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L'hypermnésie, ce grand mystère scientifique : quand une "mémoire parfaite" peut devenir une chance… ou une malédiction
©Allan Ajifo / Flickr

Souvenir, souvenir

Certaines personnes se rappellent de quasiment tous les détails de leur vie. Et cette extraordinaire capacité de mémorisation intéresse la science au plus haut point.

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

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Que faisiez-vous le 21 février 2007 aux alentours de midi ? Même en fouillant dans vos agendas, vous auriez des difficultés à répondre à cette question. Difficile de se souvenir de tous les détails de notre vie, n'est-ce-pas ? Pourtant, certaines personnes, eux, s'en souviennent. Ces personnes ont un don, une mémoire sensationnelle. Ils possèdent des souvenirs précis de détails parfois parfaitement insignifiants, remontant parfois à leur plus tendre enfance. En anglais, on les appelle les HSAM, "Highly superior autobiographical memory" (soit : mémoire autobiographique hautement supérieure). En français, ce phénomène est nommé l'hypermnésie.

"Le terme d’hypermnésique définit une personne présentant une mémoire exceptionnelle, en ce sens qu’elle a une capacité véritablement inhabituelle de retenir des informations, se traduisant par la possibilité de pouvoir restituer avec exactitude et détails des évènements passés", nous explique André Niéoullon, professeur de neurosciences à l'Université d’Aix-Marseille, président du Conseil scientifique de la Fédération pour la recherche sur le cerveau.

Mais d'où viennent ces dons ? Les "HSAM" ont attisé la curiosité de nombreux scientifiques. L'ne des pistes d'étude a rapidement été le côté "narcissique" de cette mémoire. Car si ces "génies des souvenirs" se rappellent avec exactitude des détails les plus dérisoires de leur vie bien à eux, ils ne sont pas plus doués qu'une personne lambda pour se remémorer une suite de chiffres, ou d'autres données abstraites.

Les hypermnésiques ne doivent donc pas être confondus avec des personnes atteintes du "syndrome du savant", du style Rain Man (un film inspiré de l'histoire vraie de Kim Peek, un Américain qui pouvait réciter 12 000 livres presque mot pour mot) ou des mnémonistes.

"Les mnémonistes présentent aussi une capacité mnésique exceptionnelle mais, dans ce cas, les personnes qui possèdent ce don (et souvent l’exploitent comme tel…) font appel, consciemment ou pas, à des stratégies qui facilitent la mémorisation", souligne André Niéoullon. "Les cas les plus connus, étudiés dès le début du XXième siècle par le psychologue russe Alexandre Luria, sont ceux de personnes utilisant ce que l’on nomme une synesthésie, c’est-à-dire une capacité d’associer à chaque élément visuel rencontré un autre élément, conduisant à une représentation -imaginaire- du monde qui, bien souvent, s’écarte du monde réel".

Les HSMA s'intéresseraient, eux, uniquement à leur vie, aux personnes qui les intéressent et à leurs loisirs. Ils n'utilisent pas de moyens mnémotechniques. Autre caractéristique étrange : les HSMA sont également enclins à se rappeler certaines choses… qui ne sont jamais arrivées.

(Crédit : JeanneMenjoulet&Cie / Flickr)

Pour comprendre, Craig Star de l'université de Californie a réalisé des scanners du cerveau de certaines hypermnésiques, mais ils se sont révélés décevants. Non, les HSAM ne disposent pas d'un troisième hémisphère dans leur cerveau. Les chercheurs ont certes révélé certaines caractéristiques spécifiques, comme des connexions supplémentaires entre les lobes frontaux (ce qui est lié à la pensée analytique). Mais ces constats pourraient finalement être la conséquence de leurs capacités exceptionnelles, et non la cause.

Le secret résiderait peut-être plutôt dans des schémas moins conventionnels. Les scientifiques ont pu remarquer que les HSAM sont très sensibles à deux points a priori contradictoires : la capacité à la rêverie et l'absorption. Cette dernière pourrait se définir par la capacité à s'immerger complètement dans sa bulle, et à ressentir très fortement les odeurs, les couleurs et les bruits.

Grâce à cette absorption, les personnes possèderaient des sorts d'accroches, des fondations, leur permettant de se souvenir de tels événements avec acuité. "À chaque fois que j'entends une date, à la télévision ou ailleurs, je me projette automatiquement à ce jour-là et je me souviens où j'étais, ce que je faisais, quel jour de la semaine c'était", raconte AJ, une hypermnésique.

Parallèlement, leur tendance à la rêverie leur donnerait l'occasion de visiter ces souvenirs régulièrement, et ainsi de les entretenir. Et c'est là que le bât blesse. Car si certains HSAM profitent de ces capacités pour posséder des connaissances inégalées dans certains domaines qui les passionnent, d'autres restent bloqués dans le passé, refusant de s'ouvrir à de nouveaux souvenirs. Une rupture amoureuse peut alors se transformer en véritable calvaire, la personne ressassant à l'infini les souvenirs des couleurs et des odeurs de ces jours-là.

Bénédiction pour certains, malédiction pour d'autres... et source d'inspiration pour les neurologues, qui espèrent bien percer un jour le secret de cette mémoire quasi parfaite, et ainsi aider ceux qui ont des difficultés d'apprentissage ou les personnes perdant progressivement leurs souvenirs.

"Les cas d’hypermnésie ont toujours retenu l’attention des chercheurs en neurosciences et ces cas rares et extraordinaires sont souvent source d’informations précieuses", confirme André Niéoullon. "D’abord, les consultations les plus fréquentes s’agissant de réminiscences de souvenirs sont relatives à des évènements traumatisants dont le souvenir est dès lors trop vivide et alimente le syndrome de stress post-traumatique illustré par exemple par les récits de guerre de militaires ayant vécu des périodes douloureuses, mais aussi de victimes d’attentats comme ceux que nous avons vécus récemment. Dans ce cas précis, la méthode mise en œuvre par les psychologues est de demander aux patients de raconter encore et encore l’évènement. De fait, la consolidation mnésique présente la caractéristique – parfois encore discutée- de se renouveler à chaque rappel. Considérant alors le contexte -apaisé- dans lequel se fait la nouvelle consolidation, celle-ci peut s’inscrire dans un nouveau contexte où l’anxiété va être moindre par rapport à l’évènement initial lui-même.

Deuxième illustration : si la synesthésie peut être un handicap, pourquoi ne pas l’utiliser pour renforcer des mémoires déficientes, par exemple dans le cas de patients des syndromes de type Alzheimer ? L’association de mots et d’éléments contextuels pourrait représenter une stratégie de rééducation, au même titre que tous les exercices visant à faciliter le rappel par des indices indirects. Deux exemples donc, pour oublier et pour ne pas oublier…"

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