L’industrie européenne, sempiternelle grande victime de la naïveté des dirigeants de l’UE<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président américain Joe Biden promulgue la réforme "Inflation reduction Act" à la Maison Blanche, le 16 août 2022
Le président américain Joe Biden promulgue la réforme "Inflation reduction Act" à la Maison Blanche, le 16 août 2022
©MANDEL NGAN / AFP

Inflation Reduction Act

Dernier épisode en date, les aides massives décidées par Joe Biden dans son Inflation Reduction Act pour la construction d’usines « vertes » aux États -Unis

François Geerolf

François Geerolf

François Geerolf est économiste, professeur à l'Université de Californie (UCLA).

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Atlantico : L’Inflation Reduction Act (IRA) a été votée par le congrès américain, ce qui inquiète les européens, pourquoi ?

François Geerolf : Il y a un aspect majeur, sur le plan industriel, qui inquiète les européens. C’est l’ensemble des modalités qui se rapportent aux subventions à l’industrie, pouvant prendre plusieurs formes : des subventions directes à l’installation d’usines, de l’ordre de plusieurs millions, mais aussi des aides aux ménages qui achètent des produits, comme les voitures électriques, fabriqués en Amérique du Nord.

Les réactions européennes montrent un vrai mécontentement. Mais dans quelle mesure sont-ils à blâmer pour ne pas avoir répondu ?

Le problème est que ces actions sont très inhabituelles dans la gouvernance mondiale impulsée par les Etats-Unis, notamment avec l’OMC. Les règles étaient censées réguler la bonne organisation du commerce mondial avec l’idée d’un level playing field. Cela suppose qu’il n’y ait pas de subventions trop fortes à l’installation d’usines, ce qui pourrait être considéré comme une distorsion de concurrence afin de favoriser l’emploi sur son sol. Ces aides d’Etat tombent doncsous le coup de l’OMC, peut-être pas du point de vue juridique mais au moins dans leur esprit. Cela prend l'Europe à contrepied: le problème qui se pose pour l’Europe, c’est qu’elle s’est construite autour de l’idée de libre-échange avec comme priorité de limiter entre ses membres les obstacles au commerce, ce qui s’est peu à peu étendu aux partenaires commerciaux extérieurs à l’Europe. Mais le monde anglo-saxon est en train de changer. Joe Biden mène des politiques ouvertement protectionnistes. Même si les Etats-Unis ont toujours su préserver quelques chasses gardées sur certains secteurs, on assiste en ce moment à une extension de ce mouvement à tous les secteurs stratégiques : voitures électriques, hydrogène, etc. Toutes les technologies d’avenir sont visées. Ils les veulent sur leur sol et profitent de la perte de compétitivité de l’Europe due à la hausse des prix de l’énergie (qui touche tout particulièrement l'Europe, car les prix de l'électricité et du gaz augmentent au niveau régional) pour convaincre les industriels de venir s’installer aux Etats-Unis. Ils cherchent en cela à affaiblir leurs concurrents et notamment l’industrie allemande. Ils estiment désormais que l’industrie est importante et qu’il faut le protéger. C’est un discours que nous ne tenons plus en France depuis longtemps car la Commission européenne, comme de nombreux experts en Europe sont très peu nuancés dans leur défense du libre échange.

On entend Emmanuel Macron demander un Buy european act. Est-ce la solution ?

Je suis assez pessimiste. Certes cela va dans le bon sens, mais ils appellent à un Buy european act et je ne crois pas du tout que nos partenaires européens en aient envie. Je crains fort que nous n’arriverons pas à nous mettre d’accord. On voit de plus en plus de sujets de divergence entre la France et l’Allemagne en ce moment, sur un peu tous les sujets. La divergence grandit entre les deux pays. Mais c’est un enjeu très important car l’Europe risque de descendre de plusieurs marches si elle subit une vague de désindustrialisée liée à l’action conjointe des Etats-Unis et des prix de l’énergie en Europe. Le risque est que nous Européens n’arrivions plus à peser face à la Chine ou aux Etats-Unis. La question qui va finir par se poser, c’est de savoir qu’il y a un sens à une Union censée nous rendre plus fort, dans la mesure où nous n’arrivons plus à nous mettre d’accord sur grand chose.

Dans quelle mesure y-a-t-il une forme de naïveté des dirigeants européens ?

Il y a effectivement une forme de naïveté. Par exemple dans l’idée que l’industrie « ce n’est pas si important que ça » comme le pensent certains économistes. Il y a aussi un réflexe européen à estimer que quand les autres sont protectionnistes nous avons, nous, toujours intérêt à être libre-échangiste. C’est une vision très théorique, et pour tout dire plutôt idéologique de l’Union européenne qui est regrettable. Il y a eu des succès mais aussi des échecs du libre-échange, de la même manière qu'il y a des des échecs mais aussi des succès du protectionnisme. Mais comme tout protectionnisme est vécu comme un nationalisme, on n’est pas rationnel sur ce sujet.

Dans quelle mesure est-ce que cette situation européenne est récurrente ?

Tout dépend des pays, l’Allemagne a jusqu’ici relativement tiré son épingle du jeu. Mais certaines nations européennes souffrent depuis un moment. La France et l’Italie connaissent depuis les années 1990 une désindustrialisation. La question est de savoir si cela est lié aux politiques menées en Europe ou non. Il y a déjà eu une vague de désindustrialisation après la crise de 2008. L’Allemagne avait bien réagi, via du chômage partiel, là où la France perdait de nombreux emplois industriels. On risque de vivre la même chose. Et le problème est qu’une industrie qui part est difficile à faire revenir. Le président de Safran envisage de s’installer aux Etats-Unis. Les industriels jouent les Etats les uns contre les autres pour avoir les meilleures subventions possibles. L’Europe fait beaucoup attention à ses déficits publics, peut être devrait elle y consacrer moins de temps et plus aborder les sujets d’industrie, de filière.

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