L’électronucléaire français : un concept industriel rendu impraticable et hors de prix par la surréaliste création en 2006 d’une police de la sûreté<!-- --> | Atlantico.fr
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La question de la renaissance d’un nucléaire français plus sûr que sûr n’est pour l’instant gratifiée que d’un concert de velléités notamment parlementaires.
La question de la renaissance d’un nucléaire français plus sûr que sûr n’est pour l’instant gratifiée que d’un concert de velléités notamment parlementaires.
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

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La question de la renaissance d’un nucléaire français plus sûr que sûr n’est pour l’instant gratifiée que d’un concert de velléités notamment parlementaires.

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

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À l’instar de la rédaction de Transitions et Énergies, les observateurs les plus optimistes voient peut-être à Flamanville le bout du tunnel pour le nucléaire français. On le sait, dit ce journal, le chantier de l’EPR de Flamanville empoisonne l’image d’EDF et de l’industrie nucléaire française dans son ensemble depuis de longues années, entre dérapages financiers et de calendrier, mauvaise maîtrise industrielle, malfaçons à répétition… Mais après de multiples reports du démarrage de ce premier réacteur nucléaire de 3ème génération en France, les choses semblent s’accélérer et le planning paraît être pour la première fois en capacité d’être tenu…

L’ASN elle-même semble participer de cet optimisme ambiant, non sans recommander comme suit de n’aller pas trop vite en besogne : En 2022, EDF a poursuivi les travaux en vue de la mise en service de l’EPR de Flamanville, et notamment la requalification de l’installation après les modifications et les réparations effectuées. Toutefois, l’ASN souligne qu’un travail important reste à faire, en amont de la mise en service, pour réaliser la dernière campagne d’essais à chaud sur site et terminer les justifications de la conformité des équipements sous pression nucléaires…

C’est que notre gendarme du nucléaire ne perd pas de vue le traitement qu’il a prescrit en 2014 contre la plus médiatisée et, selon lui, la plus rédhibitoire des malfaçons détectée : les ségrégations carbone dans l’acier du couvercle et du fond de la cuve du réacteur. Sa prescription oblige désormais l’exploitant à surveiller en exploitation le comportement du fond de cuve, au moyen d’un dispositif permanent d’observation et, surtout, à procéder au remplacement pur et simple du couvercle programmé pour 2025, après le premier rechargement en combustible du réacteur.   

En mai 2015, interloqué par la disproportion observée entre une telle thérapie industrielle et les présomptions de défaillance découlant des épreuves de résilience du matériau concerné, un collectif de professionnels et d’experts reconnus du nucléaire historique prit l’initiative d’interpeller Pierre-Franck Chevet, alors Président de l’ASN, en des termes que le lecteur peut découvrir dans la pièce jointe n°1.

Chaque membre de ce collectif adressa en son nom propre la lettre dont l’introduction est ci-après reproduite :

Monsieur, s’autoriser à jeter publiquement l’opprobre sur les aptitudes industrielles d’un acteur économique national tel qu’Areva, sur de fragiles présomptions et à un moment stratégique de son histoire ô combien délicat pour l’avenir commercial de la filière nucléaire française, ne me paraît pas entrer dans les prérogatives conférées par le législateur à l’Autorité de Sûreté Nucléaire ; ou alors il y a urgence à en changer le statut.
En conséquence, si notre pays veut continuer de figurer parmi les démocraties vertueuses, ses citoyens et ses élus sont fondés à exiger de votre organisme des gages sérieux portant sur le caractère éminemment expert des récentes spécifications ESPN et sur leur sévère application, invoqués pour légitimer un discrédit outrageusement précoce.
En l’absence de ces gages, validés par les experts français faisant autorité en la matière, ce nouveau corps de prescriptions aurait tout d’un fait du prince que les gardiens de notre république ne sauraient tolérer pour quelque motif que ce soit. Aussi, dans l’hypothèse avérée d’un tel abus de pouvoir, ces derniers auraient-ils le devoir de vous mettre en demeure de publier officiellement et sans délais les correctifs idoines à vos dévastatrices déclarations du 13 avril dernier.
Pour couper court à pareille suspicion, il ne tient donc qu’à vous de battre en brèche le caractère « fragile » qualifiant plus haut vos présomptions et de démontrer que la putative infraction est en effet « très sérieuse »…

