L’inoxydable réflexe Maginot : Sciences Po face à ChatGPT <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Education
Sciences Po interdit désormais à ses étudiants d'utiliser le logiciel ChatGPT pour les examens ou les devoirs à rendre.
Sciences Po interdit désormais à ses étudiants d'utiliser le logiciel ChatGPT pour les examens ou les devoirs à rendre.
©BERTRAND GUAY / AFP

Interdiction

La direction de Sciences Po a annoncé que ses élèves avaient désormais l’interdiction d’utiliser ChatGPT, l’IA conversationnelle mise au point par OpenAI.

François Garçon

François Garçon

Auteur de France défaillante, Il faut s’inspirer de la Suisse, Ed. L’Artilleur, 2011, prix Aleps du livre libéral 2022. François Garçon a rédigé plusieurs ouvrages sur les mérites de la Suisse (Le modèle Suisse, Perrin – Le Génie des Suisses – Tallandier) , et a enseigné pendant plusieurs années à la Sorbonne.

Voir la bio »

Les réactions au déboulement de ChatGPT sont symptomatiques de la façon dont les élites françaises réagissent face à l’innovation. Il est certes de bon ton de ricaner sur les œufs de cheval dont ChatGPT nous invite à nous méfier, au cas où l’on songerait en faire une omelette. Ce logiciel est en réalité révolutionnaire. Ceux qui l’ont testé sont bluffés par sa capacité de synthèse, la qualité du rédactionnel, sa rapidité. A l’évidence, il s’agit là d’une innovation de rupture dans le champ de l’apprentissage, de la formation, de la gestion des données. D’où la question : qu’en faire ? 

De manière pavlovienne, les mêmes recettes éculées sont ressorties du tiroir. « Faisons donc tourner les logiciels antiplagiats ! » Les plus malins parmi les plagiaires sachant parfaitement contourner l’obstacle, généralement seuls les imbéciles se laissent attraper, notamment ceux recourant à des « nègres », soit mal payés, soit incompétents. L’efficacité de ce premier contre-feu est donc nul.

Autre recette, l’interdiction : « Jeudi 26 janvier, le directeur de la formation et de la recherche Sergeï Guriev informait que l’usage de ChatGPT devenait «pour l’instant strictement interdit lors de la production de travaux écrits ou oraux par les étudiantes et étudiants». Et ce, «sous peine de sanctions qui peuvent aller jusqu’à l’exclusion de l’établissement voire de l’enseignement supérieur»[1]. Ainsi a-t-on appris qu’en France, Sciences-po aurait été l’un des premiers établissements d’enseignement à restreindre l’usage de ChatGPT.

Surtout ne pas miser sur un usage intelligent de cette technologie d’automatisation, mais l’interdire ! Mais qu’a donc à perdre l’Education nationale à intégrer ChatGPT à sa palette pédagogique ? Si notre enseignement national se distinguait par l’excellence de son produit et de ses résultats, cela se saurait. Or tel ne semble pas être le cas. « Education nationale : spectaculaire dégradation de la satisfaction des Français »[2], titrait les Echos fin janvier. Et tous les benchmarking internationaux (PISA, TIMSS, PIRLS) attestent, année après année, que rien ne va plus dans l’immense machine éducative française.

Bref, il est urgent de reconsidérer notre manière d’enseigner et, avant de repousser ChatGPT, essayons de voir en quoi, il peut être de bon secours. Par avance, parions que les élèves et étudiants sauront en tirer parti, eux que l’intelligence artificielle, ni n’effraie, ni ne rebute. ChatGPT devrait permettre de revoir le processus d’évaluation des élèves et des étudiants, les amener à s’orienter non sur la régurgitation de cours appris par cœur, mais sur leur capacité à poser des questions, à se déplacer dans un océan de données.

Et, pour revenir à Sciences Po, pourquoi ne pas envisager une formation à cet algorithme, une formation destinée aux enseignants ?Par crainte d’apparaître décalés par rapport à leur environnement d’enseignement, sans doute que ces derniers ne se bousculeraient-ils pas. La peur du ridicule, propre à une élite scolaire convaincue à vie de sa supériorité intellectuelle fondée sur un bachotage scolaire en formation initiale, n’incite guère en effet au dévoilement de ses propres limites cognitives. Mais la finalité de toute formation, qu’elle se situe au niveau primaire, secondaire ou supérieure, est-elle de prioriser le confort des enseignants ou bien d’aider les jeunes, les préparer le mieux possible à leur avenir professionnel ?

L’exemple à suivre nous vient peut-être du canton de Genève. D’ores et déjà, les enseignants du secondaire s’y bousculent pour apprendre à maîtriser ChatGPT et, à cette fin, des formations leur sont proposées. Le 25 janvier, le Département de l’Instruction Publique (DIP) organisait une première formation destinée aux enseignants des niveaux collège et lycée : avec 150 inscrits, l’offre remportait un succès certain, à la mesure sans doute des enjeux pour ce secteur d’activités.

Plutôt que de réagir à la manière d’un rhinocéros, comme l’a fait Sciences Po, mieux vaut en effet apprivoiser cet agent conversationnel qui, probablement, ne laisse qu’entrevoir une infime palette de ses possibilités. A maintes reprises, la ligne Maginot, spécialité française, a prouvé son inefficacité. Il est dommage qu’en construire une nouvelle ait été la première réaction de Sciences Po qui, nous assène sans rire Aurélie Jean, « forme les leaders et les penseurs de demain »[3].

François Garçon

Historien, essayiste, auteur de France défaillante, Il est temps de s’inspirer de la Suisse, L’Artilleur, 2021, Prix Aleps du livre libéral 2022.



[1] Sciences Po encadre l’usage de ChatGPT par ses étudiants, Le Figaro.fr, 26 janvier 2023. 

[2] La une des Echos, 31 janvier 2023

[3] Aurélie Jean, Le Figaro, 2 février 2023. L’auteure plaide pour un enseignement de ChatGPT à Sciences-Po.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !