Jordan Bardella en voie de melonisation accélérée : le grand virage libéral conservateur du RN<!-- --> | Atlantico.fr
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Jordan Bardella prononce un discours pour présenter les priorités du « gouvernement d'union nationale » à Paris, le 24 juin 2024.
Jordan Bardella prononce un discours pour présenter les priorités du « gouvernement d'union nationale » à Paris, le 24 juin 2024.
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Virage

Jordan Bardella a présenté le programme de son parti en vue des élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet prochains. Ce faisant, le président du RN a de facto assumé un grand virage libéral conservateur.

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Atlantico : Lors de la conférence de presse organisée par le Rassemblement national, Jordan Bardella a livré les grands axes de son programme. Il a notamment parlé du sort réservé à la réforme des retraites, prévoyant une forme de progressivité en vue de mettre en place un départ à 62 ans pour 42 annuités de cotisations. Il a aussi évoqué la suppression des impôts sur les héritages directs pour les familles modestes et les classes moyennes ; la création d’une exonération de donations des parents à leurs enfants et des grands-parents à leurs petits-enfants jusqu’à 100 000 euros par enfant tous les dix ans. Dans quelle mesure peut-on y voir une forme de “Melonisation” du programme économique du RN ?

Raul Magni-Berton : Il y a, de fait, une évolution du discours du Rassemblement national qui peut faire penser à Giorgia Meloni. Ceci étant dit, peut-être faut-il rappeler que l’on aurait pu, auparavant, parler d’une forme de “Lepénisation” pour Giorgia Meloni elle-même. Ces deux figures, rappelons-le, ont suivi des parcours très différents : Giorgia Meloni est arrivée au pouvoir alors qu’elle faisait encore peur à tout une partie de la population (et on peut d’ailleurs penser de Marine Le Pen que, si elle avait bénéficié du même système électoral, elle serait aujourd’hui à Matignon). C’est une fois arrivée au sommet de l’Etat que Giorgia Meloni a commencé à modérer son propos et son action. Elle a su rassurer les conservateurs après avoir commencé à exercer le pouvoir. A l’inverse, Jordan Bardella doit rassurer avant de conquérir Matignon, ce qui prend beaucoup plus de temps, parce que le RN peine (ou peinait, au moins jusqu’en 2022) à transformer les voix en sièges.

Ce que l’on peut indéniablement ajouter, c’est que le Rassemblement national a déjà fait montre d’un programme libéral, économiquement parlant, par le passé. Ce que proposait Jean-Marie Le Pen tirait en effet davantage sur le libéral. Depuis, Marine Le Pen a su conquérir un électorat très différent de celui de son père, notamment auprès de couches de la population affichant des revenus faibles et dans les zones rurales. Cela s’est accompagné d’une orientation économique plus redistributive, qui n’a d’ailleurs pas disparu aujourd’hui. Je ne suis pas convaincu que la ligne ait réellement bougé, mais il est vrai que le discours change. On l’observe très clairement sur la question européenne également, comme cela a pu être le cas pour Giorgia Meloni, puisqu’il est désormais question de s’en accommoder largement

Que dire, exactement, de l’évolution du programme économique du Rassemblement national ? Apparaît-il plus responsable, comparativement à celui proposé pendant l’ère “Philippot” du parti ?

Il y a 10 ans, l’enjeu principal du Rassemblement national consistait à passer le premier tour des élections législatives ou de la présidentielle. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Désormais, il s’agit de passer le deuxième tour et c’est bien pour cela que la faible capacité de transformer des voix en sièges pose un problème au parti. Au deuxième, il tend à perdre jusqu’à présent et désormais, maintenant que le socle électoral est stabilisé, il s’agit donc d’aller conquérir au centre. C’est d’ailleurs pour cela que le RN s'est aliéné une partie de son électorat historique, anti-européen et cela explique une partie du débouché Zemmour. Bien sûr, le parti de Marine Le Pen a aussi profité de la faiblesse des Républicains pour mieux grignoter son espace politique.

Florian Philippot, que vous évoquez justement, a permis au Rassemblement National d’enchaîner les très bons scores de premier tour. Sa ligne n’a pas permis, en revanche, de remporter le second. Désormais, la nouvelle ligne vise à remplir un nouvel objectif et pour cela il faut maintenant se montrer rassurant ; ne pas faire trop de vague. On ne compte pas changer la constitution, renverser l’Europe de l’extérieur ou mettre en péril l’économie Française. Ces nouveaux discours, qui visent à rendre le RN plus respectable, cherchent à séduire un électorat modéré.

