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Jérusalem capitale d’Israël : Donald Trump a-t-il franchi une ligne rouge au Moyen-Orient ?
©Reuters

Nouvelle intifada ?

Donald Trump a reconnu hier Jérusalem comme capitale d’Israël provoquant alors un séisme politique dans la région et dans le monde, l'Iran allant jusqu'à prédire une nouvelle intifada. Ce jeudi, le Conseil de sécurité se l'ONU se réunit en urgence.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Comment comprendre cette décision ? Comment s’inscrit-elle dans la tradition de la stratégie des Etats Unis dans la région ?

Ardavan Amir-Aslani : Cette décision aussi inutile que mal venue ne se justifie que par la volonté de l’administration Trump de distraire l’attention domestique américaine de ses difficultés suite à la mise en examen de son ancien conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn, inculpé dans le cadre de l‘enquête sur l’ingérence russe dans les élections présidentielles de 2016.Cete décision traduit aussi le fait que le prisme à travers lequel raisonne la maison blanche est celui marqué par l’idéologie de l’aile droite du Likoud et un tropisme excessif pour l’Arabie Saoudite. En effet, sur le plan international, d’un point de vue stratégique, rien ne justifie une telle décision qui rompt avec sept décennies de position constante de la politique américaine sur la question. S’il est vrai que de fait Jérusalem est bien la capitale d’Israël, sa reconnaissance comme telle par l’administration américaine n’avait aucune urgence. D’un point de vue de la politique intérieure américaine, une telle décision ne peut satisfaire qu’une petite frange de la société, celle des chrétiens évangélistes et de l’aile droite de la communauté juive américaine qui n’a jamais été favorable à la solution visant à la création d’un Etat palestinien dans les territoires occupés. En mettant l’Amérique dans le club minuscule des quelques pays reconnaissant Jérusalem, au mépris du droit international, comme capitale d’Israël, le Président Trump confirme sa politique visiblement antimusulmane qui plait tant à son électorat de base.

Emmanuel Dupuy :Pour autant qu’elle puisse paraitre incompréhensible dans le contexte géopolitique actuel perturbé du Moyen-Orient, cette décision était attendue, eu égard à la promesse de campagne que le président Donald Trump avait fait. En effet, c’est à l’occasion de plusieurs de ses meetings de campagne, que celui qui n’était encore que candidat à la maison blanche, avait « mis les pieds dans le plat », annonçant que sa décision visant à reconnaître la « seule capitale d’Israël, Jérusalem ». En se positionnant ainsi et en reconnaissant Jérusalem comme « la capitale éternelle du peuple juif », Donald Trump ouvre une nouvelle « boîte de pandore », aux conséquences stratégiques inédites.

Il est vrai que les sectes évangélistes, souvent décrits comme les « fous de Sion » soutiens de poids du sulfureux Steeve Bannon, très impliqués dans la campagne du candidat républicain, ont ardemment fait pression dans le sens de cette reconnaissance implicite de ce qui sous tendait une des doléances du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, sous la pression des mouvements orthodoxes juifs, qui représentent plus de 20% de la population d’Israël. Inutile de rappeler, à cet égard, le poids des deux partis ultra-orthodoxe (Judaïsme unifié de la Torah, mouvement Shas) et nationalistes-religieux (Foyer juif ou encore Israel Beytenou) qui appartiennent au Gouvernement Netanyahou IV. 

Depuis, le gendre du 45ème Président, Jarod Kushner ainsi que le Conseiller Moyen-Orient de la Maison Blanche, David Friedman, avait fait plusieurs déplacements, dont le dernier en date, le 24 août dernier, semble avoir été décisif. Les desseins américains étaient donc connus de tous. Les Etats arabes et les pays les plus impactés par cette décision unilatérale (Jordanie, Egypte et l’autorité palestinienne elle-même, bien sûr) s’attendaient à cette nouvelle bravade américaine.

 Cette décision américaine trouve également sa justification dans le vote en 1995 par le Congrès américain d’une loi reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël. Cette décision qui engage le Président américain, celui-ci, comme ses prédécesseurs, avait, cependant toujours été jusqu’ici bloqué par les prédécesseurs de Donald Trump. L’actuel président a décidé, quant à lui, de se placer dans l’esprit des parlementaires.

 La situation politique fragilisée au niveau intérieur de Donald Trump, est ainsi une autre grille de lecture qu’il convient de mettre en exergue.

Comment mesurer les conséquences de cette décision au Moyen Orient ? Faut-il s'attendre à des modifications des alliances locales, aujourd'hui marquées par les divisions entre Iran et Arabie Saoudite ? 

