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L’héroïsme et l’incroyable courage des hommes du commando Kieffer lors du Débarquement
©MYCHELE DANIAU / AFP

Bonnes feuilles

Stéphane Simonnet publie "Nous, les hommes du commando Kieffer" (éditions Tallandier). 6 juin 1944. 176 jeunes volontaires, avec à leur tête le commandant Kieffer, sont les premiers et les seuls Français à fouler les plages de Normandie. Au crépuscule de leur vie, les vétérans du commando Kieffer livrent leurs souvenirs. Extrait 2/2.

Stéphane Simonnet

Stéphane Simonnet

Docteur en Histoire, chercheur à l’Université de Caen et ancien directeur scientifique du Mémorial de Caen, Stéphane Simonnet a consacré sa thèse au Commando Kieffer. Auteur de plusieurs ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale, il a notamment publié Commandant Kieffer, le Français du Jour J (2012), Les 177 Français du Jour J (2014), Maquis et Maquisards, La Résistance en armes, 1942-1944 (2015), Les combats oubliés de la Libération, les poches de l’Atlantique (2015), Sur les traces du Commando Kieffer en Normandie (2017). Il est membre du Conseil scientifique de la Fondation de la France Libre et depuis 2015 à la tête d’Histo Facto, agence en charge du développement de projets muséographiques liés à la Seconde Guerre mondiale.

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Au début de l’année 1944, on a intégré le Commando n° 4 de Robert Dawson. De Bexhill, on est partis dans un camp au secret, à Titchfield. On y est restés consignés pendant une dizaine de jours. On dormait sous des tentes. C’est là qu’on nous a montré les maquettes et les photographies aériennes de l’endroit où on allait débarquer. Les gars de Normandie connaissaient bien le coin, comme ce copain qui m’a dit : « Tu vois, c’est la rivière de l’Orne. » Ça nous a aidés. On a su tout de suite où on allait. 

On nous faisait défiler par groupes devant la maquette du Débarquement. Ça se passait sous une tente. Sous d’autres tentes, il y avait différentes choses à voir, peut-être des photos, mais moi, je n’ai eu accès qu’à la maquette. Les Anglais nous expliquaient ce que nous devrions faire une fois là-bas. On ne pouvait pas prendre de notes, il fallait tout retenir. 

Après, on a embarqué sur la barge n° 527, avec toute la troop n° 1. Il y avait aussi la troop n° 8 et la  section de mitrailleuses K Gun. Les gars de la K Gun sont arrivés à Eastbourne assez tard, en février 1944. Quand elle a été formée, je faisais partie de la troop n° 9. Mais, pour les Anglais, on était tous des commandos FNFL, de la France libre. On avait des badges cousus sur nos manches : « France  commando » et « FNFL ». On disait aux Anglais : « French never forget love », les Français n’oublient jamais l’amour ! 

Pour en revenir à la barge n° 527, j’ai embarqué avec Kieffer, Pinelli, Pépé Dumenoir, enfin, toute l’équipe. Pendant la traversée de la Manche, je n’ai pas tellement dormi, j’ai sommeillé. On avait ces petites boîtes qu’on frottait pour les réchauffer, elles contenaient un liquide chaud, une soupe de tortue. À bord, certains se reposaient, d’autres s’affairaient dans leur coin. Il y avait un poste avant, un poste arrière, et c’est tout… ce n’était pas grand comme bateau. À un moment, je suis sorti pour prendre l’air et pour pisser.

Quand on a vu la côte française, on a entendu un grand boum. C’était l’explosion de la passerelle avant de notre embarcation. Pépé était déjà descendu avec quelques autres. Quand notre tour est arrivé, on ne pouvait plus sortir. Alors le bateau de la troop n° 8 s’est positionné contre le nôtre. Il a fallu qu’on passe sur la barge n° 523 de la troop n° 8. Tous mes copains l’ont fait. J’étais le dernier, j’ai tendu mon arme, la Bren Gun, à Rollin. Manque de pot, à ce moment-là, les deux barges se sont écartées et je suis tombé au milieu. J’ai perdu mon sac qui me faisait piquer du nez, et mon fusil. 

Quand je suis arrivé sur le sable, je n’avais plus d’arme, je n’avais plus rien. J’ai vu Kieffer couché sur la grève. Il m’a dit : « Fous-moi le camp ! » C’est comme ça que je suis arrivé sur la dune. Il y avait des morts sur la plage. J’ai ramassé un fusil et des grenades, tout ce que je pouvais. On a été regroupés troop par troop et Alexandre Lofi a pris la tête des opérations. Moi, j’étais toujours commandé par Lanternier, je le suivais avec le reste de ma section. Et on est partis vers le casino. 

Le long du chemin qui y menait, il y avait des prisonniers allemands qui avaient été capturés. Avec les hommes de la troop n° 1, on est passés par la route de Lion, puis par celle qui descend sur le casino, qui était protégée par un mur, l’avenue Pasteur. Les Allemands nous tiraient dessus, sur notre gauche. Le docteur Lion a traversé la rue pour sauver Paul Rollin qui était touché, puis je ne l’ai plus revu. J’ai entendu que des gars de chez nous tiraient sur le casino depuis les fenêtres d’une maison. Alors j’ai vu Kieffer arriver sur un char. Il m’a dit : « Tu vas me chercher la troop n° 8, qu’ils arrivent par ici. » Je suis reparti et les premiers gars que j’ai vus étaient Roelandt et Saerens. Je leur ai demandé qu’ils se ramènent sur le casino parce qu’on avait besoin de renfort. Quand on est arrivés, il y avait déjà pas mal de gars de la troop n° 1. 

