Joe Biden, piégé par les réseaux sociaux et les activistes de gauche<!-- --> | Atlantico.fr
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Le mouvement de contestation au sein de la jeunesse sur la question de la crise au Moyen-Orient et du soutien américain à Israël, qui se traduit dans les sondages, a été accompagné par l'extrême gauche américaine.
Le mouvement de contestation au sein de la jeunesse sur la question de la crise au Moyen-Orient et du soutien américain à Israël, qui se traduit dans les sondages, a été accompagné par l'extrême gauche américaine.
©Jim WATSON / AFP

Clivage

Sur les réseaux sociaux, les activistes de gauche, comme ce fut le cas à l’occasion de la primaire démocrate dans le Michigan, dénoncent le soutien apporté par Joe Biden à Israël. Or, la grande majorité des Américains, selon un sondage Harvard Harris, sont beaucoup plus favorables au soutien à Israël.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Sur les réseaux sociaux, les activistes de gauche, comme ce fut le cas à l’occasion de la primaire démocrate dans le Michigan, dénoncent le soutien apporté par Joe Biden à Israël. Or, la grande majorité des Américains, selon un sondage Harvard Harris, sont beaucoup plus favorables au soutien à Israël. 82 % des citoyens américains expriment leur soutien à Israël, tandis que 18 % soutiennent le Hamas. Joe Biden n’est-il pas confronté à un piège tendu par certains activistes et militants ? Que faut-il penser de ces divisions et de ces sondages qui donnent un autre regard plus nuancé sur la société américaine ?

Jean-Eric Branaa : Il est vrai que les Américains soutiennent très majoritairement l'aide apportée à Israël et ils condamnent en grande majorité l'attaque terroriste du Hamas du 7 octobre, selon les sondages. En parallèle, il y a aussi eu un mouvement de la part de la jeunesse (près de 40 à 45 %), qui s'est positionnée en faveur de la Palestine, et même plus précisément du Hamas, démontrant qu'il y avait une incompréhension de ce qu'il s’était passé sur le terrain. Mais l’engagement de ces jeunes est une recherche de liberté pour ces populations et ces jeunes s'inscrivent dans la défense des droits des Palestiniens avant les droits d'Israël. Cela marque une vraie rupture entre la jeunesse américaine et le reste de la population comme le montrent les sondages d’opinion aux Etats-Unis.

Plus on monte dans l'échelle de l'âge, plus l'incompréhension est grande puisque le chiffre de 40 - 45 % concerne les moins de 25 ans, la génération Z. Mais pour les personnes âgées entre 25 et 60 ans, près de 65 % des Américains soutiennent l'aide à Israël et cela monte à 92 % pour les plus de 60 ans. Il y a donc une dichotomie sur cette question-là et sur la façon de l'aborder au sein de la population américaine.

Joe Biden a suivi la politique américaine telle qu'elle a toujours été menée, à savoir que le Proche-Orient doit être considéré comme une poudrière, avec notamment l'Iran, qui est surveillé comme le lait sur le feu, et Israël, qui est un pôle de stabilité dans la région et qu'il convient donc de défendre l'idée de la démocratie dans cette région. Israël est presque la seule vraie démocratie de la région.

Le mouvement de contestation au sein de la jeunesse sur la question de la crise au Moyen-Orient et du soutien américain à Israël, qui se traduit dans les sondages, a été accompagné par l'extrême gauche américaine. Rashida Tlaib, la première personnalité d'origine palestinienne élue à la Chambre des représentants du Michigan, a pris un certain nombre de positions depuis le début de la crise à Gaza afin d’apporter son soutien aux Palestiniens. L’extrême gauche met Joe Biden dans une position assez difficile politiquement sur la question du soutien américain à Israël. L’extrême gauche a accompagné ces mouvements de jeunes et a encouragé ces protestations. Un certain nombre de groupes se sont créés pour essayer de faire pression sur Joe Biden. Parmi ces groupes, certains sont très virulents comme ABC (Abandon Biden campaign, « abandonner la campagne de Biden »). Ce mouvement a commencé par ABC in Michigan. Ce mouvement est maintenant national, il va se propager sur les prochaines primaires et sur le super mardi (le Super Tuesday). Cela pose un véritable problème à Joe Biden pour sa réélection. Dans le Michigan, sur les 95 % de votes dépouillés, il y a eu plus de 101.000 bulletins déposés en tant que non affiliés, des votes blancs mais qui comptent. Cela est un vrai pied de nez à Joe Biden dans un Etat, le Michigan, qui a été conquis par Donald Trump face à Hillary Clinton en 2016 pour 10.704 voix. Donc lorsqu’il y a plus de 100.000 bulletins de protestation dans le cadre d'une primaire, il y a de quoi s'inquiéter pour Joe Biden et les démocrates. Si 10 % seulement de ces jeunes américains et des musulmans américains reproduisaient le même vote, Joe Biden ne serait pas élu. Je considère désormais que le Michigan est un Etat perdu pour Joe Biden. Cela semble être très problématique pour lui de retrouver le chemin et la confiance de cette population, au regard des sondages d’opinion réalisés, à moins que Joe Biden soit en mesure de ramener la paix au Proche-Orient et d'arriver à faire adopter la solution à deux Etats. La situation serait alors totalement inversée. Mais s'il n'arrive pas à cela, il va rencontrer de réelles difficultés. Pour illustrer cette crise, la présidente de ABC in Michigan a dit « On a survécu au muslim ban, on n'a pas survécu à Joe Biden ». Cette phrase extrêmement violente en dit long sur la situation aux Etats-Unis. Le fait qu’elle soit prononcée par une intellectuelle, quelqu'un qui a un certain recul avec les mots, peut apparenter cette déclaration à un slogan mais prise au premier degré, cela peut faire des ravages et influencer directement la pensée politique de certains jeunes.

