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L’étrange défaite de François Hollande : ce social-libéralisme dont les Français veulent bien tant qu’on ne lui donne pas de nom
©POOL New / Reuters

N'importe quoi pourvu que tu me dises que c'est socialiste...

Alors que le quinquennat Hollande touche à sa fin, force est de constater les deux principales erreurs commises par le président : un travail de vocabulaire relatif à ses dernières réformes totalement omis et un calendrier politique mis en oeuvre "à l'envers".

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Yves Roucaute

Yves Roucaute

Yves Roucaute est philosophe, épistémologue et logicien. Professeur des universités, agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’État en science politique, docteur en philosophie (épistémologie), conférencier pour de grands groupes sur les nouvelles technologies et les relations internationales, il a été conseiller dans 4 cabinets ministériels, Président du conseil scientifique l’Institut National des Hautes Etudes et de Sécurité, Directeur national de France Télévision et journaliste. 

Il combat pour les droits de l’Homme. Emprisonné à Cuba pour son soutien aux opposants, engagé auprès du Commandant Massoud, seul intellectuel au monde invité avec Alain Madelin à Kaboul par l’Alliance du Nord pour fêter la victoire contre les Talibans, condamné par le Vietnam pour sa défense des bonzes.

Auteur de nombreux ouvrages dont « Le Bel Avenir de l’Humanité » (Calmann-Lévy),  « Éloge du monde de vie à la française » (Contemporary Bookstore), « La Puissance de la Liberté« (PUF),  « La Puissance d’Humanité » (de Guilbert), « La République contre la démocratie » (Plon), les Démagogues (Plon).

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Réforme du code du travail, CICE, etc. : les dernières réformes du gouvernement Hollande ont suscité/suscitent une forte levée de boucliers, aussi bien dans l'opinion qu'au sein de la majorité. Pourtant, l'électorat de gauche semble prêt à un passage vers "la modernité", mais celui-ci semble être opposé à la rhétorique "sociale-libérale". Peut-on en conclure que l'erreur de François Hollande aura été de suivre un agenda social-libéral sans jamais avoir expliqué à son électorat qu'un tel programme était bien "de gauche"comme en témoignent les exemples de Gerhard Schroder ou de Tony Blair ?

Yves RoucauteFrançois Hollande n'a pas réussi à mener de front des discours et des réformes qui soient "liberal" au sens américain du terme, renvoyant ainsi à la gauche outre-Atlantique. Celle-ci est tout aussi bien favorable à des mesures du type lois Macron ou El Khomri, mais également au Mariage pour tous. Dans ce cas, nous aurions été dans une stratégie cohérente de la part de François Hollande, mais qui aurait nécessité, bien-sûr, une révolution théorique, idéologique et culturelle par rapport au PS ; cela aurait constitué la victoire de ce qui a été appelé, il y a une vingtaine d'années, "la gauche américaine". Malheureusement, François Hollande n'a pas eu la clairvoyance de mener cette bataille "liberal" au sens américain du terme, qui aurait consisté en une synthèse à la française des idées défendues en leur temps par Schröder, Blair et Obama. Cela s'explique par le fait qu'il lui a manqué la cohérence idéologique nécessaire parce que le PS est en état de déliquescence intellectuelle. Celle-ci se paye très chère aujourd'hui. Le PS n'a pas été capable de nettoyer devant sa porte, de se débarrasser de son extrême-gauche, alors que le chemin lui était pourtant ouvert. Il aurait fallu accomplir cet effort dès le début du quinquennat, ce qui aurait facilité la transmission de cette ligne idéologique qu'on peut appeler "sociale-libérale".

François Hollande a pêché sur le plan idéologique et culturel. Il a été obligé de continuer à tenir un discours archaïque, et même réactionnaire je dirais, par rapport aux réformes politiques et économiques dont le pays a besoin, de même qu'un discours qu'il croit "progressiste", celui à l'américaine qui consiste à soutenir toutes les minorités. Cela ne constitue pas une vraie ligne politique mais une culture idéologique qui est celle du politiquement correct. Si le PS avait entrepris dès le début de son quinquennat les réformes actuelles, elles seraient probablement passées, et il aurait probablement bouleversé le paysage culturel du pays, et contraint par conséquent la droite à se remettre également en question. Or le résultat actuel, c'est une gauche incohérente et éclatée, et un François Hollande qui essaye de rattraper son extrême-gauche parce qu'il a peur d'une éventuelle motion de censure qui pourrait être déposée par cette dernière et qui risque fortement d'emporter le gouvernement. Le PS est actuellement explosé entre une gauche et une extrême-gauche dont l'origine remonte à l'extrême-gauche socialiste-révolutionnaire du XIXème siècle ; on a également une gauche communiste extérieure au parti ; des ancêtres du PSU encore présents ; des ancêtres de la social-démocratie, la vraie, qui s'était incarnée à un moment donné dans Guy Mollet ; des ancêtres des réformistes qui se sont incarnés dans François Mitterrand pendant un temps. La confusion d'esprit de François Hollande tient au fait qu'à l'ENA, il n'y a pas de pensée structurée et forte. C'est une institution qui produit des gestionnaires qui naviguent un peu à vue et qui essayent de prendre le pouls du pays : un coup on fait dans la démagogie politiquement correcte, un coup on fait dans le social-libéralisme, un coup on fait dans l'archaïsme. Le projet de loi El Khomri le montre bien : on a eu des reculs incessants pour au final aboutir à une réformette qui ne représente pas grand-chose. 