Une fois le casino libéré et les Allemands capturés, on est revenus sur nos pas pour aller chercher nos affaires. Là, j’ai trouvé un sac qui était resté à l’abandon. Je ne savais même pas ce qu’il y avait dedans, ni à qui il était. Je l’ai pris, et je suis parti avec mon arme. On a marché en direction de Pegasus1 en passant par Saint-Aubind’Arquenay. On a dû faire un arrêt parce que des snipers étaient installés dans le clocher de Bénouville. Il a fallu le contourner en file indienne pour aller reprendre le pont. 

À Pegasus, il y avait des Anglais, des Airborne qui étaient déjà arrivés. Je crois qu’ils étaient contents de nous voir, nous aussi d’ailleurs ! On était aussi un peu surpris de les trouver là. On a franchi le pont et on a vu des planeurs dans l’herbe. Alors on a compris tout le travail qu’ils avaient déjà accompli. Des Allemands tiraient sur l’autre rive, mais heureusement, sur chaque côté du pont, des tôles nous protégeaient. On a quand même eu des pertes. Celui qui était devant moi a été blessé, c’était Coppin je crois, celui qui me suivait aussi, je ne sais plus qui c’était. Et mon sac a été percé de part en part. 

Ensuite, on est montés sur Amfreville. On devait arriver par l’arrière de l’église, par un chemin qui grimpe. Mais avant, on s’est arrêtés dans un troquet où on a trouvé du Pernod, des cigarettes, du miel… On a continué sur Amfreville. C’est sur ce petit chemin que Vinat a été tué, à l’Écarde. Derrière l’église d’Amfreville, il y avait une charrette et des chevaux. La troop n° 8 est passée sur la droite, là où il y a un café. La troop n° 1 s’est éparpillée. J’étais avec Boccadoro. On s’est creusé une petite tranchée protégée par des fagots. En face de nous, il y avait un nid de mitrailleuses allemand qu’on a réussi à battre. Mais on nous tirait dessus depuis un petit chemin qui menait à un champ. J’ai donc passé ma première nuit dans un trou avec Boccadoro. 

On est restés quelques jours à Amfreville. On s’est installés en face de la ferme de Bernard Saulnier, derrière l’église. On nous tirait tout le temps dessus. On ne voyait pas les Allemands, mais on savait qu’ils avaient des Panzer ! Alors Lanternier a commencé à désigner des gars pour patrouiller. Un jour, Allain est revenu avec un Chleu. Il lui donnait des coups de pied dans le cul pour le faire avancer. J’ai vu beaucoup de choses, mais je ne peux pas toutes les raconter… Moi, c’est avec Scherer que je patrouillais. Lui, il parlait allemand. Il me disait toujours : « Jean, tu viens avec moi. » Alors à chaque fois, il fallait que je le suive. Un jour, dans une maison qui appartenait au garde champêtre, Scherer nous a fait un poulet au calvados et la gamelle a pris feu. On est pas mal allés du côté de la ferme Oger. Il y avait un champ et, au-dessus, les marais. Les Allemands se cachaient dedans. Avec Scherer, on patrouillait souvent dans le bas pour voir s’il ne restait pas des Allemands isolés. Il y avait des petits blockhaus. Avec un Bangalore, Scherer en a fait sauter un qui avait encore son canon à l’intérieur. C’est Scherer qui l’a fait sauter, moi j’étais là, à attendre, pour le cas où un Allemand serait venu à sortir. 

Le 10 juin, on a dû faire face à une contre-attaque allemande très dure. Ça y allait ! Essentiellement aux tirs de mortiers j’ai l’impression, car beaucoup de gars ont été touchés aux bras, aux jambes. Ce jour-là, Louis Bégot a été grièvement blessé. 

Après, on a commencé à bouger et à gagner un peu de terrain. Les Anglais devaient nous remplacer, alors on a quitté Amfreville, et avant d’arriver à Bavent, j’ai eu mon coup dur : j’ai reçu des éclats dans les jambes. On m’a enlevé mon pantalon, il y en avait dix. Le petit Yves Quentric a roulé mon poignard dans mon béret, l’a mis dans mon battledress et il m’a ramené. Il m’a conduit dans une tente où il y avait plein de mecs allongés, tous blessés. J’ai été transporté, je ne sais pas comment, je ne me rappelle plus. Mais je suis arrivé en Angleterre par bateau. Puis on m’a amené dans un hôpital, je ne sais pas où. Et de l’hôpital, on m’a envoyé dans une maison de repos du côté de l’Écosse.

Quand je suis redescendu dans le sud de l’Angleterre, dans le camp de Petworth, tout le monde était rentré de Normandie. Comme j’étais inapte, Kieffer m’a renvoyé à la caserne Bir-Hakeim près de Portsmouth. C’est là qu’on m’a donné une permission pour aller voir ma famille. Je suis donc parti avec des béquilles. Je suis arrivé à Cherbourg, et de Cherbourg, j’ai pris le train pour SaintMalo. C’était en septembre 1944. Ils étaient heureux de mon retour.

Extrait du livre de Stéphane Simonnet, "Nous, Les hommes du commando Kieffer", publié aux éditions Tallandier

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