Ardavan Amir-Aslani : Il est vrai qu’il n y a plus aujourd’hui un monde arabe unifié. L’Arabie Saoudite, les Emirats et l’Egypte sont tous unis dans leur haine du printemps arabe, des frères musulmans et de l’Iran. La question palestinienne ne les a jamais trop préoccupés au-delà des symboles, qui certes ont leur importance mais qui en pratique n’imposent aucune stratégie proactive. Le silence saoudien, particulièrement flagrant en la matière est un témoin de cette indifférence à la question de Jérusalem et ce en dépit du fait que Ryad se proclame le gardien des lieux saints de l’Islam dont Jérusalem, troisième lieux saints pour les musulmans. Aujourd’hui avec l’affaiblissement comme c’est le cas en Egypte ou la quasi destruction des Etats Nations arabes comme la Syrie et l’Iraq, il ne reste guère que les pétromonarchies du golfe persique pour porter l’étendard du symbole de Jérusalem pour les musulmans. Or ces pays, partagent avec Israël une même perception hostile à l’égard de l’Iran et se retrouve unis dans la volonté d’opposer l’expansionnisme iranien dans la région. Il était donc prévisible que ces pays observent le silence sur la question voire même qu’ils aient donné leur accord préalable à une telle prise de décision par Donald Trump. En fait, le seul pays arabe qui est touché directement par cette décision est la Jordanie qui n’a guère exercé sa souveraineté sur Jérusalem-est et ce pays n’a guère les moyens de s’opposer concrètement à Washington.

Emmanuel Dupuy Cette décision a au moins la clarté de remettre en cause ea caractère impartial et neutre des Etats-Unis dans le règlement du conflit israélo-palestinien, notamment en ce qui concerne la promotion d’une solution à deux états viables vivant côte à côte.

Cette décision qui isole davantage Washington, advient, néanmoins, dans un moment de tension exacerbée au Levant (l’imbroglio institutionnel et politique au Liban née de la démission « forcée » de Saad Hariri ; une sortie de crise en Syrie soldée par une victoire militaire du régime de Bashar Al-Assad qui se fait aux dépens des Etats-Unis et au seul profit de la Russie et de l’Iran ; une crise encore prégnante au niveau du Conseil de Coopération du Golfe - malgré la médiation koweitienne - suite à la mise au ban d’un de ses membres, le Qatar ; une guerre au Yémen qui laisse exsangue l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes Unis, principaux belligérants ; regain de la menace terroriste au Sinaï égyptien...).

Cette décision prise par Donald Trump advient aussi à l’aune de la conflictualité avec l’Iran, latente quoique renforcée par la décision récente des Etats-Unis de « dé-certifier » l’accord sur le nucléaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action - JCPOA, signé à Vienne, le 14 juillet 2015) ou encore dans le contexte de la volonté américaine de « forcer » ses partenaires à suivre la décision américaine d’inscrire le Hezbollah libanais sur la liste des organisations terroristes.

Bref, Washington décide de franchir toutes les lignes rouges dressées par le Etats arabes. Leur unité et solidarité en témoigne. Les Etats-Unis font ainsi un formidable cadeau à ces derniers, désormais plus enclins à défendre l’importance spirituelle d’Al-Qods et de la mosquée d’Alaqsa, troisième lieu saint de l’islam, que de se chamailler autour du Qatar, du Liban ou de la Syrie !

Emmanuel Macron a regretté cette décision « la France n’approuve pas et qui contrevient au droit international et aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU». Au-delà du Moyen Orient, quelles peuvent être les conséquences d'une telle décision sur les jeux d'alliance entre grandes puissances extérieures, notamment en Europe, ou en Asie, avec le Moyen Orient ? 

Ardavan Amir-Aslani : Quasiment aucun Etat arabe aujourd’hui ne peut prétendre à une légitimité démocratique. Ainsi il convient d’observer une dichotomie entre les gouvernants arabes et la masse des gouvernés. S’il est vrai que les Etats arabes, à part une opposition verbale, ne déploieront aucune stratégie en vue de s’opposer à cette prise de décision américaine, les populations arabes, frustrées et souvent en antinomie avec leurs dirigeants, raisonnent différemment. La rupture des aspirations des peuples arabes avec les positions adoptées par leurs dirigeants ne fera qu’envenimer les rapports et concourra à la radicalisation accrue de la population. Deux blocs continueront à s’opposer. D’une part celui dominé par l’Iran et les pays aujourd’hui faisant partie intégrante de ce qu’il convient de qualifier l’axe de la pleine lune chiite comme l’Iraq, la Syrie ou le Liban, de l’autre celui dirigé par l’Arabie Saoudite et ses alliés. L’Europe pour sa part continuera à rester attachée à la solution consistant à promouvoir l’idée d’un Etat palestinien vivant côte à côte avec Israël et partageant Jérusalem comme capitale. L’Asie, en revanche, trop éloignée des turpitudes du Moyen-Orient s’attachera à garder une certaine neutralité toute en privilégiant ses intérêts économiques.