Jérôme Fourquet : Comme souvent pour la gauche au pouvoir, la difficulté aura été de faire à la fois son agiornamento idéologique et de gérer le pays dans des circonstances très compliquées. Comme on put le dire Mitterand ou Blum, François Hollande affirme également que la gauche arrive au pouvoir lors de moments de crise, ce qui n'est pas tout à fait faux. Face à cette difficulté d'agenda, la gauche doit adapter son logiciel sous la pression des évènements, ce qu'on a pu constater à nouveau avec François Hollande notamment lorsqu'il a reconnu avoir sous-estimé les effets de la crise. Proposer le projet de loi El Khomri tout en connaissant l'état actuel des rapports de force politique, c'est assurément prendre un risque. Il le prend délibérément afin de mettre toutes les chances de son côté pour relancer l'économie, quitte à prendre des risques politiques. Le fait qu'il mette cette réforme en oeuvre à la fin de son quinquennat révèle une erreur d'analyse de la gravité de l'ampleur de la crise. François Hollande sort de l'ambiguité à ses propres dépens. Si l'on reprend le discours du Bourget, celui-ci a bien été rédigé afin de prendre en compte toutes les composantes de la gauche et leur faire ainsi entendre ce que chacune avait envie d'entendre. Une fois arrivé au pouvoir, il lui a fallu choisir, et il a choisi ce que l'on pourrait qualifier de composante "sociale-libérale". Si l'on reprend sa trajectoire personnelle, il s'agit là du fil rouge de son positionnement historique depuis l'époque Jacques Delors.

Ce que l'on pourrait qualifier de "coming-out" social-libéral remonte à ses voeux prononcés le 31 décembre 2013 lorsqu'il avait annoncé la nécessité de relancer la machine économique. Il faut aussi se rappeler que lors de sa campagne, il avait déjà évoqué les problèmes de compétitivité de la France et du coût du travail. Il revient dessus et accompagne ainsi le mouvement de conversion d'une partie de l'électorat de gauche à cette idéologie "sociale-libérale". Ce n'est qu'à partir de ce coming-out qu'on peut estimer qu'il a commencé à faire un travail pédagogique auprès de l'électorat de gauche et qui explique ce mouvement de conversion, ce qui est déjà beaucoup dans l'évolution des grands rapports de force idélogiques dans notre pays. Passer des charges sociales et du coût du travail avec le pacte de compétitivité et de responsabilité à la réforme du code du travail semble être un pas trop ambitieux pour les Français dans le cadre de la politique de l'offre du président, au regard des chiffres du chômage. Il a réussi à convaincre une partie de l'électorat de gauche qu'il fallait faciliter les possibilités d'embauche et d'investissement pour les entreprises. Or, dans le cas de la réforme du code du Travail, la pédagogie consistant à dire qu'il faut faciliter la procédure de licenciement pour embaucher est beaucoup plus problématique. Cet effort idéologique est, à mon avis, hors de portée pour les socialistes. 

Raul Magni-Berton : Je crois que le problème est plus profond qu'une simple erreur de pédagogie. Les partis politiques et l'électorat français diffèrent sur ce point de leurs homologues allemands ou britanniques, car ils sont, depuis très longtemps, beaucoup plus hostiles au libéralisme économique. Si on analyse les programmes politiques des partis, les références positives au libéralisme sont très faibles, y compris chez les partis de droite. Les sondages montrent également que l'électorat français est moins séduit par les mesures libérales. Et même au niveau des politiques menées, le "tournant néo-libéral" est bien moins accentué en France qu'en Allemagne ou au Royaume-Uni. En fait, le social-libéralisme - comme le néo-libéralisme - est très en vogue en Europe, mais en France beaucoup moins. Il me parait donc électoralement périlleux de suivre les pas de Blair et de Schröeder. 

Comparativement à François Hollande et Emmanuel Macron, Manuel Valls semble être la personnalité du gouvernement ayant le plus assumé ce travail sur les mots lié aux différentes réformes mises en oeuvre. Quels bénéfices politiques aurait pu en tirer François Hollande ? A l'inverse, l'incapacité de Macron à faire ce travail de vocabulaire ne tient-il pas à la nature même de ce mouvement "ni gauche, ni droite" ?

