Jean-François Kahn : « Le bloc central est (aussi) le produit d’un scrutin majoritaire pervers. Mais il ne survivra pas à Emmanuel Macron »<!-- --> | Atlantico.fr
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Le bloc central macroniste a provoqué une recomposition du paysage politique français.
Le bloc central macroniste a provoqué une recomposition du paysage politique français.
© Ludovic MARIN / POOL / AFP

Alternance inatteignable ?

Les résultats du premier tour des élections législatives ont confirmé l’existence de trois blocs : le bloc central macroniste, le RN et la NUPES. Nos institutions, notre mode de scrutin, les fractures sociales françaises ainsi que ces résultats fragilisent-ils toute possibilité d’alternance ?

Jean-François Kahn

Jean-François Kahn

Jean-François Kahn est un journaliste et essayiste.

Il a été le créateur et directeur de l'hebdomadaire Marianne.

Il a apporté son soutien à François Bayrou pour la présidentielle de 2007 et 2012.

Il est l'auteur de La catastrophe du 6 mai 2012.

 

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Atlantico : Le premier tour des législatives a confirmé en quelques sortes l’existence de trois blocs. Le bloc central macroniste, le RN et la gauche/extrême gauche NUPES. Avec un bloc central et deux blocs extrêmes, nos institutions, notre mode de scrutin et les fractures sociales françaises n'ont-ils pas débouché sur une situation ou l’alternance paraît inatteignable ?

Jean-François Kahn : Il faut arrêter avec certains fantasmes psychanalytiques. L’idée qu’il n’y a plus d’alternance est fausse. La France est une démocratie, il y a des élections libres. Si les citoyens veulent voter pour la droite républicaine, pour la gauche démocratique, pour la droite extrême, ils le font. La presse qui répète qu’on veut nous imposer un duel Le Pen-Macron se trompe. S’ils n’en veulent pas les gens n’ont qu’à voter. Cela dit, il y a deux problèmes. Une force centrale dans le pays, il y en a une, il y en a toujours eu. Mais jusqu’à récemment, la bipolarisation empêchait une représentation parlementaire de ce groupe central. On peut parler de l’ambiguïté de ce groupe, mais des gens qui ne se sentent ni vraiment de gauche, ni vraiment de droite, on en rencontre tous les jours. Qu’ils votent pour une formation qui leur propose un dépassement, c'est la démocratie. Les vraies questions ce sont : pourquoi la gauche républicaine s’est vendue à une extrême gauche complètement folle et souvent islamogauchiste ? Pourquoi la droite républicaine s’est laissée aller à des complaisances ou des surenchères, par exemple face à Eric Zemmour, qui l’ont tuée.

Le vrai problème ce n’est pas l’existence d’un groupe central, c’est la conjonction extrême droite, extrême gauche. On va bien voir au deuxième tour des législatives qu’une grande partie des Lepénistes et des Mélenchonistes vont voter pareil. Un autre phénomène qui paraissait inimaginable : un certain nombre de gens de droite ont dit qu’entre le centre droit et l’extrême gauche ils ne choisissaient pas car cela était du pareil au-même. C’est ce phénomène qui fait exploser la structuration politique traditionnelle.

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Comment expliquer ce phénomène ?

Nous n’avons pas voulu voir qu’il y avait en France de très nombreuses personnes qui se sentaient soit ni de gauche ni de droite, soit un peu à gauche, un peu à droite, ou même de gauche sur le plan social et économique et de droite sur le régalien et sur le plan identitaire. Que ces gens-là aient fini par trouver une tendance politique qui les représente et votent pour, cela n’a rien d’anormal. Mais c’est le scrutin majoritaire qui a fait que cette tendance, avec 25% des votants, a obtenu la majorité absolue à la chambre. Depuis que nous avons le scrutin majoritaire, tous les partis majoritaires à la chambre sont minoritaires dans le pays.

