La France de 2024 n’a pas besoin d’un homme providentiel mais d’un peuple qui se retrouve<!-- --> | Atlantico.fr
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Des personnes portant des gilets jaunes attendent sur un banc avant le début d'un rassemblement marquant le 5e anniversaire des manifestations antigouvernementales des "gilets jaunes" en 2018-2019, à Bordeaux, en France, le 18 novembre 2023.
Des personnes portant des gilets jaunes attendent sur un banc avant le début d'un rassemblement marquant le 5e anniversaire des manifestations antigouvernementales des "gilets jaunes" en 2018-2019, à Bordeaux, en France, le 18 novembre 2023.
©Thibaud MORITZ / AFP

Peuple providentiel ?

Si 2024 devait être la fin crépusculaire d’une époque, et en voir l’aube d’une nouvelle, on ne pourrait que souhaiter qu’elle permette l’émergence d’une redéfinition du sacré : un « peuple providentiel » !

Maurice Signolet

Maurice Signolet

Maurice Signolet est un ancien commissaire divisionnaire. Il a notamment exercé à Aulnay-sous-Bois.

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On pourrait s’étonner qu’un commissaire de Police, même retraité, ne profite pas d’une tribune pour faire état d’un inventaire revendicatif corporatiste. Tout cela serait parfaitement réducteur et ne permettrait en rien de témoigner du rôle privilégié d’observateur que lui a conféré son parcours. Camus, répondant à l’œuvre de Sartre « les mains sales », dans sa pièce de théâtre « les Justes », faisait dire au maréchal Skouratov, chef de la police, que « si il avait voulu être policier, c’était pour être au centre des choses ».Il est indéniable qu’un policier est aujourd’hui au centre d’un chaos, et ne pas témoigner en ce sens perdrait tout intérêt.

Mais au-delà du constat bien sombre de la réalité, on se doit, en prenant toute la hauteur que la situation exige, délivrer quelques pistes de réflexion dépassant le strict point de vue policier. Si l’on oppose le linéarisme d’Hegel qui développait le mythe du progrès partant d’un point A de la barbarie à un point B de la civilisation absolue, à la pensée de Joseph de Maistre qui lui mettait en cause cette notion de progrès en parlant d’ « époques », on peut montrer quelque optimisme. De fait ces « époques », selon Joseph de Maistre, se subdivisent en « périodes » qui persistent quelques décennies mais n’en sont pas moins déclinantes. Elles débouchent sur des épisodes de gestation où se profilent une décadence mais également une renaissance. Notre époque contemporaine est exemplaire de cette analyse tant elle se caractérise par des borborygmes rhétoriques élaborés sur d’uniques incantations ( lien étymologique avec la chanson...). Les discours politiques, dans leur ensemble, soit prônent la survenance d’un homme providentiel ce qui révèle d’une étonnante suffisance, soit développe un dévoiement rythmique, scandé, de valeurs abstraites faussement fédératrices comme la Laïcité, les valeurs républicaines, le droit à la différence, le « vivre ensemble », l’arc républicain, etc...

Le mensonge par manque de lucidité anticipatrice est ainsi institutionnalisé s’apparentant à ce que Machiavel nommait « la pensée du Palais » totalement déconnectée de la pensée des gens ordinaires, mais plus dramatiquement encore « contribuant au malheur du monde en mal nommant les choses » comme le disait Camus. Ce crépuscule des idéaux par la voie des seules incantations, persistent malgré tout comme la lumière d’une étoile morte de longue date mais dont on perçoit encore les rayons. L’ensemble des partis politiques aujourd’hui, même les plus excessifs dans leur émergence, se rapproche en réalité de ce qu’on qualifiait de « République des avocats » sous la Troisième République. L’éloquence fait son lit des incantations manipulatrices et transforme les discours politiques en leurres hypnotiques.Le désintérêt patent de l’électorat des classes populaires aux classes moyennes pour ces incantations, marque en réalité une étape latente à la reconstruction de la seule force qui vaille, celle des « gens ordinaires » dont la caractéristique fédératrice est « le simple bon sens ». Héritage du labeur, de l’effort, de la simplicité à tous égards rendant essentielles les solidarités de proximité cette force est l’immuable noblesse dont les meurtrissures de l’âme et du corps en sont les marques d’adoubement. Des « jacqueries » des siècles passées à la vague des « gilets jaunes », ces révoltes du bon sens traduisent la faillite du politique incantatoire qui, dans son désordre crépusculaire, à érigé jusqu’à son paroxysme les turpitudes aussi bien technologiques, éthiques que domestiques.

Il est aujourd’hui nécessaire, comme le préconisait Chateaubriand, de retrouver « les idées principes » ( du latin principius – ce qui sert de fondement) pour en faire un mythe fédérateur, et redéfinir à nouveau le « Nous » en partant de tout ce qui peut faire « reliance ». Si l’on se réfère au Christianisme, dans sa seule résultante expansionniste sociétale, alors que la religion des élites, Mithra, était omniprésente, c’est cette dernière religion monothéiste qui s’est répandue à travers le monde.

Religion des pauvres, des gueux, combattus, suppliciés, c’est son tissu relationnel « en pointillé » inspiré de « la communion des saints » de l’Évangile qui lui a permis de marquer l’Histoire de « ses idées principes » pendant 1000 ans ! Cette référence au sacré, sublimée par René Girard dans son œuvre « la violence et le sacré », devrait inspirer nos politiques, si tant est qu’il en existe dotés de vertus anticipatrices ! Si en 1789, l’abolition de la théocratie au bénéfice de la dictature de la Raison avait permis de substituer le caractère sacré de la Nation et de son peuple au sacré religieux, le début du XXIe siècle, lui, fait la démonstration de la ruine de l’un et de l’autre.

C’est donc vers une redécouverte, à pas mesurés, selon un rythme de réaffirmation de l’archaïsme dans son acceptation étymologique de ce qui est premier, qu’il faut recréer ce mythe fédérateur des rêves de sagesse des gens ordinaires. La verticalité des pensées élitistes a ruiné cette part d’enchantement qui donnait toute sa grandeur à l’affect tout à la fois des lieux et des hommes grâce à leur imbrication par horizontalité. Le localisme et la prise en compte de ses héritages d’enrichissements, en se reliant de strates en strates de convergence permettra peut-être au peuple de reprendre la voie de son destin.

Si 2024 devait être la fin crépusculaire d’une époque, et en voir l’aube d’une nouvelle, on ne pourrait que souhaiter qu’elle permette l’émergence d’une redéfinition du sacré : un « peuple providentiel » !

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