Raul Magni-Berton : Vous pourriez avoir raison, mais, à ma connaissance, les "mots justes" ne jouent qu'à la marge. Valls a l'avantage, par rapport à Hollande, d'avoir globalement garder la même position depuis qu'il peut régulièrement s'exprimer à un large public. Il n'a donc pas déçu ceux qui étaient avec lui, ce qui n'est pas le cas de Hollande. Cela dit, même Valls paye la politique qu'il mène. Quant à Macron, il est à la place la plus délicate pour la gauche actuelle: l'économie. 

Yves RoucautePour ce qui est d'Emmanuel Macron, ce n'est pas tout à fait exact : il se situe assez clairement au niveau du centre-gauche. Il vient d'obtenir le soutien du maire de Lyon ; il a également autour de lui toute une partie de la gauche libérale proche du patronat, sensible à la nouvelle économie. Bien qu'il n'aille pas très loin, il dépasse quand même la plupart de ses concurrents socialistes. Et c'est sur cette ligne-là, un peu à l'américaine du type Obama, qu'il pourrait se présenter à la présidentielle de 2017, surtout qu'elle n'est pas occupée. Reste à voir s'il sera capable d'aller jusqu'au bout de ce qui a fait la force de Tony Blair, à savoir allier la force du Royaume-Uni avec les idéaux de gauche et un véritable libéralisme. Tony Blair n'a pas du tout défait ce qu'a fait Thatcher, alors que la première chose qu'a faite François Hollande, avant même le Mariage pour tous, c'est de défaire ce qu'a fait Nicolas Sarkozy. Cela a été la grande force de Tony Blair : prendre en compte les mesures de modernisation adoptées par Thatcher, en les réorientant, et même parfois en les poussant davantage. 

Aurait-on pu envisager un scénario plus favorable pour ces réformes si le travail de vocabulaire adéquat autour d'elles avait été réalisé ? En quoi ce "malentendu" a-t-il également pu favoriser l'émergence des frondeurs ?

Raul-Magni Berton : Je ne peux qu'insister sur le fait que le fond de la critique, ce sont les réformes, et non le vocabulaire utilisé. Si nous voulons nous diriger vers un système plus proche de la flexi-sécurité des Scandinaves, il faut commencer par la sécurité et non par la flexibilité. Du moins, si on est un parti de gauche. Les réformes économique conduites par ce gouvernement sont trop dans la ligne de celles faites par nos voisins, et leur impact, en France, ne peut qu'être mauvais. 

Mariage pour tous en premier, puis CICE et réforme du code du Travail : ne peut-on pas dire que François Hollande a mis en oeuvre un calendrier politique "à l'envers", favorisant d'abord une mesure jugée "de gauche" et terminant sur des réformes positionnées dans l'imaginaire collectif "à droite" ? Dans quelle mesure aurait-il été possible pour lui d'inverser cet ordre ? Cela lui aurait-il permis d'augmenter ses chances pour 2017 ?

Jérôme FourquetPour ce qui est du mariage pour tous, nul à droite comme à gauche n'avait anticipé l'ampleur de la mobilisation contre, ni la durée de celle-ci ; cela les a accaparé pendant des mois.

D'une manière plus générale, la lecture que je fais de ce quinquennat, c'est une course perpétuelle pour rattraper le temps perdu lié à l'erreur de diagnostic que j'ai mentionnée dans ma première réponse concernant la situation économique du pays. Le projet de loi El Khomri en est l'illustration malgré le coup politique que cela représente pour François Hollande, d'autant plus que les résultats d'une telle loi - si elle était votée - ne pourraient pas être observés avant 1 ou 2 ans  - ce qui accroît le risque. Le nouveau tournant social-libéral paraît être pris de manière un peu brouillone, comme en témoigne le fait que la CFDT n'a pas été concertée sur le projet de loi El Khomri - sans doute parce qu'il y avait urgence. 

Raul-Magni BertonIl est vrai que, dans la mesure où nous, électeurs, sommes relativement amnésiques, il faudrait faire les réformes désagréables en début de mandat, puis les réformes plus populaires qui soudent l'électorat, à la fin. Pourtant, la plupart des reformes qui sont fortement voulues par l'électorat du parti qui gagne sont menées en début de mandat. Cela s'explique par le fait que c'est à ce moment là que la clientèle électorale des partis leur demande des comptes. 

Par contre, il est vrai que mener la réforme du code du Travail en fin de mandat est, à mes yeux, bizarre. D'autant plus que la popularité du gouvernement avait bénéficié des attentats. Il me semble inexplicable qu'au lieu de finir le mandat en restant sur des questions de sécurité et politique extérieure - qui auraient été les plus avantageuses pour le PS - le gouvernement ait choisi de lancer un projet qui est électoralement casse-gueule. Il est probable qu'il doit y avoir une raison, mais je n'en vois pas.  
Propos recueillis par Thomas Sila

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