L’Ukraine prévient qu’elle n’a plus de réserves alors que Poutine masse 500 000 combattants sur la ligne de front : l’Europe est-elle prête aux conséquences ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine au Kremlin, le 9 mai 2024.
Vladimir Poutine au Kremlin, le 9 mai 2024.
©Maxim Shemetov / POOL / AFP

Fragilité

Les généraux ukrainiens avertissent qu'ils n'ont plus les moyens de résister à l'assaut choc russe contre Kharkiv.

François Chauvancy

François Chauvancy

Le général (2S) François Chauvancy est consultant en géopolitique. Il est aussi l'auteur de « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d’influence, affrontement économique ».

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Atlantico : Les généraux ukrainiens avertissent qu'ils n'ont plus les moyens de résister à l'assaut choc russe contre Kharkiv. À quel point la situation est-elle inquiétante pour Kiev ?

François Chauvancy : Je pense que les Ukrainiens se montrent plus inquiets que la réalité. Nous pouvons noter qu'un général commandant la défense ukrainienne a été relevé de son commandement il y a quelques jours. S’il a été relevé pendant une bataille, cela signifie qu’il n’a pas rempli sa mission.

Or, aujourd'hui, qu'est-ce qu'on constate à Kharkiv ? C'est que les Russes ont pu avancer et on a l'impression, avec tous les témoignages qui reviennent du terrain, que la protection de la ville n'a pas été optimale depuis la reconquête ukrainienne. Donc il y avait une déficience déjà militaire du commandement. Ensuite, une relance des attaques terrestres russes paraissait peu vraisemblable malgré les frappes quotidiennes sur la ville.

Maintenant, que les généraux s'inquiètent, oui. Pour comprendre la réalité du terrain, je reprendrai le témoignage d'un journaliste biélorusse que j'ai entendu. Il a donné un point de repère assez intéressant sur tous ces villages qui sont aujourd'hui conquis par les Russes. Il a remarqué que lorsque les personnes âgées sont évacuées des villages, c'est que vraiment, cela va mal. Et c'est vrai que d'habitude, les personnes âgées restent dans les villages et ne partent que si elles n'ont pas le choix. Or les autorités ukrainiennes évacuent ces personnes actuellement.

La menace est donc réelle. Une partie au moins des trente à cinquante mille Russes identifiés par les Ukrainiens depuis plusieurs semaines dans la région de Belgorod, s'est avancée dans cette zone dite grise au Nord et Nord-Est entre 30 et 50 km de la ville. Elle a bousculé les forces ukrainiennes présentes et amène ces questions : dans le contexte général certes d’un manque d’effectifs sur l’ensemble du front, les forces ukrainiennes étaient-elles vraiment en nombre suffisant ? L’objectif était-il d’occuper tout le terrain ou simplement de disposer d’avant-postes qui leur permettent de déceler une attaque et ensuite de réagir sans croire réellement à la possibilité d’une attaque d’importance ?

Le fait d’envoyer des brigades en renfort à Kharkiv confirmerait en tout état de cause ce manque d’effectifs mais aussi cette perception qu’une avancée russe semblait peu probable selon le commandement au moins local.

Maintenant, les généraux ukrainiens se retrouvent face à une avancée russe qui suscite l'inquiétude du président Zelensky lui-même, puisqu'il a annulé même un voyage à l'étranger pour être là. Cela confirme finalement les appels que les Ukrainiens font depuis des semaines pour avoir plus de munitions, plus d’aides. Et puis, cela tombe au même moment où M. Blinken est à Kiev pour apporter le soutien moral et psychologique, sinon financier, aux Ukrainiens.

Quelles seraient les conséquences pour Kiev d'une réussite de l'offensive russe contre Kharkiv ?

Il ne faut pas se focaliser sur la seule offensive contre Kharkiv, mais apprécier cette attaque dans le contexte d’un offensive généralisée qui s’étend globalement sur un front de six cents kilomètres. Donc, je parle bien d'offensive généralisée qui a débuté depuis plusieurs semaines à partir de la prise d'Avdiïvka, un verrou qui a sauté et a permis aux Russes d’avancer d’au moins d'une vingtaine de kilomètres vers l’Ouest et d’atteindre aussi les lisières de la commune Tchasiv Yar, un point clé du terrain.

