Mourir pour Kiev ? L’Europe est toujours loin d’être au clair sur ce qu’elle ferait en cas d’invasion russe en Ukraine<!-- --> | Atlantico.fr
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Un militaire ukrainien marche le long d'une tranchée dans la région de Donetsk, le 24 novembre 2021.
Un militaire ukrainien marche le long d'une tranchée dans la région de Donetsk, le 24 novembre 2021.
©SERGEY VOLSKIY / AFP

L'Europe Unie ?

Les dirigeants occidentaux présentent un front uni dans l’attente des discussions Biden Poutine. Mais les actes tiendraient-ils derrière les mots ?

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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François Campagnola

François Campagnola

François Campagnola est chercheur à l'IPSE (Institut pour la Prospective et la Sécurité en Europe). 

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Atlantico : Alors que la Maison Blanche a averti, à la veille d’une visioconférence avec le Kremlin, ses alliés européens qu’une invasion de l’Ukraine par la Russie pourrait-être imminente et s’est dite «prête à réagir » en cas d’agression militaire, cette menace est-elle prise au sérieux par les dirigeants européens ? Réagissent-ils correctement aux menaces ?

Dr. Florent Parmentier : La menace d’un conflit en Ukraine ne peut naturellement qu’inquiéter les Européens, qui seront les premiers impactés en cas de conflit, ce pays étant frontalier de la Roumanie, de la Slovaquie, de la Hongrie et de la Pologne. De plus, c’est un pays de transit traditionnel pour le gaz russe, source d’approvisionnement importante pour les Européens. 

Cependant, il n’y a pas consensus sur la vraisemblance d’une attaque russe à grande échelle de l’Ukraine. Le fait que la Russie exhibe ses forces en manœuvrant près de 100.000 hommes selon certaines estimations semble apparaître comme le prélude à une négociation qu’à la préparation d’une guerre, dont aucun camp ne pourrait réellement sortir gagnant.

Si les Européens sont globalement sur une ligne cohérente – affirmant une volonté de défendre la souveraineté de l’Ukraine, tout en évitant un conflit – l’importance relative accordée à la vraisemblance d’un conflit de haute intensité varie selon les Etats.  

François Campagnola : Les Européens ont très largement dit qu’ils étaient préoccupés par la situation de la mobilisation d’importantes forces russes à la frontière ukrainienne. Ils n’en ont toutefois pas directement tiré qu’une invasion de l’Ukraine est imminente. De ce point de vue, il semble y avoir un décalage d’appréhensions entre les positions américaines et européennes. A rappeler qu’on s’était trouvé dans une situation qui ressemble à celle d’aujourd'hui en juin dernier et que les Russes avaient finalement retiré leurs troupes à la suite d’un contact direct entre les deux présidents américains et russe. Il y a en outre dans tout cela une situation de poker menteur où le bluff joue un rôle mais une erreur d’évaluation ou un accident est toujours possible qui pourraient entrainer les parties au-delà de ce qui peut être prévu au départ.

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Dans un communiqué, les dirigeants de l’Allemagne, des États-Unis, de la France, de l’Italie et du Royaume-Uni ont « exprimé leur détermination à ce que la souveraineté » de l’Ukraine « soit respectée ».  Au-delà de cette prise de position, les dirigeants européens ont-ils une position claire sur le sujet russo-Ukrainien ? Quels sont les rapports de force internes ?

Dr. Florent Parmentier : Washington a déjà affiné sa stratégie dans le cas d’un conflit entre la Russie et l’Ukraine, pronostiqué pour janvier ou février, en alliant soutien à l’armée ukrainienne, fortes sanctions économiques et renforcement des capacités régionales de l’OTAN. 

De leur côté, les Européens ont réaffirmé la nécessité de défendre la souveraineté ukrainienne, mais n’enverront pas plus de troupes que l’OTAN. En revanche, on peut estimer qu’ils prendront toute leur part dans un jeu de sanctions économiques. A cette occasion, l’orientation politique de la nouvelle coalition allemande sera testée, avec une ligne qui sera déterminée par le chancelier Scholz mais tempérée probablement par une Ministre des affaires étrangères issue du rang des Verts, généralement plus durs sur la Russie.             
Au passage, du côté des signataires, il est frappant d’observer la présence du Royaume-Uni, qui n’est plus membre de l’UE, mais surtout l’exclusion de la Pologne, pays connu pour ses positions dures sur la Russie, et qui ne fait donc pas partie des pays signataires, en dépit d’une connaissance fine de la région. Les dirigeants polonais paient sans doute une attitude du gouvernement en place hostile vis-à-vis de l’UE.

