L’amnésique qui avait tout changé sur ce que nous savons de la mémoire<!-- --> | Atlantico.fr
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Henry Molaison, avant son opération
Henry Molaison, avant son opération
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Black out

Rendu amnésique, Henry Molaison est devenu le cerveau le plus étudié de la science. La terrible expérience qu'il a vécue continue de passionner les chercheurs.

Ce 8 décembre 2008, tous les chercheurs en neuroscience ont eu un pincement au cœur. Ce jour-là, venait de mourir Henry Molaison à l'âge respectable de 81 ans. D'autant plus respectable que l'homme souffrait d'une amnésie quasi-totale depuis ses 27 ans. Ce dont il se souvenait, jusqu'à la fin de sa vie, c'était au moins de sa disponibilité bienveillante pour les centaines de médecins qui lui rendaient visite. "Je pense que ce qu'on va découvrir sur mon cas va aider la recherche" expliquait-t-il en 1992 à la neuroscientifique Suzanne Corkin. Ils se connaissent depuis 30 ans mais Henry croit, une fois de plus, la voir pour la première fois.

Pour comprendre l'intérêt de ce patient, il faut remonter aux années 1930. Le jeune Henry, 7 ans, habite à Hartford dans le Connecticut. Un jour, percuté par un cycliste, sa tête subit un choc terrible. A partir de cet âge-là, il commence à multiplier les crises d'épilepsie. La première est faible, il a alors dix ans. Mais à 16 ans, c'est une crise sévère dont il est atteint. Rapidement, il est marginalisé dans sa vie, vu "comme celui qui est secoué" par ses camarades de classe. A 21 ans, il entre dans la vie active en travaillant dans une unité d'assemblage. Les crises sont régulières : une dizaine par jour, à faible intensité et au moins une crise majeure par semaine.

Les médecins, encore très peu au fait des complexités de note cerveau, sont démunis. A l'époque, les épileptiques sont encore traités par lobotomie : le chirurgien ouvre le crâne et soustrait une partie du système nerveux qui serait responsable des malheurs. Henry ne voit pas d'autres choix mais opte pour une expérience inédite que lui propose un chirurgien casse-cou, le docteur William Scoville. Conscient des dégâts que représente la lobotomie, ce dernier cherche à limiter les ponctions. Sur sa table d'opération, il va ouvrir la boîte crânienne d'Henry Molaison et trouve, au milieu du cerveau, l'hippocampe, une double structure du cerveau, suspectée, à l'époque, d'agir sur les émotions. Scoville va alors en soustraire une partie ainsi que d'autres tissus dans cette région du cerveau.


La reporduction en 3D du cerveau si précieux

Pendant quelques jours, le patient va se remettre doucement de son opération. Celle-ci semble être un succès : les crises ont largement diminué, à peine deux attaques par an. L'opération n'a pas eu d'impact sur son intelligence ou sur ses sens. En revanche, il est devenu totalement amnésique. Seuls quelques souvenirs sont restés : il est, par exemple, capable de reconnaître ses parents. Mais pendant toute sa vie, Henry ne se souviendra pratiquement de rien. "Depuis combien de temps êtes-vous amnésique ?" lui demanda Suzanne Corkin en 1992. "Moi-même je ne le sais pas" disait-il en riant. "Une année ou quelque chose comme ça."  Il ignore s'il a mangé et ignore même s'il a faim.

Conscient de son erreur, le docteur Scoville en parle alors à un confrère. Ce dernier va envoyer à Hartford Brenda Milner, étudiante en neuroscience. "C'était un homme très aimable, très patient, toujours prêt à essayer ces tâches que je lui donnais", raconte le docteur Milner, devenue professeur de neurosciences cognitives à l'Université McGill de Montréal. "Et pourtant, chaque fois que je suis entrée dans la pièce, c'était comme si nous ne nous étions jamais rencontrés." Grace à plusieurs expériences, elle va établir les bases de toutes nos connaissances sur la mémoire. Le postulat de base va être confirmé : l'hippocampe joue un rôle décisif dans la mémoire. Surtout, elle va effectuer une expérience extraordinaire. Elle propose à Henry une page blanche avec une grande étoile dessinée dessus. Au sein même de cette étoile, la même figure, plus petite. Le but du jeu étant de dessiner une troisième étoile entre les deux autres, le tout en regardant le dessin dans un miroir où tout est évidemment inversé. N'importe qui aurait beaucoup de mal à réussir cet exercice du premier coup et Henry n'est pas meilleur qu'un autre. Mais à force de le répéter, il réussit son coup, sans jamais se rappeler des entraînements précédents. "Après de nombreux essais, il m'a dit : c'est plus facile que je ne le pensais" se souvient Brenda Milner. Elle vient de faire une découverte primordiale : la mémoire n'est pas uniforme, comme on le pensait, mais se divise au moins en deux. La première concerne les informations factuelles, comme les noms, les adresses… Henry ne s'en souvient pas. L'autre concerne les gestes moteurs, comme la faculté de marcher, faire du vélo ou de dessiner une forme. L'inconscient enregistre l'information et est capable de la retenir. Dans le cas d'Henry, cela montre que la mémoire procédurale (celle des gestes) n'est pas gérée dans l'hippocampe comme la mémoire déclarative (celle du langage).

Milner va aussi découvrir une autre forme de mémoire, celle à court terme. L'étudiante demande à son patient de retenir un nombre. 15 minutes après, il s'en souvient. En fait, il l'a répété dans sa tête continuellement, prouvant qu'il existe une mémoire à court terme et qu'elle n'a pas été affectée non plus.

Ces principes de mémoires différentes sont une révolution pour nos connaissances. Au fil des années, des dizaines voire des centaines de scientifiques vont rencontrer Henry, qui se pliera avec bonne volonté à tous les tests et questionnaires possibles, bien qu'il oublie les interlocuteurs et les questions au bout de quelques secondes. Aujourd'hui encore, les chercheurs tentent de savoir à quoi correspond son amnésie mais les dégâts étaient vastes dans son cerveau et, si le rôle de l'hippocampe est évident, d'autres zones touchées pourraient aussi être responsables de son trouble.

A parti des années 1980, Henry perd ses parents. Incapable de vivre en toute autonomie, il rejoindra une maison de santé où il finira pour mourir en 2008. Son cerveau, si précieux, est disséqué et découpé en 2401 en tranches très fines, désormais compressées entre deux plaques des verres chacune. En 2014, les scientifiques du Brain Observatory de San Diego publient les résultats de leurs recherches sur le cerveau d'Henry, montrant de nouvelles zones d'ombre concernant les parties impliquées dans la mémoire. 5 ans après son décès, Henry Molaison continue d'aider la science à comprendre ce qu'il se passait dans sa tête.

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