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Jean-Pierre Denis : « Une mauvaise compréhension de la laïcité a transformé les catholiques en pur chef d’œuvre d’invisibilité et d’aliénation gentillette »
©Reuters

Catholicisme attestataire

Dans son essai "Un catholique s'est échappé", Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction de La Vie, plaide pour un catholicisme «attestataire», plus ancré dans le témoignage.

Jean-Pierre Denis

Jean-Pierre Denis

Après avoir dirigé la rédaction de La Vie, Jean-Pierre Denis a rejoint Bayard Presse pour créer de nouveaux médias. Intervenant régulièrement dans la presse, sur les ondes, les écrans et les réseaux sociaux, il est l'auteur de livres remarqués dont, récemment au Cerf, Un catholique s'est échappé.

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Atlantico : Dans votre essai "Un catholique s’est échappé", vous décrivez avec humour le catholique occidental contemporain : il est « retenu », « tout en réserve », et constitue « un pur chef d’œuvre d’aliénation gentillette, émolliente, invisible ». Qu’est-ce qui explique selon vous que les chrétiens occupent souvent cette place invisible et en viennent presque à s’excuser d’être chrétien aujourd’hui ? 

Jean-Pierre Denis : Il y a deux aspects, dont le premier est une mauvaise compréhension du christianisme. Depuis longtemps les chrétiens ont oubliés que le christianisme est une religion centrée sur le témoignage. Ils se sont axés sur eux-mêmes, sur leurs propres activités, ou ont développé des activités à caractère militant ou social - ce qui fait évidemment partie de la mission chrétienne. C'est fondamental, mais cela les a amenés à négliger le cœur du sujet : la foi elle-même.

Il y a aussi une mauvaise compréhension de la laïcité et de la sécularisation, qui a amené les catholiques à interioriser, presque malgré eux, le fait que la foi est une affaire purement privée. C'est une mauvaise conception de la laïcité, puisque cette dernière ne veut pas dire que la foi doit être muette et enfermée à double tour dans notre for intérieur. La laïcité ce n'est pas condamner les croyants à être muets ! Ce qui est intéressant dans ce double phénomène, c'est qu'il ne repose sur aucune contrainte, puisque dans l'Eglise catholique, comme dans la société française, la parole est libre. C'est une prison purement imaginaire et les chrétiens s'y sont enfermés.

Vous plaidez, à rebours, pour un catholicisme « attestataire ». Alors que notre société vit de nouvelles tensions quant à la place que doivent prendre et la laïcité et la religion, quelle place un catholique attestataire compte-t-il tenir ? Pouvez-vous nous donner des exemples de ce catholicisme attestataire aujourd’hui ?

Le christianisme a toujours été "attestataire", fondé sur le témoignage depuis les origines. Il y a eu différentes façons de l'exprimer : à une époque les chrétiens étaient missionnaires et partaient dans le monde entier annoncer l'Evangile. Pendant l'entre-deux guerres, un livre affirmait que la France était un pays de mission, sa parution avait provoqué de vifs débats à l'époque. Plus tard, sous Jean-Paul II, il y a eu un débat sur la "Nouvelle Evangélisation", qui portait sur la nécessité de proposer la foi chrétienne de façon novatrice dans des sociétés sécularisées. Je dis "attestataire" pour insister sur la situation personnelle, le christianisme ne se transmet que dans la conversation de personne à personne. Ce n'est pas une affaire de communication, d'institutions, de catéchisme, de discours sur les migrants, l'environnement ou la bioéthique. Tout cela est très bien, mais on entend une proximité dans les mots "conversation" et "conversion".

on expérience, peut être contre-intuitive, c'est que les chrétiens se sont persuadés que, dans cette conversation générale qu'est la vie même de notre société, l'on n'attendait rien d'eux. Mon expérience fondée sur des rencontres avec des non-chrétiens, par goût et par métier, me dit qu'ils attendent une parole explicite. Non pas pour donner des leçons, en ce moment l'Eglise et les chrétiens pourraient être mal placés pour donner des leçons à la société, mais pour répondre à la question que m'a posé mon père lors de notre dernière conversation : "Dis-moi quel est le chemin".

Ce n'est pas une question politique ou idéologique, c'est une question existentielle, qui se pose à toute personne humaine s'interrogeant sur le sens de sa vie, pourquoi l'amour, pourquoi est-elle née ? C'est sur ces questions que la religion a commencé, sur ces rites de passages : la naissance, le mariage, la mort, ces interrogations se poseront toujours. Ce qui me surprend et me choque, c'est que les chrétiens refusent de répondre à ces questions, alors qu'il faudrait faire tout le contraire.  

Si vous faites le constat d’une stabilisation de la population chrétienne mondiale, votre livre fait, comme beaucoup, le constat d’une perte de vitesse importante du catholicisme en France ces dernières années. Mais selon vous, ce ne serait pas motif de désolation, ou de déclinisme. Pourquoi ? 

J'ai écrit ce livre parce que je me suis senti poussé par un sentiment d'urgence ! Je fais un constat que l'on peut juger très sévère. On arrive à des niveaux de pratique religieuse proche de zéro dans certains endroits, le nombre de baptêmes est en chute libre, malgré l'essor des baptêmes d'adultes lors de Pâques. Même chose pour les vocations, pas seulement les curés, mais également chez les moines ou les sœurs, tous les indicateurs sont dans le rouge. Nous sommes au bord d'une situation où le Christianisme, au mieux, sera réduit à l'état d'une minorité consistante, sans aucune importance et présence véritable dans la société française.

Si l'on est sorti du christianisme, que l'on n'en attend plus rien, c'est une nouvelle sans importance, mais si l'on est chrétien on ne peut rester inerte et dans le déni. C'est un constat qui est plus qu'alarmiste, mais réaliste, sur un christianisme qui est en voie d'extinction dans notre pays. Cela arrivera si les catholiques ne se ressaisissent pas, et en réalité ce n'est pas très compliqué. Les catholiques attendaient de l'Eglise qu'elle assure la transmission du message chrétien, et s'il ne passait pas par l'institution il passait par la famille ou la société, puisqu'il y avait une forme de conformisme qui faisait tenir le système. Une fois que ce système s'est effondré, et on voit que l'on est à un point de rupture avec la gestion des scandales qui touchent l'Eglise, chaque catholique est renvoyé devant ses responsabilités.

Le choix est alors double, est-ce que je fais passer mon propre christianisme par pertes et profits, ou bien est-ce que je m'en sens responsable ? Ou bien je me convertis à ce christianisme "attestataire" et je suis capable de dire "Je crois !". Evidemment pour moi c'est facile de le dire, puisque c'est ma vocation et mon métier, c'est sans doute plus difficile pour certains dans leur milieu professionnel.

Je ne pars pas bille en tête pour faire ingurgiter le christianisme à ceux qui n'ont rien demandé. Il s'agit de répondre à la question quand elle nous est posée. J'ai envie de dire aux catholiques : "C'est entre vos mains !". La situation est à la fois décourageante pour beaucoup de catholiques, mais elle peut être exaltante car chacun est responsable du devenir du christianisme dans la société française. C'est un moment de vérité et je suis très réaliste sur le constat, mais pas du tout dépourvu de convictions sur la réponse que l'on peut apporter.  

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