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L’effet placebo qui pourrait aider au développement de puissants traitements contre la maladie de Parkinson
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Un petit pas vers la guérison

Des scientifiques américains tentent de comprendre comment sous l’effet d'une intensité inhabituelle du stress ou de l’émotion, un patient atteint de la maladie retrouve pour quelques instants une « réponse motrice » quelque peu normale.

André  Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est Professeur de Neurosciences à l'Université d'Aix-Marseille, membre de la Society for Neurosciences US et membre de la Société française des Neurosciences dont il a été le Président.

 

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Atlantico : Selon un article de NPR, un circuit cérébral lié à l'émotion peut conduire à de meilleurs traitements pour la maladie de Parkinson. L’article cite notamment le cas d’un homme atteint de la maladie de Parkinson depuis plus d'une décennie. Bien qu'il ait du mal à se lever d'une chaise, il a pu sauter pour empêcher son petit-fils de tomber dans un escalier. Les scientifiques tentent de comprendre ce phénomène et son fonctionnement dans le cerveau. Quelle est la réalité du phénomène de "kinésie paradoxale" chez les personnes souffrant de maladie de Parkinson ?

André Nieoullon : La maladie de Parkinson est caractérisée par 3 signes cliniques majeurs : un ralentissement des mouvements, une difficulté à les réaliser -ce que l’on nomme « l’akinésie »- et un tremblement intervenant principalement au repos. Au fur et à mesure que la maladie se développe, ces signes cliniques sont dans la plupart des cas bien compensés par des médicaments efficaces mais, chez un certain nombre de malades, le handicap s’installe et les difficultés à se mouvoir deviennent réelles. Ce que décrit l’article que vous citez en référence est un phénomène bien connu des cliniciens, où, sous l’effet d’un stress intense, soudainement et pour une très courte période de temps, un malade normalement fortement akinétique va d’un coup et d’un seul quitter son fauteuil et réaliser une action impensable vu son état clinique. C’est ce que l’on nomme une « kinésie paradoxale », paradoxale en ce sens qu’elle ne peut rationnellement être imaginée de la part d’une personne dont le quotidien est fait de difficultés à se déplacer et de lenteur.

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Les kinésies paradoxales ne sont pas un phénomène nouveau et sont connues de longue date. Une publication de 1925 du Service de Neurologie de La Salpétrière en faisait d’ailleurs déjà une excellente présentation. Mais il est vrai qu’encore aujourd’hui ce phénomène reste mystérieux quant à ses mécanismes. Ces phénomènes -rares- font partie d’une forme de récit romanesque de la maladie de Parkinson et le cliché le plus répandu est celui d’un patient fortement akinétique soudainement mis en danger sous l’effet d’un incendie ou d’un tremblement de terre qui va se lever brutalement et échapper en courant à ce qui le menace. Mais il n’en reste pas moins, pour rejoindre l’étude que vous citez, que dans ces cas précis et y compris celui que vous mentionnez, le malade a transitoirement retrouvé une motricité normale en échappant à son handicap sous l’effet de la panique. Sans tomber dans ces représentations quelque peu caricaturales, il est vrai que nous connaissons des situations plus communes dites « de déblocage transitoire » sous l’effet d’un stress ou d’une émotion intense.

Ces épisodes que peuvent avoir connus certains des malades susceptibles de lire cet article ont pour mérite principal de nous montrer que, dans la maladie de Parkinson, comme nous le savons, la « machinerie neuronale » du cerveau qui sous-tend la réalisation des mouvements est toujours fonctionnelle en dépit du handicap au quotidien et qu’elle peut être « mobilisée » sous l’effet du stress, notamment. Les kinésies paradoxales sont donc bien réelles même si les malades qui les ont vécues comme telles sont relativement très peu nombreux.

Ce phénomène est-il une variation de l'effet placebo ? Au lieu d'être induit par la croyance qu'une pilule de sucre est vraiment un médicament, ce mécanisme a-t-il tendance à apparaître dans des situations impliquant du stress ou une émotion forte ?

