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JO de Pyeongchang : pourquoi le défilé commun des athlètes sud et nord-coréens n’est pas le succès pour Kim Jong-un et le revers pour Trump que certains ont envie de voir
©JUNG Yeon-Je / AFP

Mise au point

Les délégations du Nord et du Sud défileront ensemble ce vendredi, lors de la cérémonie d'ouverture aux Jeux olympiques. Pourtant, officiellement, les deux pays sont encore en guerre.

Jean-Vincent Brisset

Jean-Vincent Brisset

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est chercheur associé à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.

Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012)

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Atlantico : Alors que la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques aura lieu ce 9 février, les deux Corées défileront ensemble, sous un drapeau commun, ce qui a été perçu parfois comme une victoire pour Kim Jung-un, un chroniqueur d'Europe considérant : "c’est un triomphe pour Kim Jong-un, il a déjà gagné les JO !". Dans quelle mesure une telle appréciation rate l'essentiel d'une stratégie nord-coréenne visant à fragiliser les relations entre Séoul et Washington ?

Jean-Vincent Brisset : La première constatation que l’on peut faire est que ce défilé des deux délégations derrière un drapeau commun est loin d’être une nouveauté, alors que, officiellement, les deux pays sont encore en guerre. Le drapeau de la « Corée réunifiée », qui représente une carte bleu clair de la péninsule sur fond blanc, a déjà été de nombreuses fois utilisé dans un contexte sportif équivalent depuis 1991. Ce drapeau a aussi été affiché  lors de différentes rencontres  Nord- Sud. Il est donc parfaitement impropre de voir dans ce défilé commun un « triomphe de Kim Jong Un ». On comprend bien que, derrière cette affirmation et dans un contexte où tout ce qui peut rabaisser l’actuel Président américain est mis en avant, le wishful thinking de certains chroniqueurs passe avant une analyse un peu sérieuse des faits.

Il est aussi vrai que, depuis des décennies, les membres de la dynastie Kim qui se sont succédé au pouvoir ont toujours essayé de distendre le lien entre Séoul et Washington. La mise au point d’une participation commune à un événement sportif bénéficiant d’une forte médiatisation à l’échelle mondiale est une bonne occasion de réaliser et mettre en avant des contacts purement bilatéraux. Certains analystes avaient aussi annoncé, avant le résultat sans surprise des dernières élections présidentielles sud-coréennes, que le futur président allait renouer avec la « Sunshine Policy » de rapprochement Sud Nord. Ce changement aurait dû s’accompagner d’un éloignement des Etats-Unis, en particulier via le refus de déploiement de certaines armes US sur le territoire de la Corée du Sud. Les faits, encore une fois, ont contredit ces discours. Malgré les protestations chinoises et russes, des missiles antimissiles THAAD, sous commandement US, ont été déployés en Corée du Sud. Le Japon a d’ailleurs, lui aussi contre les attentes de certains, fait l’acquisition de missiles Aegis (sous commandement japonais). Et, parlant de la venue de la délégation nord-coréenne aux JO d’hiver, le Premier Ministre japonais a déclaré : « Nous ne devons pas nous laisser distraire par l'offensive de charme de la Corée du Nord ».

Pendant ce temps, lors d'un déplacement à Tokyo, Mike Pence a annoncé la mise en place de nouvelles sanctions ​à l'égard du régime nord-coréen. ​Le silence enregistré de la part de Kim Jung-un lors de ces dernières semaines peut-il être le résultat des sanctions d'ores et déjà mises en place ?

Le 22 décembre dernier, à l’initiative des Etats Unis, le conseil de sécurité de l’ONU a adopté un nouveau volet de sanctions contre la Corée du Nord. Il s’agissait du troisième depuis le début de 2017, le dixième depuis 2006. Toutefois, à la différence de ce qui s’est passé précédemment, les dernières sanctions imposées ont été approuvées par tous les membres du Conseil, Chine et Russie compris. Pourtant, ces sanctions, loin d’être symboliques et/ou inappliquées comme la plupart de celles décrétées avant 2017, sont très dures (restrictions drastiques des fournitures de pétrole surtout) et elles sont réellement mises en œuvre, en particulier par Pékin. De plus, Mike Pence, qui dirigera la délégation américaine aux JO, vient d’annoncer que seront bientôt divulguées des sanctions économiques encore plus dures.

Kim Jong Un, dont on oublie souvent que l’essentiel de ses actions vise avant tout à conforter sa légitimité vis-à-vis de son peuple, est très vulnérable à ces sanctions, qui remettent en cause le développement de ces dernières années et peuvent donc ternir son image de protecteur de sa Nation.     

Peut-on encore imaginer un règlement diplomatique de la question nucléaire nord-coréenne ? N'est-il pas déjà trop tard ? La position sud-coréenne est-elle une difficulté à gérer de la part de Washington ?

Un règlement diplomatique tel que l’imaginent encore certains, entre gens bien éduqués parlant le même langage autour d’une tasse de thé paraît difficile à imaginer. Depuis des années, les rapports entre Pyongyang et Washington sont des rapports de force, même si la « patience stratégique » de l’administration Obama et le manque de détermination de l’ONU ont laissé les coudées franches à Kim pendant des années, ce qui lui a permis de développer les armes et les missiles testés jusqu’en 2017. Depuis l’arrivée de Trump au pouvoir, les outrances du nouveau Président US ont répondu à celles de son homologue et la gestion de la question est devenue plus brutale. Mais, dans les faits, il est difficile d’imaginer que Pyongyang puisse aller plus loin dans les provocations sans être complètement lâché par Pékin. Par ailleurs, la réussite affichée des derniers tests nucléaires et balistiques permet au Nord de s’affirmer, au moins vis-à-vis des opinions publiques, comme une puissance nucléaire de plein exercice, sans qu’il soit nécessaire de procéder à de nouvelles expérimentations. Dans de telles conditions, on peut imaginer un « compromis », qui aboutirait à une détente en échange d’un moratoire de fait sur les essais.

Ceci ne résoudrait pas totalement la question. Il est en effet difficile d’imaginer que, diplomatie traditionnelle oblige, un tel accord « honteux » puisse être formalisé officiellement et pérennisé. Par ailleurs, Kim doit toujours gérer, sinon de vraies oppositions, du moins des différences de points de vue entre ses proches. Le chantage au nucléaire, tel qu’il a été pratiqué par Pyongyang depuis 1993, a permis quelques avancées, mais a aussi couté cher à une population exclue du développement mondial. Il a surtout permis à la famille Kim de se maintenir au pouvoir en isolant la quasi-totalité de son peuple du reste du monde.

La position du Président Sud-Coréen est sans doute beaucoup moins éloignée de celle des Etats-Unis que l’on a parfois voulu le dire. Séoul est cependant de nouveau sorti du strict alignement avec Washington qui avait marqué les relations bilatérales pendant les Années précédentes. On n’est toutefois pas revenu à la Sunshine Policy qui avait marqué les mandats de Kim Dae-jung (198-2003) et de son successeur Roh Moo-hyun (2003-2008). C’est ainsi qu’à l’occasion des JO, des hauts responsables du Nord seront présents, et en particulier Kim Yo Jong, sœur de Kim Jong Un. Elle avait été placée sur les listes noires des Etats Unis quelques jours avant la fin de la présidence Obama. Le Président Moon a aussi demandé et obtenu le report des exercices militaires bilatéraux annuels qui devaient se tenir pendant les JO. Ces petits gestes permettent sans doute d’éviter les dérapages et ouvrent des canaux de dialogue, mais ils ne remettent pas en cause l’essentiel du lien avec Washington.

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