Le destinataire de ce courrier était prié, entre autres, de justifier les résolutions de l’ASN mises comme suit en perspective de considérations techniques et de l’historique de l’élaboration des pièces incriminées :   

-Confirmez-vous que les spécifications françaises, CPFC puis RCCM, étaient plus contraignantes que les spécifications Westinghouse d’origine, que, grâce à elle, notre acier faiblement allié, dit ferrito-bainitique, se contente d’une faible teneur en cuivre, en phosphore et en soufre garantissant une meilleure tenue des viroles au vieillissement sous irradiation qui augmente la température du passage de l’acier de son état fragile à son état ductile ?

-Confirmez-vous que, outre la plus grande épaisseur d’eau séparant la cuve EPR du cœur de son réacteur, cette dernière jouira ainsi d’une fluence du métal 10 fois inférieure à celle d’un réacteur de 900 MW, après 60 ans de service ? Confirmez-vous que le couvercle et le fond de la cuve EPR ne sont que très peu affectés par un vieillissement sous irradiation ?

-Confirmez-vous que le refroidissement d’un lingot de 160 tonnes, s’opère des bords vers le centre, occasionnant ce qu’on appelle des ségrégations majeures, en matière d’enrichissement des éléments de l’alliage ou en matière d’impuretés, désignées sous le nom de « veines sombres » remontant du bas vers le sommet de la calotte ; veines sombres qu’il est techniquement aisé de cantonner sur la face extérieure de cette dernière ? Confirmez-vous surtout que ce phénomène imparable est connu depuis les premières construction de cuves françaises et n’a pas été découvert à l’occasion de la coulée de la cuve EPR ?

-Sur quel retour d’expérience d’exploitation des 30 dernières années se fondent les nouvelles exigences ESPN, en matière de qualité métal du produit fini, exigences qui, selon l’ASN, n’auraient pas été respectées sur la cuve EPR ?

-Quelles sont les dates précises du recettage des deux pièces incriminées en sortie de forge, ayant autorisé leur montage, et quelles sont les dates précises de la déclaration de leur conformité ?

-Enfin, si, comme tout le laisse penser, les étapes et points d’arrêts précédents ont été correctement observés, autorisant la mise en place de la cuve et le montage du circuit primaire, qu’est-ce qui justifie un rappel à l’ordre aussi tardif et aussi médiatique du constructeur, par l’ASN ?

Le courrier demandait également à Pierre-Franck Chevet de se prononcer sur les limites techniques qu’il convient de reconnaître au test de résilience dit de Charpy et sur la prudence consistant à ne pas confier à ce seul test le pouvoir d’emporter la déclaration de conformité ou de non-conformité, même si, au titre de l’arrêté ESPN de 2005, il a bien été procédé à ce test en 2014 sur des éprouvettes extraites d’un couvercle sacrificiel. Or, tous les résultats de ces tests furent satisfaisants, sauf sur 3 essais supplémentaires où les résiliences mesurées à la température règlementaire de 0°C furent respectivement de 47, 62 et 64 Joules/cm², soit une moyenne de 58 Joules/cm² pour 60 spécifiés et donc attendus.