Comment Joe Biden peut-il concilier et tenter de surmonter les contradictions de la société américaine sur ces enjeux ? Quelle peut être l’équation ou la solution de Joe Biden afin d’apporter des réponses aux militants radicaux très engagés et qui dénoncent le soutien américain à Israël et les électeurs qui sont traditionnellement proches des démocrates et qui sont plus modérés ?

Joe Biden est piégé. Il est comme une mouche au milieu d'une toile d'araignée entourée par de grosses araignées. L'exemple de la Pennsylvanie est très marquant. Joe Biden a annoncé un moratoire sur les exportations de pétrole et de gaz naturel. Or, les ouvriers de la Pennsylvanie vivent grâce à ce gaz naturel. Joe Biden a annoncé ce moratoire car les Américains, lors de la COP 28, se sont engagés à être les fers de lance d'un monde plus propre, tout en expliquant qu’il s’agissait d’un combat générationnel et qu'il était devenu urgent.

Joe Biden est donc aujourd'hui pris entre son extrême gauche (qui lui demande des gages sur tout un tas de sujets comme le climat, l'écologie, le Moyen-Orient et sur d'autres sujets sociaux) et de l'autre côté, une frange du parti démocrate plus centriste, de centre gauche qui lui demande d'agir au quotidien pour les gens qui souffrent et qui ont besoin que leur emploi soit protégé.

Joe Biden, s'il bouge d'un côté ou de l'autre, en fonction de l’opinion et des convictions des démocrates, risque de perdre autant d'électeurs d'un côté comme de l'autre. Le candidat démocrate se retrouve ainsi face à une équation impossible. Si Joe Biden fait évoluer son positionnement vis-à-vis d'Israël, il va mécontenter l’ensemble de la population américaine qui, plus on monte en âge et dans sa grande majorité, pense qu'il faut soutenir Israël et à l'idée de démocratie dans cette région. Joe Biden ne peut absolument pas bouger de ses bases au regard de l’opinion de la société américaine.

Quel pourrait être le poids réel dans les urnes de ces activistes de gauche ? Ont-ils un fort potentiel de perturber l’arrivée au pouvoir de Joe Biden ? Ces électeurs activistes pèsent-ils réellement dans les sondages et auprès de l’opinion ?

En observant aujourd'hui les chiffres et la manière dont ils évoluent, en réalité, la dynamique de soutien envers Joe Biden n'a pas réellement bougé. L'écart entre Trump et Biden au niveau national est de 1 à 1,5 %, dans la marge d'erreur. Trump et Biden sont au coude à coude dans le cœur des citoyens.

Les récentes évolutions au sein de la population américaine suite au 7 octobre et sur la politique de soutien envers Israël vont avoir un impact sur l’élection présidentielle, notamment pour les Etats qui peuvent faire basculer le scrutin, les swing states.

L’extrême gauche, les jeunes et tous les groupes qui contestent aujourd'hui la candidature de Joe Biden ont les moyens de faire chuter Joe Biden. Les 15 grands délégués du Michigan, les 10 du Wisconsin, les 19 de la Pennsylvanie, les 16 de la Georgie, les 11 de l'Arizona ou les 6 du Nevada pourraient manquer cruellement à Joe Biden en novembre.

La propagation de « l'incendie » qui vient de s'allumer au Michigan risque de toucher d'autres États américains, notamment le Minnesota. Joe Biden pourrait perdre la présidentielle. 

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