François Campagnola : A ma connaissance, aucune des parties occidentales n'a évoqué la possibilité d’une réponse militaire à une invasion de l’Ukraine et l’administration Biden a clairement fait savoir qu’il y aurait une réponse forte mais limitée au domaine des sanctions économiques. La presse se fait l’échos d’une possibilité d’exclusion de la Russie du système d’échanges d’informations financières Sift qui pourrait handicaper lourdement l’économie russe. Enfin, l’expérience a montré que, tant en ce qui concerne l’invasion de la Géorgie en 2008 que lors de l’annexion de la Crimée, l’OTAN est resté l’arme au pied. Cela n’empêche pas les Américains d’aider les forces armées ukrainiennes à s’équiper. Mais, là également, la prudence s’impose.


Les dirigeants européens pourraient-ils être prêts à intervenir réellement si une invasion russe était véritablement engagée ? En cas d’offensive militaire, peut-on envisager une inaction comme ce fut le cas lors de l’annexion de la Crimée en 2014 ?

Dr. Florent Parmentier : Une intervention militaire est probablement exclue pour les Européens. Pour intervenir militairement, il faudrait tout d’abord une offensive classique en bonne et due forme (et non un conflit hybride), et une stratégie de défense de l’Europe. Or, si la population ukrainienne se sent profondément européenne, l’Ukraine ne fait ni partie de l’OTAN, ni de l’UE. Les clauses de solidarité prévues en cas d’attaque ne peuvent donc pas s’appliquer (l’article 5 dans le cadre de l’OTAN), et ce alors même que les Européens ne peuvent se désintéresser du sort de l’Ukraine. 

Paradoxalement, on entend peu le discours de la Russie, qui mentionne l’achat de drones turcs par l’Ukraine, la présence croissante de la flotte de l’OTAN dans la mer Noire et la présence de bombardiers américains à quelques kilomètres de la frontière russe, comme étant à l’origine des manœuvres qu’elle est en train d’effectuer. Ni même ses soupçons d’une offensive ukrainienne dans le Donbass, qui en l’état actuel semble constituer une menace largement factice. Il faut pourtant également prendre en compte ces représentations de la menace, même si nous ne les partageons pas.

De fait, les sanctions économiques seront au cœur de la réponse européenne.

François Campagnola : Sur le fond, il est clair qu’une perspective d’intégration de l’Ukraine à l’OTAN est inacceptable pour la Russie. L’invasion de la Géorgie a à cet égard eu pour toile de fond la demande géorgienne d’intégration à l’OTAN et on sait ce qui en a résulté. Aussi, je pense qu’il faut prendre cette question très au sérieux et considérer que les Ukrainiens courent un risque d’autant plus inutile en agitant ce chiffon rouge que leur dispositif notamment de défense est encore loin de pouvoir être certifié OTAN. La prudence serait donc d’accepter un statut de neutralité militaire qui n’empêche pas l’Ukraine de continuer à faire les réformes nécessaires à son rapprochement de l’Union européenne. Ceci étant, c’est probablement plus facile à dire qu’à faire compte tenue de la Crimée, de la situation dans le Donbass et des autres sujets de discorde.


Quelles sont les options sur la table pour répondre de la part de l’Europe ou de l’OTAN en cas d’invasion ? Les « occidentaux » préfèrent-ils l’option de sanctions économiques lourdes ?

Dr. Florent Parmentier : En cas d’invasion, les premières mesures seront des sanctions ciblées, indolores pour la population en général. S’il fallait aller plus loin, l’une des réponses fortes possibles des Etats-Unis consiste à couper la Russie du système d’échanges d’information financière SWIFT, la contraignant de fait à se passer du dollar dans ses transactions. Cela peut infliger de lourds dommages financiers à nombre d’acteurs économiques influents en Russie, incitant à la modération. Mais nul doute qu’à terme, cela poussera également la Russie à rechercher avec la Chine à établir un système financier propre, sapant l’autorité des Etats-Unis en la matière. 

François Campagnola : Enfin, il ne faut pas oublier non plus qu’une invasion russe de l’Ukraine se solderait pas un grand nombre de morts de part et d’autre et il convient de savoir si ce qui reste d’opinion publique en Russie est prête à un tel sacrifice. Personnellement je n’en suis pas certain. 

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