La BCE s’interroge sur son cœur de mission et voilà pourquoi nous devrions tous nous y intéresser <!-- --> | Atlantico.fr
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La présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, s'entretient avec le ministre des Finances luxembourgeois Pierre Gramegna, le 17 juin 2021.
La présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, s'entretient avec le ministre des Finances luxembourgeois Pierre Gramegna, le 17 juin 2021.
©FRANCISCO SECO / PISCINE / AFP

L'heure du bilan ?

Les banquiers centraux européens se réunissent à Francfort ce vendredi pour débattre autour de sujets majeurs comme le changement de l'objectif d'inflation de la Banque centrale européenne pour rendre la politique monétaire plus verte et sur la nécessité de redéfinir l'élaboration des politiques de la zone euro.

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet est économiste senior chez Pictet Wealth Management, en charge de l'Europe, depuis septembre 2015. Auparavant, il était économiste chez Credit Agricole CIB entre 2005 et 2015. Spécialiste de l'économie européenne, et de la politique monétaire de la BCE en particulier, ses travaux portent notamment sur le cycle du crédit, les politiques monétaires non-conventionnelles et leurs conséquences pour les marchés financiers.

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Atlantico : La BCE se réunit ce vendredi à Francfort pour discuter de nombreux sujets. Outre les débats sur une politique monétaire plus verte et une meilleure prise en compte du coût de l'immobilier, il sera question de la redéfinition de l'objectif d'inflation. Qu'est-ce qui fait consensus et qu'est-ce qui divise sur ce sujet majeur ?

Frederik Ducrozet : L'objectif d'inflation est en débat mais aussi les outils pour y arriver. Sur l'objectif d'inflation en lui-même je ne crois pas qu'il y ait une forte opposition sur le fait de la rendre explicitement symétrique. La symétrie autour de 2% serait un changement formel. La dernière fois que la BCE a fait une revue stratégique c'était en 2003 quand elle a précisé que l'inflation ne devait pas être inférieure à 2% mais proche de 2%. Il y a une petite incertitude sur la possibilité d'introduire une forme d'intervalle de confiance ou de tolérance autour de 2% notamment parce que la BCE s'était exprimée il y a quelques temps sur l'opportunité de telles cibles d'inflation. Mais la solution qui semble l'emporter est la solution la plus simple, c'est-à-dire une cible de 2% symétrique. De toute façon c'est déjà le cas dans les faits. Le communiqué de la BCE lors de sa réunion de politique monétaire inclut déjà une référence à cette symétrie de son objectif d'inflation. Ce processus mûrit depuis longtemps, il va être institutionnalisé.

Tout le débat que la BCE peut avoir, c'est sur une forme plus ou moins explicite de ciblage moyen d'inflation où l'on tolère, voire même on cible une inflation supérieure à sa cible de 2% pendant un certain temps pour compenser l'écart d'inflation à la baisse qu'on a cumulé pendant des années. C'est encore perçu comme une étape un peu trop radicale pour les faucons des pays du nord et de la Bundesbank en particulier parce qu'on imagine que laisser l'inflation au-dessus de 2% pendant très longtemps c'est risquer de ne plus être capable de la ramener à 2%. Connaissant Christine Lagarde, elle va sécuriser un consensus le plus large possible et ne pas aller vers du ciblage moyen d'inflation sans parler d'un ciblage des prix ou des revenus qui pour le coup impliquent encore plus d'inflation pour revenir au niveau des prix de l'indice des prix à la consommation et revenir à une tendance de croissance de 2% sur le long terme. On estime aujourd'hui que la BCE est 8% en-dessous, un indice des prix virtuels qui aurait augmenté de 2% chaque année depuis le début du mandat de Draghi. Pour atteindre cet objectif il faudrait 3% voire 4 ou 5% d'inflation pendant des années et c'est quelque chose qui est a priori exclu au sein de la BCE.

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Y a-t-il un risque de surévaluer le risque d'inflation ?

On est effectivement en plein dans ce débat car il est très difficile de mesurer l'inflation depuis un an à cause de la pandémie. C'est davantage le cas aux Etats-Unis où se cumulent plusieurs effets, des goulets d'étranglements, des prix des matières premières qui augmentent et des tensions sur le marché du travail. La FED est loin d'avoir tranché le débat. Jérôme Powell est en train de nuancer sa vision temporaire de l'accélération de l'inflation qui pourrait rester sur un plateau plus élevé que prévu pendant plus longtemps. Pour la BCE, ce problème est beaucoup plus facile à gérer. Déjà parce que la zone euro part de beaucoup plus bas. On a une inflation sous-jacente de 1% environ. On va avoir une inflation en hausse en deuxième partie d'année, ne serait-ce que parce que l'Allemagne avait baissé la TVA au second semestre 2020 et que l'effet de base va pousser l'inflation à la hausse en Allemagne jusqu'à 3,5 %. C'est un sujet mais le débat est plus rapidement tranché dans la zone euro. On peut difficilement craindre une surchauffe de l'inflation. C'est un peu l'avantage du plus faible comparé à ce qu'on observe aux Etats-Unis.

La BCE se rapproche-t-elle des missions de la FED comme le retour au plein emploi ?

La première réponse qu'on pourrait vous faire c'est que non, c'est impossible car cela implique un changement de traité. La BCE a été construite sur ce mandat unique de l'inflation auquel sont ensuite ajoutés en complément d'autres objectifs que la BCE peut poursuivre tant qu'ils ne font pas préjudice au premier objectif qui est celui de l'inflation. L'interprétation conservatrice est de dire que la BCE dans le cadre de son mandat peut déjà faire absolument ce qu'elle veut tant que cela ne génère pas une hyperinflation incontrôlée. Des think tank comme Bruegel suggèrent que c'est quelque chose qui doit être clarifié car un texte de loi est toujours sujet à interprétation. Tous les autres objectifs sont secondaires, or aujourd'hui ils sont peut-être devenus prioritaires. Cependant, je vois mal la BCE d'elle-même prendre l'initiative de changer son mandat.

La BCE a-t-elle plus de poids que n'importe quelle mesure gouvernementale ?

Cela dépend des périodes. En temps de crise, cela a été le cas jusqu'au Covid. L'année dernière, c'est à la fois les décisions des Etats membres et de la BCE ensemble qui ont permis d'éviter la catastrophe. En 2008, c'est surtout les banques centrales qui ont réagi avant les Etats (et encore, très tardivement en Europe). La plupart du temps, les conséquences principales se voient en termes d'épargne et d'immobilier. De ce point de vue, la BCE peut être mal perçue car on comprend qu'elle réduit les rendements sur les produits d'épargne les plus simples mais c'est en général beaucoup plus compliqué que ça.

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