L'exemple édifiant de Thierry Henry : comment les agents mettent la pression à de jeunes joueurs de football et peuvent ruiner leur carrière<!-- --> | Atlantico.fr
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Thierry Henry laissera à Arsenal une trace monumentale : 226 buts en 370 matchs entre 1999 et 2007. Et une statue qui trône, aujourd'hui, au pied de l’Emirates Stadium.
Thierry Henry laissera à Arsenal une trace monumentale : 226 buts en 370 matchs entre 1999 et 2007. Et une statue qui trône, aujourd'hui, au pied de l’Emirates Stadium.
©Reuters

Bonnes feuilles

Les agents des joueurs de football sont leurs conseillers, parfois leurs amis, ils côtoient le gotha, ils brassent des millions, ce sont des faiseurs de rois pour certains, des mafieux, des voyous pour d’autres… Autant d’images accrochées au revers de leur veste. Tout le monde sait qu’ils existent et qu’ils sont incontournables dans le "milieu" du foot. Mais que font-ils vraiment ? Pour la première fois, l’un d’eux dévoile ce qu’est le métier d’agent, entre négociations serrées, ruses diverses, caprices de stars et coups de stress à gérer… Un quotidien trépidant, une pléiade d’anecdotes, un témoignage dérangeant… Extrait de "Transferts" de Marc Roger, publié aux éditions L'Archipel 1/2

Marc Roger

Marc Roger

Marc Roger est né en 1963 à Alès, dans le Gard, où il réside actuellement. Il a lancé une société de création de vêtements de sport avec le danseur étoile Patrick Dupond, avant de devenir gestionnaire de patrimoine. En affaires avec une société ayant pour client le PSG, il découvre les coulisses du foot et devient proche de plusieurs joueurs. En 1989, il franchit le pas et devient agent. Dix ans plus tard, après s’être associé à Dominique Rocheteau, puis à Jean-François Larios, il est l’un des agents français les plus influents. 

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Rejoindre Arsenal, à l’époque, c’est une quasi-garantie de réussite. Staff francophone, coéquipiers français… Signer à Arsenal, ce n’est pas tout à fait signer en Angleterre. De 500 000 francs brut par mois à Monaco, Henry peut alors passer à 500 000 francs net d’impôt à Arsenal, le tout assorti d’un contrat de cinq ans. C’est un changement de monde qui attend Titi. Mais, en ouvrant la porte à son transfert vers Arsenal, Campora redoute de voir ses deux autres champions du monde, Fabien Barthez et David Trezeguet, militer à leur tour pour un départ vers un grand club européen. Et Campora restera inflexible, le transfert ne prendra pas forme.

Six mois plus tard, en janvier 1999, rebondissement. Un matin, le président de Monaco interpelle le joueur : « Tu ne t’entraînes pas, tu pars immédiatement à Turin. La Juventus nous a fait une très belle proposition. Tu es transféré là-bas. » Dans cette opération, on trouve notamment l’agent Luciano D’Onofrio, un proche de Campora. À la lecture de L’Équipe, les jours précédents, j’avais pressenti qu’un coup se tramait dans notre dos avec la Vieille Dame. Pour tenter de mettre un terme à cette manœuvre, il me faut joindre le joueur au plus vite. Quand je parviens à le contacter, Henry vient d’arriver au siège de la Juve, à Turin :

— Titi, tu ne vas quand même pas signer à la Juve ! En plus sans nous prévenir !

— Oui, mais Campora ne veut pas que tu sois là… C’est compliqué…

— Campora, il fait une erreur en te transférant là-bas contre ton gré. Écoute, on va chercher à savoir ce que propose la Juventus à Monaco et on va aviser. Tu préfères aller où ? 

— À Arsenal. 

— OK, j’appelle Arsène. 

Je joins le manager français des Gunners : 

— Arsène, la Juve est en train de recruter Henry pour 70 millions de francs. 