En date du 29 juillet 2015, monsieur Chevet répondit consciencieusement et méthodiquement à chacun des membres du collectif par un même courrier que l’on se dispensera de produire ici et qui, à son tour, fit l’objet d’une réponse non moins méthodique du collectif, dont, cette fois, le Premier Ministre Manuel Valls fut destinataire. La déclaration ci-après du Président de l’ASN et le commentaire qu’elle inspira au collectif donnent un bon aperçu de la teneur de ce dernier échange épistolaire :  

Pierre-Franck Chevet : « La présence de cette ségrégation a un impact significatif sur les caractéristiques mécaniques du matériau, dont l’étendue et les conséquences pour l’intégrité de l’équipement restent à déterminer »

Le Collectif : Autrement dit, avant d’être parvenu à déterminer l’étendue et les conséquences fonctionnelles d’une ségrégation très localisée, vous avez jugé qu’elle aura forcément un impact significatif sur les caractéristiques mécaniques de la pièce concernée et qu’il n’était pas nécessaire d’attendre les résultats de l’investigation pour lancer votre alarme médiatique [...]
L’ASN ne pouvant pas ne pas s’identifier, au moins culturellement, à la communauté des industriels, tenons-nous en à la sage recommandation de son président. Vous écrivez « l’usage du code par un industriel ne doit pas se substituer au jugement de l’ingénieur qui doit en appliquer les prescriptions en maîtrisant les principes et les hypothèses sous jacents ».
Qu’à cela ne tienne ! Pouvez-vous alors expliquer pourquoi l’ASN exige que le test Charpy de tenue à 60 joules... soit réalisé à 0°C, une température située dans la zone fragile du métal, sachant que, en exploitation, ce métal est soumis à une température de l’ordre de 300°C, jamais inférieure à 100°C (une température en zone de transition vers la zone ductile), que la performance moyenne des éprouvettes des deux calottes s’établit à 52 joules et, surtout, qu’une telle exigence est incroyablement pénalisante pour le constructeur ?!...
Par ailleurs, pouvez-vous nous indiquer lequel des 49 articles de l’arrêté du 26 février 1974, relatif à la construction d’un Circuit Primaire Principal, mentionne la teneur limite en carbone de 0,22 % que ne respecte pas très localement une teneur des calottes relevée à 0,30 % ?

Reste que, devant l’intransigeance d’ASN-IRSN, AREVA s’est jugée dans l’obligation de conduire un très lourd et très complet programme de vérification sur des pièces sacrifiées, décliné en 1722 essais mécaniques et 1503 analyses chimiques étalées sur 2 ans de travail. Mise devant le fait accompli de résultats sans surprise satisfaisants, l’ASN a été contrainte d’accepter en l’état la cuve de Flamanville3 installée dans son puits le 12 octobre 2017, mais ne s’est pas avouée vaincue : elle a exigé de pouvoir suivre en exploitation le couvercle et le fond de cette cuve, une insurmontable gageure technique pour le couvercle affublé des pénétrations réservées à l’instrumentation et au contrôle-commande. Ne voulant pas compromettre le démarrage de son EPR métropolitain, EDF s’est donc résignée à le remplacer.

Combien de temps encore, une filière électronucléaire française notoirement appauvrie et dépourvue des compétences d’antan va-t-elle pouvoir supporter de devoir produire sans discuter des garanties de sûreté hors sol à un coût ici estimé à au moins 350 millions d’euros, soit 175 millions le Joules/cm² dépassé au test de Charpy ?! Au demeurant, quelle filière concurrente pourrait-elle aujourd’hui s’autoriser pareil régime de sûreté ? Certainement pas l’américaine qui vient de ravir le marché polonais à la française.

La question de la renaissance d’un nucléaire français plus sûr que sûr n’est pour l’instant gratifiée que d’un concert de velléités notamment parlementaires. Émergera-t-il de ce dernier la résolution qui sortira le pays de sa délétère schizophrénie ? Une telle résolution ne pourra s’épargner de regarder lucidement ce qui est fait partout dans le monde en matière de sûreté – tout particulièrement, ce qui a été fait à Taishan et à Olkiluoto – et ce qui est en train de se faire à Hinkley Point… où les choses ne semblent pas aussi bien se passer que ce que laisse entendre le discours officiel.
En tout cas, on ne saurait trop recommander aux préposés à la réhabilitation de notre complexe industriel de prendre comme livre de chevet l’essai de Dominique Finon (pièce jointe n°2) intitulé Dérive bureaucratique et sûreté nucléaire.

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