La coalition sans soldats occidentaux pour détruire l’Etat islamique a-t-elle des chances de succès ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Lors du sommet de l'Otan, l'avancée de l'Etat islamique a été discutée
Lors du sommet de l'Otan, l'avancée de l'Etat islamique a été discutée
©REUTERS/Stringer

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Au sortir de la réunion de l'Otan, les secrétaires d'Etat John Kerry et Chuck Hagel ont annoncé qu'"il n'y avait pas de temps à perdre pour une coalition visant à affaiblir, et in fine détruire la menace représentée par l'Etat Islamique".

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Atlantico : Quels pourraient-être les moyens d'action de cette coalition ? (Frappes aériennes ? Soutiens politiques ? ...)

Jean-Sylvestre Mongrenier : Ce type d'intervention devrait être mené par une "coalition verticale" : les puissances occidentales, Etats-Unis en tête, assurent la direction d'ensemble, collectent le renseignement, coordonnent l'action militaire des différents pays et assurent les frappes sur le prétendu "califat islamique". Au sol, les forces du gouvernement central irakien (Bagdad) et du gouvernement régional irakien (Erbil) mènent le combat. Ce partage du travail n'exclut pas la présence de forces spéciales occidentales sur le terrain, de conseillers militaires et de spécialistes, mais l'idée directrice est celle d'une présence militaire réduite au minimum nécessaire pour que l’action d’ensemble soit efficace, dans une logique de contre-terrorisme.

Au plan régional, les alliés et de partenaires de l'Occident, notamment la Jordanie et les Etats du golfe Arabo-Persique, seraient intégrés dans la coalition. Cela doit aller de pair avec des pressions diplomatiques pour lever un certain nombre d'ambiguïtés vis-à-vis du phénomène "Etat islamique", avec en contrepartie la réassurance de la sécurité des Etats concernés, menacés par le programme nucléaire iranien et ses virtualités militaires. De même que le discours du "reset" a alimenté l'idée d'un vide stratégique en Europe, ce qui a pu fausser les calculs de Vladimir Poutine, le scénario d’un retrait américain du Moyen-Orient, voire d’un retournement d'ensemble des alliances américaines dans la région, scénario des plus improbables, accroît l'incertitude régionale. Il faut être clair, notamment dans l’affaire iranienne. D'une manière générale, il revient aux puissances occidentales de définir leur politique propre dans la région, d'être plus affirmatives et volontaires. La seule présence ne suffit pas.

L'exemple de la crise en Libye, bien que contextuellement incomparable, laisse croire que des frappes aériennes seules ne peuvent pas stabiliser durablement un pays. Dans quelle mesure la crise irakienne se différencie-t-elle de cet exemple ?

Oui, le "hit and run" a ses limites: on ne peut se contenter de bombarder pour rentrer ensuite à la base et laisser faire. En Libye, il n’y avait aucune structure politique et tout reposait sur Kadhafi. Dans le cas de l'Irak, on peut s’appuyer sur ce qui existe : l'Etat central irakien et le gouvernement régional kurde. Si la situation est structurellement difficile en Irak, il n'en reste pas moins que beaucoup a été fait (nouvelle constitution, fédéralisation, multipartisme, processus électoral). Ce n'est pas une table rase et les cadres d'action sont en place. Ils sont souples et laissent suffisamment de jeu aux acteurs communautaires et confessionnels du pays. Le problème n’est pas au niveau des institutions mais des mœurs et des pratiques politiques, ce qui rend la tâche difficile. Le contexte régional est aussi en cause dans la détérioration de la situation irakienne.

L’évitement d’un départ américain précipité aurait peut-être pu conjurer le scénario du pire. A l’évidence, Barack Obama était pressé de mettre fin à ce qu’il avait nommé une "guerre de choix" et considérait qu’il avait été élu pour cela. Il est vrai que le gouvernement irakien refusait d’accorder aux troupes américaines un statut protecteur sur le plan juridique mais le président américain n’a guère insisté et il en a pris prétexte pour accélérer la manœuvre. In fine, il lui faut bien réengager les Etats-Unis en Irak. Espérons que l’on en tirera les leçons pour l’Afghanistan : les objectifs politiques doivent être resserrés, nous ne pouvons plus croire au nation-building, mais sur place, la lutte contre le terrorisme doit se poursuivre. 

La crise irakienne n'est-elle pas également d'ordre politique ? Dans l'hypothèse d'un affaiblissement de l'EI, comment stabiliser le pays ? 

Est politique ce qui est polémique, au sens fort du terme. Par définition, l'Irak vit donc une crise politique, une crise multidimensionnelle qui menace son existence, en tant que structure étatique. On sait que la politique sectaire d'Al-Maliki, l'ancien premier ministre irakien, a contribué à la radicalisation d'un certain nombre de sunnites qui ont rallié l'Etat islamique. Ainsi Al-Maliki a-t-il compromis, gâché même, ce qui avait été réalisé quelques années plus tôt par le général Paetrus, à savoir le retournement de tribus sunnites irakiennes contre Al Qaida. Téhéran, qui dispose d'importants relais à Bagdad, a poussé et poussera dans le sens d'une politique sectaire. Si des arrangements discrets et des échanges de renseignements sont possibles avec Téhéran, à l’instar de ce qui s’est fait après le 11 septembre, ce sera sur une base tactique et pragmatique. Pas de grand renversement d’alliance en vue. 

