L’autre contre-offensive : Moscou s’en prend aux entreprises et actifs occidentaux encore présents en Russie<!-- --> | Atlantico.fr
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Suite au conflit avec l’Ukraine provoqué par la Russie de Vladimir Poutine, Renault a été contraint d’abandonner ses activités en Russie.
Suite au conflit avec l’Ukraine provoqué par la Russie de Vladimir Poutine, Renault a été contraint d’abandonner ses activités en Russie.
©Kirill KUDRYAVTSEV / AFP

Processus long

Alors que Renault ou Atos ont quitté la Russie de façon effective, les entreprises françaises implantées en Russie qui souhaitent se retirer du pays sont confrontées à un processus long et qui se complexifie.

Manon Krouti

Manon Krouti

Manon Krouti est avocat au Barreau de Paris. Elle exerce en droit pénal des affaires et défend principalement des entreprises et des dirigeants poursuivis pour des infractions économiques et financières, y compris dans un contexte transnational

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Atlantico : Alors que Renault ou Atos ont quitté la Russie de façon effective, les entreprises françaises implantées en Russie qui souhaitent se retirer du pays sont confrontées à un processus long et qui se complexifie. Quels sont les mécanismes précis qui empêchent les départs des entreprises étrangères ? Quelles sont les réalités économiques, administratives et / ou industrielles qui freinent considérablement les sociétés étrangères qui souhaitent quitter la Russie ? Les entreprises doivent-elles payer des taxes ?

Manon Krouti : Les raisons qui peuvent expliquer la difficulté, pour les entreprises européennes, de céder leurs filiales russes sont de plusieurs ordres. 

D’abord, au-delà des règles juridiques, il y a une réalité économique. Les acquéreurs potentiels et les personnes qui souhaitent, aujourd’hui, plus d’un an après le début de la guerre en Ukraine, investir sur le marché russe n’abondent pas. Des investisseurs étrangers, provenant de pays qui ne sont pas aligné sur les sanctions occidentales (par exemple, Indiens ou Chinois), avaient pu envisager un éventuel effet d’aubaine du marché russe l’an dernier, à une époque où il était difficile d’anticiper que le conflit s’installe dans la durée. Désormais, le nombre de candidats étrangers semble s’amenuiser. Quant aux éventuels repreneurs russes, rappelons que les sanctions européennes concernent près de 1 500 individus et plus de 200 entités, parmi lesquels des oligarques et entreprises de premier plan. Or, il serait interdit à une société-mère européenne de céder ses actifs à un candidat russe visé par les sanctions du Conseil de l’Union européenne. Par conséquent, les entreprises souhaitant céder leurs actifs russes éprouvent, en pratique, certaines difficultés à trouver des acquéreurs.

Par ailleurs, la contre–offensive russe à l’encontre des Etats « hostiles », soit tout ceux ayant adopté des sanctions économiques et financières en réaction à la guerre en Ukraine, représente une contrainte réglementaire sur place qui complexifie d’autant plus le processus de retrait pour les entreprises occidentales. Pour qu’une entreprise immatriculée dans un pays « hostile » puisse céder ses actifs en Russie, il lui faut, en principe, solliciter une autorisation d’une commission liée au gouvernement russe. Le prix de cession – souvent très largement décoté – et la cession doivent être validés par la commission, ce qui peut prendre un temps considérable ; sachant qu’il faut, au préalable, s’être acquitté de l’ensemble des taxes et avoir, idéalement, soldé les éventuels litiges en cours. 

Pour les entreprises qui parviennent au bout de ce long processus, demeure encore la question du rapatriement des fonds qui est également un processus complexe compte tenu des sanctions européennes visant les principales banques russes, de l’exclusion de ces banques du système Swift, mais aussi des contre-sanctions russes qui limitent les possibilités de sortir l’argent de Russie.      

Alors que l'UE menaçait de confisquer les actifs russes pour payer la reconstruction de l'Ukraine, la Russie semble prendre de plus en plus le contrôle des entreprises occidentales qui sont toujours en Russie. Où peut mener ce bras de fer sur le plan économique pour les entreprises étrangères en Russie ? Cette réalité n’est-elle pas un autre enjeu essentiel de la guerre en Ukraine ?

Des discussions sont effectivement en cours au niveau international concernant la confiscation des actifs russes gelés pour financer la reconstruction de l’Ukraine. A mon sens, une telle mesure aurait peu de chance d’aboutir en Europe : trop de principes juridiques s’y opposent. La mesure de confiscation qui est une sanction pénale est largement différente des mesures de gel des avoirs visant les personnes désignées par le Conseil de l’Union européenne. Lorsque les avoirs de ces personnes sont gelés, cela signifie que leur droit de propriété est temporairement restreint par l’effet de la mesure administrative. A l’inverse, la confiscation emporte les effets d’une expropriation : la propriété des avoirs est transférée d’une personne à une autre de façon définitive. Or, le droit de propriété, consacré, en France dans la Constitution et, au niveau européen dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union, devrait s’opposer à l’expropriation d’avoirs privés en dehors de toute condamnation pénale. Bien que différent, le raisonnement concernant les avoirs considérés comme « publics », tels que ceux de la Banque centrale russe, conduirait à un résultat similaire compte tenu des immunités étatiques.

