève prioritairement des unités constituées spécifiquement conçues pour le maintien de l’ordre. Structurées à cet effet, disposant d’un encadrement stabilisé et de grande expérience, formées au dialogue et à la capacité d’absorption de la violence adverse, elles présentent également tous les atouts nécessaires pour conduire des opérations dynamiques, massives ou limitées, notamment pour ces dernières grâce à leur éléments propres d’intervention (Pelotons d’intervention des escadrons de gendarmerie mobile, Sections de protection et d’intervention des CRS). Un avantage précieux de l’emploi des PI/SPI est qu’ils opèrent en parfaite coordination (appui, recueil…) avec les autres éléments de leur unité, ce qui est plus compliqué lorsque l’on active des BRAV.

Escadrons de gendarmerie mobile et Crs ont vocation, pour répondre au mieux aux impératifs de cohérence tactique (coordination entre unités, bascule de forces, combinaison des feux et des mouvements…) à être intégrées, dans un compartiment de terrain donné, respectivement dans un groupement tactique gendarmerie, ou groupement opérationnel. Ces groupements peuvent éventuellement intégrer d’autres unités issues de la préfecture de police.

Les récentes évolutions de maintien de l’ordre à Paris (manifestation du 28 mars dernier), sous l’autorité du préfet Nunez vont dans le sens d’une valorisation opérationnelle des GM et CRS, et de leurs échelons de commandement respectifs, et corrélativement à un meilleur cadrage de l emploi des BRAV. Elles ne peuvent être que bénéfiques, ce qui est objectivement recherché, à l’instauration indispensable d’un climat apaisé entre manifestants et forces de l’ordre, tout en garantissant l’efficacité attendue par tous dans la neutralisation des groupes adeptes de la violence.

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