Emmanuel DupuyDonald Trump en prenant ainsi cette décision controversée et unanimement critiquée à travers le monde semble vouloir tester ces partenaires arabes quant à leur affirmation de solidarité avec les Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme, comme Donald Trump l’avait fait lors de son déplacement à Riyad, fin mai dernier. Cette décision est aussi un test vis-à-vis de l’Europe et des 27 états qui la composent. Quelle réponse viendra de Bruxelles ? alors que l’UE entend placer son action comme partenaire du dialogue israélo-palestinien. On a bien entendu, les récriminations - légitimes d’Angela Merkel et du président français, Emmanuel Macron. Ce dernier, se trouve, cependant, « piégé », par la décision en novembre dernier, de l’Unesco, au moment où Audrey Azoulai prend la tête de l’agence onusienne, sise à Paris, visant à interroger le lien entre juifs et Jérusalem. 

Il en a résulté un départ très médiatisé de Washington de l’UNESCO et la certitude que Paris ne suivrait pas Washington. La France, qui avait tenté, sous la précédente mandature, d’imposer une solution diplomatique qui passait par Paris, mais hélas réfutée tant par Abbas que Netanyahu, se trouve ainsi dans une impasse voire une incapacité diplomatique d'agir. La convocation par la France (entre autres) d’une réunion d’urgence du Conseil de Sécurité des Nations Unies n’y changera pas grand chose. C’est d’autant plus dommage que le président français se rend à Doha, dans quelques heures et que sa tournée levantine (Jordanie, Israël, Palestine) et déplacement à Téhéran se profilent...

Le timing choisi, par Donald Trump vise aussi implicitement à « plomber »  l’initiative française du 12 décembre sur le climat. L’agenda de cette annonce tend, en effet,  à « saturer » l’espace politique et médiatique mondial et détourne de l’urgence à financer la transition écologique, portée par la France, qui sera évoqué à Paris. Des mesure concrètes étaient attendues de la part du Gouvernement américain. L’effet d’annonce par Donald Trump sur le déménagement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem ne parviendra pas, cependant, à faire oublier l'impréparation des Etats-Unis au dérèglement climatique, comme, l’indique à juste titre, Nicolas Imbert, Directeur exécutif de Green Cross. 

Mais, au-delà de ces affirmations verbales, de quelle marge de manœuvre, dispose encore la France, l’UE ou même l’ONU, dans un processus de paix, qui a connu plus d’une cinquantaine de résolutions restées lettres mortes ? Pourtant, celles-ci sont très précises quant au statut de Jérusalem (résolution 181 de 1947, la résolution 252 de 1968 et la résolution 478 de 1980).

En faisant cette annonce tonitruante, Donald Trump avance néanmoins dans l’inconnu, ouvrant un nouveau chapitre de l’inextricable conflit israélo-palestinien, tout en fermant durablement les perspectives d’un abaissement de la tension, que l’accord intra-palestinien  de réconciliation du 12 octobre dernier, signé au Caire, entre le Hamas et le Fatah, laissait pourtant présager.

Pour autant, la décision américaine n’aurait jamais pu être prise sans l’accord de l’Arabie Saoudite. L’on peut parler, à cet égard, de revirement spectaculaire. L’Arabie Saoudite, poussée par le jeune et ambitieux prince héritier Mohamed Bin Salman, semble ainsi plus enclin à privilégier son accord de circonstance avec Israël, sur fond de ressentiment anti-iranien que de défendre l’unité arabe quant au caractère arabe d’Al-Qods. Riyad ne cache pas son dessein visant à se débarrasser du chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, au profit de l’ancien Conseiller national à la sécurité palestinienne, Mohammed Dahlan, aujourd’hui réfugié à Abou Dhabi.

 La décision américaine de déménager son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, va ainsi, de pair avec la proposition étonnante faite par Riyad de changer également la capitale palestinienne de Ramallah à Abu Dis, située au Sud-est de la ville sainte, remettant de facto et de jure, en cause, les visées palestiniennes de faire de Jérusalem-Est, la future capitale de l’état palestinien, aux côtés de Jérusalem-Ouest comme capitale d’Israël.

Enfin, il ne faut pas négliger l’importance du lobby pro-israélien (American Israel Pulic Affairs Commitee - AIPAC) qui a trouvé en Donald Trump, un interlocuteur plus à l’écoute de ses récriminations contre l’ONU, jugée trop anti-israélienne que son prédécesseur, Barack Obama.

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