Le phénomène Macron est la conséquence du scrutin majoritaire. Cela fait des décennies que je me bats contre ce mode de scrutin qui est une folie. Il faut rappeler que c’est la droite qui s’est accrochée à ce scrutin. Mais aujourd’hui, si on avait instauré la proportionnelle, elle aurait plus de députés qu’elle n’en aura dimanche. D’ailleurs, si on ne change pas de mode de scrutin, la droite traditionnelle va disparaître d’une grande partie du territoire. Pourquoi ? Parce que dans un duel entre l’extrême gauche et les macronistes, les électeurs de droite votent pour celui qui peut battre le mélenchonisme et ils cessent de voter pour la droite. A l’issue des législatives, il n’y aura plus qu’une cinquantaine de circonscriptions tenue par la droite, qui va disparaître des autres, et les gens vont perdre l’habitude de voter pour elle. C’est la perversion du scrutin majoritaire.

Mais le mode de scrutin ne forçait pas pour autant la gauche à démissionner et se vendre à l’extrémisme de gauche ou la droite à se suicider dans une surenchère avec l’extrême droite.

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Maintenant que les choses sont en l’état, que la gauche est alliée à la NUPES et que la droite va se retrouver minoritaire, peut-on vraiment penser qu’il serait possible de les voir revenir ? Et avec eux une alternance avec la gauche et la droite républicaine ?

Que va-t-il se passer aux législatives ? LREM seule n’aura pas la majorité mais l’alliance Ensemble (LREM, Horizons, Modem, etc.) peut encore avoir une majorité absolue. S’ils ne l’ont pas, ils pourront sans doute convaincre quelques députés parmi les « divers » gauche ou droite. Mais ce ne sera plus la majorité absolue d’un parti, mais, de fait, une coalition au pouvoir. Emmanuel Macron ne pourra pas faire ce qu’il veut. Le Modem et Horizons auront leurs exigences et nous allons quitter peu à peu le régime présidentiel pour aller vers un régime plus parlementaire. Cela est certain.

Deuxièmement, la droite républicaine et la gauche démocratique et républicaine existent toujours dans ce pays. Je suis donc convaincu qu’on va voir la réémergence d’une gauche avec d’autres leaders, d’autres idées, qui ne s’appellera plus forcément socialiste, ou même la gauche. Il faut un changement radical. Mais il y aura une force d’opposition sociale, démocratique, laïque qui va naturellement réémerger. Et à droite, ceux qu’on appelait, historiquement, les modérés, sont devenus hystériques. Une droite ouverte, libérale, conservatrice, démocratique, républicaine, se reconstituera également naturellement. C’est une nécessité. Et cela va se faire d’autant plus que le groupe central, puisque Macron ne peut pas se représenter, va éclater. L’aile droite de ce groupe va s’en aller vers le centre droit, l’aile gauche vers le centre gauche, et ne resteront que les centristes autour du MoDem. Et l’aile non extrémiste de LR s’alliera avec la droite macroniste, tandis que l’aile de la gauche qui ne veut pas se fondre dans Mélenchon se retrouvera avec la fraction de gauche du macronisme. Ce sera l’esquisse d’une renaissance de ces deux pôles. La recomposition est inévitable. Les journalistes ont tendance à être positivistes, mais l’émergence de Macron, l’extrême gauche mélenchoniste comme première force d’opposition, personne ne l’a vu advenir. Et la renaissance de la gauche et de la droite arrivera, même si personne ne le voit arriver.

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Dans un discours appelant à lui donner une majorité, Emmanuel Macron a déclaré qu'aucune voix ne doit manquer à la République. Que faut-il en tirer ?

Le message c’est qu’il faut voter pour lui. C’est un classique des élections. C’était la même chose lorsque De Gaulle disait, « c’est moi ou le chaos », c’était pareil. C’était choquant mais il l’a dit. Quand Poniatowski déclare que «Si la gauche l'emporte, on verra les chars soviétiques place de la Concorde» pour appeler à battre Mitterrand, c’est la même logique. On ne devrait pas tenir ce genre de propos, mais ils sont courants. Cela dit, je pense qu’Emmanuel Macron estime, et ce n’est pas totalement faux d’ailleurs, qu’une fraction du mélenchonisme n’est pas républicaine. Ce qui n’est pas acceptable, c’est de dire que l’ensemble de la gauche serait non-républicaine. Tout comme il n’est pas acceptable de dire que l’ensemble de l’extrême droite lepéniste n’est pas républicaine. Mais il est clair qu’il y a des forces non républicaines chez les deux. 

Propos recueillis par Guilhem Dedoyard pour Atlantico

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