Ensuite, l'analyse que les Russes font de la situation, c'est qu'à l'été prochain le rapport de forces pourrait changer en leur défaveur. Globalement, les munitions, les nouveaux équipements seront arrivés au moins partiellement aux mains des Ukrainiens. Cela signifie que les villes seront mieux protégées, tout comme les systèmes de production électrique ou les infrastructures, les unités notamment contre les avions russes qui ont repris l'avantage et qui sortent maintenant régulièrement.

C'est aussi une économie européenne qui se met à produire. Je ne veux pas dire que tout sera suffisant, que tout arrivera à temps. Mais ce que les Russes ont bien analysé, c'est que c'est maintenant qu'il faut prendre l'avantage sur les Ukrainiens alors que ceux-ci n'ont plus de munitions, manquent d’équipements, que leurs unités ont été très usées dans toutes les batailles qui ont eu lieu depuis des mois, parce qu'on parle des pertes russes, mais il faut bien s'imaginer que les pertes ukrainiennes sont là aussi. Pour les Ukrainiens, l’objectif est de tenir jusqu'à l'automne.

Et puis il y a le facteur climatique. Il fait beau. Il n'y a pas de pluie, ou très peu. Le terrain est sec. Il y a de la verdure là où cela n'a pas été détruit par les tirs ou les combats. Ça veut dire que les soldats russes peuvent s'infiltrer. Ils peuvent avancer à couvert sans être repérés puis tirés par les drones.

C'est pour ça qu'il y a eu des ordres de retrait de positions qui n'étaient plus défendables depuis hier et que c'est dit ouvertement, ce qui change un petit peu. J'ai le souvenir de ces messages d'il y a quelques mois où, du président Zelensky jusqu'à la base, on disait qu'on défendrait tout mètre carré de la terre ukrainienne. Il y a quand même un important changement du discours face à la réalité.

En cas de réussite de cette offensive russe, quelles seraient les conséquences pour les Occidentaux et au premier chef pour les Européens ? Est-ce que la réussite de l’offensive peut encourager les Européens à envoyer des troupes ? 

Pour le premier point, la position des européens va être délicate. Ils ne cessent de dire « On soutiendra l'Ukraine jusqu'au bout » et leur crédibilité pour assurer la défense du continent européen est donc en jeu. Le problème, c'est que, si l'Ukraine s'effondre peu à peu, les Européens seront soumis à un dilemme s’ils croient à la victoire ukrainienne (ou ne veulent pas la victoire russe) : soutenir l’Ukraine pour une durée indéterminée ou anticiper une fin de la guerre avec des négociations acceptables en limitant à terme leur soutien. En l‘occurrence, à moyen terme, c'est-à-dire si effectivement la guerre se poursuit en 2025-2026, là, sans doute, je dirais matériellement, financièrement, oui, l'Ukraine devra être soutenue pour assurer cette crédibilité européenne mais avec l’obligation d’un résultat réel sur le terrain à obtenir par les Ukrainiens. A plus long terme, des choix différents devront être envisagés.

Le deuxième point, c'est effectivement la projection de troupes au sol par les alliés de l’Ukraine. Ce que je dis très souvent : on ne peut pas décider que, demain matin, on envoie des troupes au sol alors que le front commence à s'effondrer. Si la perception politique des dirigeants européens est que le front va s'effondrer, on envoie des troupes avant que cela ne puisse arriver compte tenu des délais d’acheminement de milliers d’hommes, de leurs équipements, de la logistique et donc aussi des munitions nécessaires. Cette décision se prend en amont pour qu’elle puisse avoir un effet militaire sinon politique sur le terrain.

Or personne ne veut envoyer de troupes et chacun attend la catastrophe, c'est-à-dire une défaite au moins locale de l’armée ukrainienne pour (peut-être) prendre la décision qui sera alors trop tardive. Cela signifie qu'on ne les enverra pas dans un contexte de défaite militaire de l’armée ukrainienne sauf à prendre le risque de pertes importantes, sans doute injustifiables devant nos opinions publiques.

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