L’autorité en question : l’urgence à agir face à l’accélération du monde<!-- --> | Atlantico.fr
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Une exposition sur la planète.
Une exposition sur la planète.
©WOJTEK RADWANSKI / AFP

Bonnes feuilles

Patrice Huerre et Philippe Petitfrère publient « L'Autorité en question, Nouveau monde, nouveaux chefs » aux éditions Odile Jacob. Une demande de nouvelles formes d’autorité émerge de toutes parts, que ce soit dans l’entreprise, à l’école ou en famille. Imposer son point de vue de parent, de patron, de gouvernant n’est plus politiquement correct. Désormais seule compte l’opinion personnelle. Extrait 2/2.

Patrice Huerre

Patrice Huerre

Patrice Huerre est psychiatre des hôpitaux et psychanalyste. Il est spécialisé depuis près de 30 ans dans les actions de prévention et de soins pour les enfants, les adolescents et les jeunes adultes. Il préside l’Institut du virtuel Seine Ouest et dirige le centre de formation du Collège International de l’Adolescence.
 

Il a écrit avec Mathieu Laine La France adolescente, aux éditions JC Lattès.

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Philippe Petitfrère

Philippe Petitfrère

Philippe Petitfrère, ancien dirigeant d’entreprises, intervient en tant que conseil et animateur de dynamiques de transformation dans les entreprises. Il est également artiste-peintre et musicien.

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Si la question de l’autorité continue d’être pensée en termes de poncifs simplistes comme on les entend trop souvent énoncés (et de façon recrudescente, d’ailleurs), alors il y aura schématiquement les chefs dans les tours de la Défense et la haute administration, un nombre croissant de Français dans la rue, une quantité non négligeable de candidats à l’émigration et une masse prête à toutes les aventures pourvu qu’on lui parle d’elle et de ses peurs.

La décorrélation entre les uns et les autres risques de conduire à la révolte ou à la démission à grande échelle. Ce qui est observé d’ailleurs dans un certain nombre de familles.

À force de fabriquer des chefs de plus en plus inadaptés aux évolutions très rapides de nos sociétés, ceux qui en dépendent le supportent de moins en moins, dans l’entreprise, dans la société, à la maison. Chacun de ces ensembles, jusqu’à maintenant, était un écosystème turbulent, certes, mais qui comportait ses dispositifs d’équilibrage. Les syndicats, par exemple, permettaient la récupération systématique des mouvements sociaux. On savait à qui parler. Les tiers familiaux, comme les grands-parents ou les parrains et marraines, jouaient aussi ce rôle de médiateur pour les enfants.

La « crise » récente a mis au jour une nouvelle donne : toute représentativité est bannie, personne n’a le droit de parler à la place de quiconque. Seule compte la parole de chacun.

Pour cette fois, la grogne s’est asphyxiée par incapacité de trouver une forme politique. Mais les populismes de tout poil sont en embuscade, prêts à la récupérer.

Et en attendant, comme c’est clairement en train de devenir le cas aux États-Unis, ils auront coupé le pays en deux parties peu enclines à « vivre ensemble ».

Et les exemples abondent : le Royaume-Uni coupé en deux par le Brexit, l’Allemagne sur les questions d’immigration, la Tunisie sur celles de la place de l’islam en politique, etc.

Quand vous êtes l’État, donc, comment parlez-vous aux milliers de citoyens dont le mécontentement personnel a des raisons légèrement différentes de celles de son voisin ?

Un sentiment d’inadéquation voire d’injustice en résulte, comme la mise en garde adressée de fait à un enfant quand elle est dite à l’ensemble de la fratrie ou à tous les élèves de la classe, à l’école. Ou encore quand une remarque est faite à l’équipe entière en réunion professionnelle, à cause du retard de deux ou trois personnes, les autres ayant respecté l’horaire.

Le paradoxe, encore un, est que l’autorité menacée équivaut à un désordre et des conflits assurés. Pour autant, il faudrait être bien naïf pour croire au retour de l’exercice de l’autorité « à l’ancienne » qui ne serait pas assumée, acceptée et, par essence, complexe.

En d’autres termes, le glas a sonné pour le chef d’antan où qu’il pense régner.