Je ne suis pas sûr, pour autant, que l’on puisse parler de dernier clou dans le cercueil de la ligne Philippot. Un parti change réellement quand ses électeurs changent ; quand ceux qui le financent – encore une fois, les électeurs pour partie non négligeable – changent. Quand ce n’est pas le cas, les discours peuvent varier mais l’intérêt fondamental demeure le même. En somme, je crois plus à un changement de position ou de discours qu’à une transformation profonde de la ligne, motivée également par l’appel d’air des Républicains et donc par une forme d’opportunisme politique.

A l’avenir, toutefois, il est tout à fait plausible que, l’électorat RN devenant plus riche et les voix des Républicains finissant absorbées, la dimension historique de ce vote évolue. Ce n’est pas encore tout à fait le cas.

S’il espère gagner les élections, le Rassemblement national doit-il réellement convaincre les électeurs libéraux du caractère libéral de ses propositions ou peut-il se contenter de faire moins peur que les autres et notamment le NFP ?

La question qui se pose, si le RN entend l’emporter, c’est celle de l’adversaire à qui il lui faudra faire face. En l’état, tout porte à croire que l’essentiel des duels de second tour l’opposeront à l’un ou l’autre des membres du Nouveau Front Populaire. Par conséquent, c’est auprès du centre qu’il lui faudra chercher un report potentiel de voix. Ceci passe nécessairement par une meilleure respectabilité économique, compte tenu des critiques dont le programme du NFP fait l’objet. Dans le cas contraire, c’est-à-dire en cas de duel opposant le parti d’Emmanuel Macron au Rassemblement national, c’est à la gauche qu’il faudrait réussir à prendre des voix. Il faudrait alors souligner le caractère redistributif de certains volets du programme.

Parce que la situation et la dynamique actuelle diffèrent considérablement de celles observées en 2022 (où c’était majoritairement auprès de la gauche qu’il fallait récupérer des voix), le RN a tout intérêt à témoigner de sa rationalité économique pour pouvoir capitaliser sur un discours capable d’attirer des électeurs centristes ou de droite plus de modérée. Il s’agit de dire qu’ils présentent un danger moins important, au moins, que le NFP pour tous les électeurs qui, une fois au second tour, se seraient retrouvés orphelins de parti.

Il s’agit donc moins de convaincre que de simplement se montrer moins effrayant.

Lors de sa récente conférence de presse visant à détailler son programme, Jordan Bardella s’est présenté comme le garant de plusieurs des libertés publiques. Que dire de l’évolution du discours du Rassemblement National en matière de libertés publiques, notamment ? Assiste-t-on à une forme de professionnalisation accélérée du RN ?

Cela fait un moment, maintenant, que le Rassemblement national se réclame des libertés publiques. Rappelez-vous le débat opposant Gérald Darmanin à Marine Le Pen : c’est le ministre de l’Intérieur, à l’époque, qui avait trouvé la présidente du RN trop molle au motif que celle-ci n’attaquait pas aussi durement que lui les compatriotes musulmans. Dès lors, plus que le Rassemblement national, je crois que c’est le regard des médias qui a changé sur ce sujet. Longtemps, il n’a été perçu et dépeint par ceux-ci que comme un danger. C’est encore pour partie vrai aujourd’hui. Mais il faut bien voir qu’à chaque fois que Jordan Bardella est interrogé sur l’une des mesures de son programme (et notamment quand il est question des libertés publiques), il est amené à corriger le ou la journaliste qui le questionne ; expliquant que ce qu’il propose est moins virulent.

Plus qu’une “professionnalisation” du RN, nous assistons aux dernières étapes du processus de dédiabolisation. Désormais, l’idée globalement admise, dans la presse, c’est que le danger émane de la gauche. Cela vient naturellement renforcer l’image du RN.

Faut-il penser qu’Eric Ciotti, désireux d’une alliance, où Les Républicains sont pour partie responsable de cette respectabilité nouvelle du RN ?

Peut-être, oui. Il est difficile de dire si la tentative d’alliance souhaitée par Eric Ciotti a réellement pesé sur la ligne actuelle du RN. Ce qui est sûr, néanmoins, c’est que cela se fait au détriment des Républicains, dont l’identité était forte auparavant mais qui semble aujourd’hui se noyer dans celle du RN. Difficile de faire la différence entre ces deux formations, désormais.

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