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L’étonnant secret d’Amazon pour construire des entrepôts  ultra efficaces
©CHRIS J RATCLIFFE / AFP

Capharnaüm

Le nombre de produits vendus par Amazon et donc de produits à stocker sont tels qu’il serait illusoire de passer du temps à les positionner selon une règle « rationnelle ». La méthode de stockage dans ses entrepôts est donc la même que celle employée pour stocker de l’information sur un disque dur : l’objet est placé à la première place disponible sans aucune logique de classement.

Frédéric Marty

Frédéric Marty

Frédéric Marty est chercheur affilié au Département Innovation et concurrence de l'OFCE. Il également est membre du Groupe de Recherche en Droit, Economie et Gestion (GREDEG) de l'Université de Nice-Sophia Antipolis et du CNRS.

 

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Atlantico : Comment la firme Amazon réussit-elle à tenir ses promesses de livraison en deux jours voire en 24 heures partout autour du monde, sachant que leurs entrepôts, pour un œil non averti, ressemblent plus à un énorme foutoir qu'autre chose ?

Frédéric Marty : Ce qui aurait pu être le Talon d’Achille du commerce en ligne – la livraison – est devenu un de ses points d’excellence. Sa capacité à concurrencer le commerce traditionnel vient de la réduction spectaculaire des délais de livraison.

La qualité du service rendu par une place de marché dépend de son algorithme d’appariement entre offre et demande et de son attractivité pour chacune des faces de son marché (les clients et les vendeurs). Amazon, comme les autres places de marché en ligne, sont des plateformes biface au sens qu’a donné à ce terme la microéconomie. Ces opérateurs ne sont pas que des distributeurs. Ils ont deux ensembles de clients : les consommateurs finaux et des « marchands » qui proposent des produits sur leur plateforme. Ils tirent une partie de leurs profits des gains d’efficience qu’ils rendent possibles en mettant en relation ces deux types de clients. Il est en effet nécessaire de penser au fait qu’Amazon ne distribue pas que les produits issus de sa boutique mais également ceux de vendeurs indépendants qu’il s’agit d’attirer et de fidéliser sur sa place de marché.

Mais aux côtés du service rendu par l’algorithme d’appariement de l’offre et de la demande et du service lié à la richesse de l’offre (en volume et en diversité), il y a un troisième point essentiel à souligner dans la performance de ces places de marché : la maîtrise de la chaîne logistique.

Cette maîtrise repose sur une combinaison d’investissements « matériels » (sites de stockage, robotisation, etc..) et logiciels (algorithme de gestion des stocks). Les « géants du numériques » doivent toujours être conçus comme combinant les deux types d’investissements. Il ne s’agit pas seulement d’acteurs virtuels se résumant à un algorithme ou encore de simples intermédiaires numériques mais d’opérateurs intégrés le long de la chaîne de valeur.

Ce qui nous intéresse ici c’est la façon dont Amazon a innové dans cette seconde partie de son investissement : celle qui portesur la chaîne logistique.

L’optimisation du stockage était une nécessité pour un tel opérateur. Si la préparation des commandes et les envois doivent se faire en un très faible nombre d’heures, il est nécessaire de savoir exactement où sont stockés les produits et d’optimiser leur positionnement dans les entrepôts. Cela supposerait a priori des méthodes de placement très rationnelles pour que les opérateurs puissent sans difficulté savoir où aller chercher. Or, le nombre de produits vendus et donc de produits à stocker sont tels qu’il serait illusoire de passer du temps à positionner les produits selon une règle « rationnelle ». La vitesse de rotation du stock contrecarrerait rapidement une telle ambition. Enfin, cette solution serait d’autant plus particulièrement coûteuse qu’elle nécessiterait de conserver des marges significatives en termes d’espace de stockage. Elle génèrerait donc des vides qui seraient non seulement improductifs en termes d’emprise mais qui surtout mettraient à mal l’optimisation des déplacements dans les entrepôts.

D’où l’innovation de rupture développée. Les produits entrants en stock sont placés dans l’espace vide le plus proche au moment de leur arrivée. Un peu comme il est impossible de comprendre par déduction rationnelle (ou par lecture des lignes de codes) la « décision » d’un algorithme utilisant l’intelligence artificielle, un esprit cartésien ne peut reconstituer la logique de l’algorithme de stockage d’Amazon.