La menace de la confiscation des avoirs n’est pas légère pour la Russie puisque les avoirs gelés doivent à ce jour se compter en milliards d’euros. 

Le Canada avait, de façon inédite sur la scène internationale, initié une procédure afin de confisquer certains avoirs de Roman Abramovitch à la fin de l’automne dernier. Il sera intéressant de suivre cette procédure, bien que le système juridique canadien n’est pas exactement le même que le nôtre.

Ces freins mis en place par la Russie expliquent-ils que le nombre réel des départs d’entreprises françaises ou étrangères du territoire russe reste limité ?

Il est primordial de rappeler que les filiales russes d’entreprises occidentales sont des sociétés de droit russe. En tant que telles, et tout comme n’importe quelle entreprise immatriculée et opérant en dehors de l’Union européenne, elles ne sont pas soumises au droit de l’Union européenne et peuvent, ainsi, continuer à exercer leur activité en Russie. 

Les freins mis en place par la Russie, les conséquences indirectes des sanctions et les différents obstacles permettent, effectivement, d’éclairer la situation réelle de ces groupes occidentaux qui avaient pu, au début du conflit, annoncer suspendre leurs activités en Russie et qui, aujourd’hui, y sont toujours présents. Forts de ces constats, certains groupes se sont peut-être également maintenus en Russie en espérant un retour à meilleure fortune dans quelques années.

En tout cas, le nombre de départs relayé dans les médias ou le recensement réalisé très régulièrement par le groupe d’universitaires de Yale qui tiennent à jour une liste des entreprises occidentales qui ont encore des filiales en Russie ne donnent qu’une vision parcellaire de la situation réelle de ces groupes.

Les entreprises étrangères ont-elles les moyens de contourner cette emprise et ce poids de Moscou afin de ne pas ternir leur image et d’apparaître aux yeux du monde comme soutenant l’effort de guerre russe alors qu’ils sont en réalité freinés dans leur volonté de départ du territoire russe ? Communiquent-elles suffisamment sur la stratégie de Moscou ou ont-elles peur de représailles en Russie ?

Effectivement, il y a beaucoup de raccourcis qui sont faits sur la question de savoir si ces entreprises telles qu’Auchan ou Leroy Merlin, souvent mises en cause publiquement, « contribuent à l’effort de guerre russe ».

Les difficultés réelles et concrètes auxquelles sont confrontées les entreprises qui continuent d’exercer leurs activités en Russie sont, souvent très peu évoquées, tout comme la question de leur utilité non pas pour le pouvoir russe mais pour la population. Il n’est pas possible de quitter le territoire russe en claquant des doigts, encore moins lorsque l’activité de l’entreprise est quasi indispensable à la vie de la population. 

Aujourd’hui, on estime qu’un processus de cession d’actifs russes prend environ un an. Le solde des taxes, la recherche d’un acquéreur, les autorisations qu’il faut obtenir localement mais aussi éventuellement en France avec le Trésor pour que la société-mère puisse mener à bien une opération économique en Russie, faire l’inventaire de tout le matériel pour éviter de se retrouver par le fruit de la cession à céder du matériel qui serait potentiellement impacté par les ressources économiques… : il y a tellement de questions auxquelles les réponses ne sont pas évidentes. 

Cela est beaucoup plus complexe et éloigné que les accusations sur la participation à l’effort de guerre russe pour le simple fait de maintenir une activité économique en Russie.

Les entreprises russes récupèrent-elles concrètement les sites, le savoir-faire industriel ou les avoirs des entreprises étrangères ou bien des pans entiers de l’économie russe sont-ils délaissés, notamment le secteur de l’automobile ?

Pour les entreprises qui ont quitté la Russie, les questions ne se posent plus si le repreneur est russe. 

Pour celles qui restent, il est difficile de répondre précisément à votre question et sur les conséquences réelles du décret de mobilisation partielle et de réquisition qui avait été signé par le président Poutine. 

Cela étant, la menace de reprise des sites des filiales d’entreprises européennes ou occidentales est bien réelle et les entreprises sur place sont menacées et craignent véritablement le risque d’expropriation qui parait croitre avec l’instabilité de Vladimir Poutine. 

L’illustration de la prise de contrôle ces dernières semaines, des actifs russes de la société allemande Uniper et de la société finlandaise Fortum, deux sociétés opérant dans le secteur de l’énergie, à la suite d’un décret présidentiel ne fait que confirmer la réalité de ce risque.

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