Comme je viens de le mentionner, c’est sous l’effet d’un stress intense ou d’une émotion forte que se manifestent les kinésies paradoxales. A mon sens, rien à voir avec un effet placébo ! Un placébo est une substitution d’un traitement « actif » par un traitement « inactif » qui donne le même effet clinique du fait que le patient se « représente mentalement » l’effet habituel du médicament. Ici rien de tout cela puisque l’effet du stress ou de l’émotion intense est d’autant plus efficace qu’il est inattendu. En général, cela ne fonctionne pas deux fois consécutives… 

Pour tenter de comprendre quelque peu ce phénomène, il faut se souvenir que parmi les signes qui touchent la plupart des malades, l’une des plus fréquemment relevés est une forme de perte de sensibilité aux facteurs émotionnels, justement. Tout se passe plus généralement comme s’il existait un amenuisement des réponses émotionnelles que les cliniciens désignent parfois comme un « émoussement affectif », qui n’est d’ailleurs pas présent chez tous les malades et qui peut être interprété comme une forme d’indifférence aux autres parfois mal ressentie par la famille.  Mais à contrario, chez certains autres patients il est observé une émotivité exacerbée allant jusqu’aux larmes devant des situations qui les laissaient autrefois assez indifférents. Dans ce cas, un état dépressif latent ou une certaine apathie peuvent rendre compte de ces troubles émotionnels. 

L’idée est alors que c’est sous l’effet de l’intensité inhabituelle du stress ou de l’émotion que le patient va réagir et retrouver une « réponse motrice » quelque peu normale. Mais dès que l’effet de surprise est passé, le patient va retrouver son état habituel et perdre instantanément la fluidité de ses mouvements. C’est dans ce contexte que l’équipe de Peter Strick à Pittsburg reprend l’hypothèse déjà ancienne d’un lien entre les circuits cérébraux de l’émotion et ceux du contrôle du mouvement.   

Y a-t-il des travaux et des études nouvelles sur ce phénomène ? Quels sont les fondements biologiques de la kinésie paradoxale ?

Ce que nous suggère l’hypothèse d’un lien entre émotion et mouvement est qu’il existe des circuits neuronaux plus ou moins complémentaires contrôlant les commandes des réponses émotionnelles d’une part et des mouvements, d’autre part.  Par exemple, l’une des situations les plus classiques concerne ce que l’on nomme le « circuit de la peur apprise » : face à un danger (un animal agressif conventionnellement), nous allons tenter de nous soustraire le plus rapidement possible à ce danger potentiel en fuyant le plus loin possible. Cette réponse est le plus souvent irrationnelle parce que le danger est relatif et finalement pas si immédiat que cela. Mais nous fuyons d’abord et réfléchissons ensuite. Par contre, dans le cas des mouvements « volontaires », c’est-à-dire ceux qui sont impactés par la maladie de Parkinson notamment, nous prenons le temps d’analyser la situation et d’effectuer le plus correctement possible le mouvement dirigé vers un but précis. Il est alors envisageable que les « kinésies paradoxales » du parkinsonien correspondent à l’activation du circuit neuronal « émotionnel » comme dans le cas de la fuite devant un élément perçu comme mettant en danger sa vie (ou celle d’autrui dans le cas du patient présenté dans l’étude). Et le fait qu’il soit nécessaire que l’émotion soit intense est relatif à la perte de sensibilité émotionnelle évoquée plus haut. C’est ce type d’hypothèse que teste l’équipe américaine dans un modèle animal de la maladie de Parkinson.

Comment ces éléments et ces travaux pourraient permettre de développer des traitements contre la maladie de Parkinson ? Est-ce un signe d’espoir pour les malades ? 

Ce qu’il faut retenir de cette étude et que j’ai tenté de rappeler ici est que, dans la maladie de Parkinson les circuits neuronaux permettant d’avoir une activité motrice normale sont toujours bien présents et qu’ils sont fonctionnels ! J’ai eu l’occasion de développer ces idées dans un ouvrage relativement récent (A. Nieoullon, Vaincre la maladie de Parkinson ?, De Boeck Editeur, 2017). Il reste alors à trouver les moyens du « déblocage » de ce circuit cérébral et sans doute que la meilleure compréhension des interactions entre circuit du mouvement et cerveau des émotions peut y contribuer. La dopamine est un élément majeur qui fait défaut dans le cerveau du malade parkinsonien et ces observations confortent l’idée que ce neurotransmetteur tellement important pour nous agit normalement comme une sorte de facilitateur d’un mouvement toujours à même de pouvoir être réalisé en dépit de la maladie. C’est d’ailleurs le mécanisme de nos si précieux médicaments dopaminergiques. Un source d’espoir de mieux comprendre les mécanismes de la maladie de Parkinson, certainement !

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