L’accélération évoquée plus haut transforme les attentes en exigences : c’est à court terme qu’il faut trouver de nouvelles manières d’exercer l’autorité faute de quoi la stabilité des organisations familiales et collectives sera menacée et les  déceptions de nos contemporains au rendez-vous. Tous les événements politiques récents témoignent bien de ce dérèglement. Et le mal-être à la maison comme en milieu scolaire en témoigne aussi à sa manière.

C’est la fin des modèles. Pas d’espoir – et c’est tant mieux – de trouver un modèle unique. Nous en sommes les orphelins déroutés.

Il va falloir faire preuve d’imagination et de créativité collective pour inventer de façon adaptée de nouvelles modalités plurielles d’exercice de l’autorité, de manière à tenter de redresser la barre en matière de relations sociales, de méthodes d’enseignement, d’exercice parental. Et les modes d’emploi vus plus haut comme inutiles et défaillants ne peuvent représenter un recours utile.

Les instances dont c’est la vocation (écoles, think tanks, forums) ne donnent vraiment pas encore les signes d’un changement à la hauteur des enjeux. Une fois de plus, le terrorisme écrasant du conformisme et de la « bien-pensance » empêche sans doute de se projeter autrement. Et de s’adapter aux changements du monde.

Accessoirement, la question de l’autorité s’attaque dangereusement aux fondements du capitalisme, d’où la répugnance affichée à s’atteler au sujet. Curieusement, le Medef vient de déclarer qu’il lançait une réflexion sur la bonne fin du système capitaliste. Rien que ça !

On en viendrait presque à rêver que l’éruption – ô combien désordonnée (et si peu technocratique) – des Gilets jaunes ne soit le ferment d’une « méthodo du change » !

Changer ne serait possible que sous la contrainte de la réalité qui évolue (et c’est le cas actuellement), et par un gigantesque retournement de la direction des forces, du bas vers le haut plutôt que du haut vers le bas.

D’ailleurs, même l’armée, face aux nouvelles menaces, s’aventure dans des paradigmes organisationnels différents : l’autonomie de décisions dans un cadre préparé et en lien avec les autres acteurs. Écoutons ce qu’en dit un général (décidément, ils ont une tendance naturelle à s’exprimer sur l’autorité) à partir d’une expérience très spécifique :

« Mon ADN est celui des relations humaines  : l’énergie, l’enthousiasme, l’émerveillement et l’esprit d’équipe… Prendre les gens comme ils sont, pour gagner ensemble. » Il poursuit en soulignant que ce sont à ses yeux les « valeurs du rugby, des vendanges. Le moteur, ce sont les hommes. Mon plan de vol pour les ressources humaines, c’est de promouvoir un aviateur acteur de son parcours et de son avenir. […] Il faut entrer dans l’ère des ressources humaines 4.01. »

Tous seront forcément d’accord avec lui ! Comme le patient soi-disant acteur de ses soins. Ou l’enfant artisan de son projet de vie… « Mon », « moi », « je »…

Ceux qui cherchent à repenser la question de l’autorité devront quand même prendre des cours accélérés d’humilité en se souvenant que le développement personnel est étroitement dépendant des autres. En solo, vous créez l’enfant sauvage ! C’est là sans doute le premier défi : avoir réglé la question du « MOIJEUH ».

On n’insistera jamais assez sur le danger de ces discours stéréotypés, politiquement corrects, farcis du vocabulaire de l’époque. Ils occultent la complexité de l’opération de transformation nécessaire.

Y a qu’à, faut que… Les beaux discours incantatoires, ça suffit !

Ainsi que l’accréditation automatique « a le droit de parler de l’autorité », parce qu’il a été militaire. Même si bien sûr, la question concerne aussi cet univers dès lors qu’il accueille la génération des millennials. Et qu’il doit s’y adapter à défaut de pouvoir le façonner à l’ancienne.

La décorrélation entre l’accélération du monde et la mise en œuvre des représentations de l’autorité conduit inévitablement au grand écart et donc, à terme, au risque de rupture, à défaut d’en prendre soin.

A lire aussi : L’autorité en question : un enseignement inadapté

Extrait du livre de Patrice Huerre et Philippe Petitfrère, « L'Autorité en question, Nouveau monde, nouveaux chefs », publié aux éditions Odile Jacob

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