La logique de stockage ne correspond pas à des espaces dédiés. Un ouvrage sur l’intelligence artificielle peut être placé sur le même rayon d’étagère qu’un arbre à chats. La méthode de stockage est la même que celle employée pour stocker de l’information sur un disque dur : l’objet est placé à la première place disponible sans aucune logique de classement.

Comment expliquer que cette méthode bien atypique de rangement soit plus efficace qu'un stockage par inventaire conventionnel ?

S’il est possible de savoir où est un produit dans un tel capharnaüm, ce n’est pas parce qu’il existe une logique cachée mais plutôt par ce que l’algorithme sait où il est et optimise le déplacement pour l’atteindre.

En effet, cette solution conduirait inexorablement à un chaos organisationnel si les algorithmes et à la robotisation n’entraient pas en jeu. Lors de l’entrée dans le stock, les dimensions, le poids et le positionnement du produit sont numérisés. Le guidage se fait automatiquement dès lors que la référence du produit est enregistrée dans une commande. L’algorithme permet de savoir où le produit, de définir la meilleure trajectoire pour y aller et aussi d’identifier le bon produit. L’opérateur (le picker) est certain de ne pas commettre d’erreur : son temps d’apprentissage est réduit d’autant (il se laisse guider par son GPS).

En quoi la robotisation, dans ce cadre, est-elle essentielle pour assurer les délais promis ?

Si l’opérateur n’a aucune incertitude quant à ce qu’il a à faire, un robot peut également être mobilisé. L’automatisation peut être presque complète. Le robot est d’ailleurs d’autant plus adapté que l’exploitation maximale des espaces de stockage peut supprimer les allées et donc bon nombre de points de repères. De la même façon si les objets sont numérisés pour tous leurs attributs (poids, forme, volume, localisation de l’étagère dans laquelle le produit est stocké et position sur celle-ci,…), le robot n’a pas à gérer d’incertitude. Il est d’ailleurs estimé que le gain lié à la robotisation en termes de d’espace de stockage nécessaire s’élève à 50%.

Les entrepôts sont progressivement « robotisés ». Cette politique, entamée dès 2012, connaît une accélération, notamment en Europe. Le nouveau centre de Brétigny sur Orge en constitue un bon exemple. Ce qui est remarquable c’est l’intégration de cette robotisation dans une stratégie de groupe. Avec l’acquisition de Kiva Systems en 2012, Amazon s’est dotée d’une filiale spécialisée dans la robotique (Amazon Robotics).

Les robots qui sont guidés dans l’entrepôt par un algorithme dédiés qui leur permet de lire des codes 2D (des codes matriciels plus connus sous leur nom Anglais de QR codes) au sol pour s’orienter et d’éviter d’entrer en collision les uns avec les autres. Ils sont capables de soulever 340 kilogrammes, de rouler à plus de 5 kilomètres heure et de disposer de 8 heures d’autonomie.Il s’agit en effet de penser que ces robots ne récupèrent pas les produits sur les étagères mais sont capables de les déplacer et de les conduire vers les opérateurs… avant de les remettre à leur place.

La robotisation permettrait de diviser par deux le temps nécessaire à la préparation d’une commande.

L’optimisation de la chaîne logistique ne se limite pas pour autant à cette seule dimension.

Ex ante, la politique de stockage est optimisée par la capacité des algorithmes à anticiperles commandes des clients. Cette capacité est étroitement dépendante de la connaissance croissante des clients permise par l’accumulation des données sur leurs caractéristiques et sur leurs comportements passés.

Ex post, il faut prendre en compte les gains d’efficacité en matière d’emballage, d’expédition et de transport des colis. Ici encore l’automatisation permet d’accroître sensiblement la productivité et la rapidité d’expédition chez le client. Ce qui d’ailleurs conduit la firme à songer à internaliser ce service en mettant en place son propre réseau de distribution, pour les produits qu’elle vend elle-même, ceux des vendeurs qui utilisent sa place de marché, voire de tiers !

Encore une fois l’attractivité de la plateforme auprès de ses clients (qu’il s’agisse des vendeurs ou des consommateurs) dépend essentiellement de cette performance logistique. Elle conduit à une maîtrise globale de la chaîne logistique … allant jusqu’à un terminal dédié à l’aéroport de Cincinnati (Amazon’s Prime Air hub).

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