Au vrai, la fin de la longue domination politique des sunnites dans cette partie du Moyen-Orient - elle est continue depuis la période ottomane jusqu’à la tyrannie sanglante de Saddam Hussein, sans oublier l'époque du protectorat britannique - est un choc pour ces derniers : la loi du nombre joue en défaveur des sunnites (les chiites représentent les 3/5e de la population d’Irak), ce qui suscite le ressentiment d’une partie d’entre eux, longtemps habitués à dominer. C’est là une source d’instabilité qui profite à l’Etat islamique. Il n'y a pas de martingale : il faut tout à la fois frapper pour refouler et détruire l'Etat islamique, exercer des pressions sur Bagdad pour réinsérer pleinement les Sunnites dans le jeu politique interne, chercher à stabiliser l'environnement régional pour que l'Irak, plus largement l'isthme syrien (entre Méditerranée orientale et golfe Arabo-Persique) cesse d’être le terrain d'un vaste affrontement régional. Enfin, la montée en puissance de l'Etat islamique ne peut se comprendre sans le chaos syrien où l'attentisme occidental, le soutien russe au jusqu'au-boutisme de Bachar Al-Assad et l'impuissance de la «communauté internationale» ont ouvert un boulevard pour le djihadisme globalisé. Il y a certes un terreau mais ce n’est pas une fatalité, du moins sur une telle ampleur. L’attentisme a son coût. Par ailleurs, Bachar Al-Assad a joué la carte du djihadisme global, pour diviser ses adversaires. A ce sujet, rappelons aussi que dans les années 2000, les djihadistes de type Al Qaida passaient par la Syrie pour combattre les Américains en Irak. Bachar Al-Assad n’est pas un rempart contre le djihadisme. 

Quid du risque d'alimenter une nouvelle fois le sentiment que les Américains, et leurs alliés, alimentent par de telles actions la théorie des "croisés" qui fonde les positions des islamistes radicaux ?

Si l'insertion d'alliés régionaux dans une vaste coalition vise aussi à éviter que l'engagement ne prenne l'allure d'un nouveau choc entre l'Occident et le monde arabe et musulman, il reste que nous n'avons pas véritablement prise sur ce type de représentation fantasmatique. Nous ne pouvons pourtant pas laisser massacrer des populations - les Chrétiens d'Orient, Yézidis, Kurdes, Turcomans, civils de toutes obédiences - et laisser une vaste partie du Moyen-Orient basculer dans le chaos, au prétexte de ne pas alimenter des discours dénonçant "les Juifs et les Croisés". C'est un discours fou et infalsifiable qui se nourrit de sa réfutation. Il revient donc aux gouvernements occidentaux d’'agir en fonction des responsabilités qui sont les leurs et de la gravité de la situation locale et régionale. Ce n’est pas une psychothérapie consistant à travailler sur ses représentations pour lever le voile sur l’inconscient. Nous sommes tout à la fois dans le champ de la morale, de la stratégie et de la géopolitique. 

Le mal est nommé, les auteurs du mal sont désignés, la théorie de la guerre juste fournit aux Occidentaux une solide base éthique et juridique sol (ne suspendons par une intervention au bon vouloir de pays irrespectueux du droit). La guerre juste n'est pas une croisade : c'est une guerre de nécessité, sans objectifs d'ordre religieux, qui vise à protéger. Des vies humaines, des principes fondamentaux, des libertés de base sont en jeu. Depuis que l’Empire ottoman a éclaté, à l'issue de la Première Guerre mondiale, les Occidentaux sont parties prenantes du Moyen-Orient et il n'y a plus sur place d'« Etat phare », de puissance hégémonique régionale à même d'assurer un semblant d'ordre, de promouvoir des gouvernements décents L’idée d'un Iran réinséré dans la Communauté internationale qui jouerait le rôle de « stabilisateur hégémonique » est une construction des plus hypothétiques. D'une part, l'Iran n'a pas reculé sur son programme nucléaire : depuis l'accord intérimaire de l'automne 2013, la négociation n'a pas avancé (l’AIEA a aussi signifié l’absence de bonne volonté et de transparence). D'autre part, imagine-t-on un Moyen-Orient très largement sunnite, comportant des pays d'importance, accepter l'hégémonie iranienne-chiite ? Téhéran n’a pas de légitimité au plan régional et vise à s’imposer comme puissance dominante : les Etats de confession sunnite ne resteront pas inactifs et chercheront eux aussi à accéder au nucléaire. A l’évidence, les puissances occidentales ne peuvent se détourner de cette partie du monde. Simultanément, leurs gouvernements doivent veiller à ne pas se laisser absorber. C’est un chemin de crête. 

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