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Le taux de chômage a augmenté de 0,2 point cet été dans l'Hexagone, à 7,4 % de la population active
Le taux de chômage a augmenté de 0,2 point cet été dans l'Hexagone, à 7,4 % de la population active
©AFP Archives

Inversion de la courbe

Sur fond de ralentissement de l'activité économique, le taux de chômage a augmenté de 0,2 point cet été dans l'Hexagone, à 7,4 % de la population active, a indiqué mercredi l'Insee

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot est économiste et expert du marché du travail à l'institut Montaigne, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Co-auteur notamment, avec Franck Morel, de "Un autre droit du travail est possible" (Fayard, mai 2016). 

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Atlantico : Le taux de chômage est estimé à 7,4% au troisième trimestre selon l’INSEE, contre 7,2% au deuxième trimestre et 7,1% au premier trimestre. Comment expliquer cette hausse ? 

Bertrand Martinot : Cette hausse s’explique tout naturellement par l’affaiblissement de la conjoncture en général, en France et en Europe. L’économie ralentit déjà depuis plusieurs trimestres. Au cours du 3e trimestre, notamment, la croissance n’aurait été que de 0,1 % selon les premières estimations de l’INSEE, autant dire une stagnation économique. Quant aux créations d’emplois salariés, elles sont en territoire négatif (18 000 destructions nettes) au troisième trimestre, ce qui fait suite au net ralentissement engagé déjà depuis fin 2022 (environ 100 000 créations d’emplois en moyenne par trimestre en 2022, puis 44 000 au premier trimestre 2023 et 12 000 au deuxième trimestre 2023). 

Les perspectives économiques se sont assombries de manière générale, et avec elle les enquêtes sur le climat des affaires en général et les perspectives d’embauche en particulier. 

Comment calcule-t-on le taux de chômage ? 

Le taux de chômage résulte d’une estimation faite chaque trimestre par l’INSEE à partir d’une enquête réalisée auprès d’un échantillon représentatif de ménages (80 000 sont interrogés sur leur situation vis-à-vis de l’emploi). Parmi les questions posées par cette enquête figure celles qui permettent de déterminer si les membres du ménage sont actifs sur le marché du travail et, s’ils le sont, s’ils sont au chômage ou en emploi. Cette évaluation se base sur un protocole précis à partir de la définition du chômage retenue par le Bureau international du travail (BIT) : ne pas avoir travaillé dans la semaine précédent l’enquête, être disponible pour travailler dans les quinze jours et rechercher activement un emploi. 

Cette enquête permet de déterminer à 0,3 point près (avec une confiance de 95 %) le taux de chômage, défini comme le ratio du nombre de chômeurs rapporté à la population active.  

Cette mesure est la seule statistique fiable et comparable internationalement du niveau de chômage. Bien entendu, la mesure du chômage ne saurait, à elle seule, résumer tout l’état du marché du travail. Il faut également prendre en compte, par exemple, l’évolution du taux d’activité, du taux d’emploi, ou encore le phénomène des chômeurs découragés (qui ne sont plus comptabilisés dans la population active), phénomène que l’INSEE essaye d’approcher par une autre statistique dénommée « halo autour du chômage »). 


La France est-elle sous la menace d’une inversion de la courbe du chômage ? 

Disons que l’économie française a connu une sorte de miracle de l’emploi depuis 2019, avec des créations nettes d’emplois spectaculaires (plus d’1,1 million d’emplois salariés depuis fin 2019, auxquels il faudrait ajouter environ 200 000 indépendants supplémentaires). 

Même si environ un tiers des créations d’emplois enregistrées dans cette période résulte de la progression de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, la performance sur le front de l’emploi a été inédite, compte tenu d’une croissance économique très modeste (1 % en moyenne sur la période). Ce résultat s’est traduit naturellement par une baisse inédite de la productivité par tête (de l’ordre de 6 %), ce qui n’est évidemment pas soutenable. 

Avec le mauvais résultat du second trimestre, c’est aussi la fin d’une diminution continue du chômage depuis mi-2015 qui s’interrompt (si l’on excepte la période du confinement de 2020 durant laquelle la notion de taux de chômage avait perdu une grande partie de son sens). 

Evidemment, un mauvais chiffre sur un trimestre ne fait pas une tendance et il est trop tôt de parler d’une inversion durable. Pour autant, le consensus économique sur les perspectives de croissance (en-deçà de 1 % en France en 2024) rend assez peu vraisemblable l’hypothèse d’une baisse continue du chômage. Avec une économie tournant au ralenti, et en dehors d’une situation exceptionnelle post-COVID (soutien massif des entreprises et de l’emploi par l’Etat), il est difficile de prévoir autre chose qu’une stabilité du chômage, voire une légère augmentation. 



Les documents de travail de l'OFCE prévoient des scénarios divers dont un potentiel chômage tutoyant les 8% l’année prochaine. L’organisme évoque la perte de près de 73 000 emplois d’ici la fin de l’année 2024. Faut-il y voir une tentative des entreprises de récupérer un peu de la productivité perdue après des mois passés à jouer la carte de la rétention salariale ?

Pour aboutir à ses prévisions, l’OFCE table sur une croissance faible en 2024 (0,8 %, soit à peu près le consensus général, bien en-deçà des hypothèses retenues par le gouvernement dans le PLF, à savoir une croissance de 1,4 %). Il y intègre également la fin des facteurs exceptionnels qui avait permis une création d’emplois extrêmement fortes dans la période 2019-2022. Le point essentiel est que l’OFCE considère que les entreprises vont s’efforcer de redresser leur productivité pour rester compétitive, donc ralentir les embauches (voire supprimer des effectifs), ou encore augmenter légèrement le temps de travail. En outre, avec l’assombrissement des perspectives économiques, les tensions sur le marché du travail pourraient s’estomper et les entreprises diminueraient leur effort de rétention de la main d’œuvre que l’on a observé depuis 2019. 

D’autres facteurs, comme les remboursements des prêts garantis par l’Etat ou encore le retour à la normal du nombre de défaillances d’entreprises et plus généralement l’arrêt du « quoi qu’il en coûte » dans un contexte de finances particulièrement dégradées, iraient dans le même sens. 

Au total, on peut raisonnablement tabler comme l’OFCE sur une légère diminution de l’emploi et une remontée sensible du chômage en 2024. Aller plus loin et dire s’il s’agit ou non d’une inversion de tendance durable serait pour le moins hasardeux. 

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