— À ce prix-là, je le prends tout de suite. 

— Alors, appelle le joueur. Au bout du fil, Henry confirme à Wenger qu’il veut rejoindre Arsenal. Je rappelle l’attaquant des Bleus : 

— Titi, à un moment, tu vas bien finir par sortir de ces foutus bureaux. Dès que c’est le cas, tu sautes dans un taxi et tu files à l’aéroport de Milan. Arsenal t’envoie un avion privé. Quand tu arriveras à Londres, j’y serai aussi. Et si Campora veut éviter le bordel, il acceptera la proposition des Anglais, qui sera égale à celle de la Juve. S’il n’accepte pas, tu ne redescends pas à Monaco ! Mais il acceptera car il ne prendra pas le risque que ça mette le feu dans les journaux…

L’émissaire d’Arsenal attendra en vain Thierry Henry à l’aéroport de Milan. Trop de pression sur les épaules d’un joueur d’à peine vingt et un ans ? Possible. Quand il sortira des bureaux de la Juve, il avait signé son contrat avec le club italien… Avec Jeff, autant dire qu’on était remontés comme des pendules après ce coup fourré. Alors qu’on avait misé sur Henry à l’aube de sa carrière, la commission liée à son premier transfert venait de nous passer sous le nez. Quelque temps plus tard, nous sommes partis voir l’attaquant à Turin. Se passera alors quelque chose que je ne reverrai jamais par la suite : un joueur va nous payer la commis sion, du moins une bonne partie de la commission que nous aurions perçue si nous avions négocié son contrat. Henry s’est conduit en gentleman. Il nous a versé 1,3 million de francs. Et nous décidons de continuer à travailler ensemble.

Les six premiers mois de Thierry Henry à la Juventus se passent mal. Il joue peu. Ou sans influencer les matchs. L’été venu, son club veut le prêter à Bologne. C’était Luciano Moggi, l’homme fort de la Juve, et grand « stratège » des transferts en Italie, qui avait décidé de le mettre à Bologne pour élever le temps de jeu de sa recrue. Arsène Wenger, lui, s’était nettement refroidi… Avec JeanFrançois Larios, on va alors s’activer pour raviver l’envie du manager d’Arsenal de recruter Titi. Le jour où on arrive à Bologne pour discuter de son prêt, on parvient in extremis à convaincre Arsène de le prendre. L’échec de ces six premiers mois à la Juve avait rendu l’Alsacien sceptique sur la capacité du joueur à briller dans un grand club étranger. Par bonheur, ses réticences ont pu être levées. En proposant à la Juventus 72 millions de francs, Arsenal va se lancer dans l’une des opérations les plus rentables de l’histoire moderne du club. Au fond, une carrière tient à peu de chose : si Wenger n’avait pas changé d’avis ce jour-là, Thierry Henry aurait porté le maillot de Bologne et ne serait peut-être jamais devenu le buteur légendaire d’Arsenal… Avec le temps, on en rigolera avec Moggi. Quand je lui rendrai visite à Turin, je lui dirai toujours :

— Thierry Henry va bien, il te passe le bonjour…

— Arrête de me chauffer avec ça ! Dire qu’il était ici, avec la Juve…

On sait tous la trace monumentale que Thierry Henry laissera à Arsenal. 226 buts en 370 matchs entre 1999 et 2007. Et une statue qui trône, aujourd'hui, au pied de l’Emirates Stadium. Il était écrit que Titi serait un grand joueur, mais un tel crack, peu l’avaient imaginé. Il a travaillé comme un fou pour y parvenir. À Londres, il a progressé dans le geste final. Dès le début, Arsène voulut l’installer dans l’axe alors que la Juventus avait tendance à l’utiliser sur le côté gauche.

Extrait de "Transferts - Dans les coulisses du foot business" de Marc Roger, publié aux éditions L'Archipel, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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