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Jacques Paugam : "Maurras a compris avant bien d'autres que les idées généreuses et le sentimentalisme pouvaient mener vers la censure, le refus du débat et la remise en cause de la démocratie"
©AFP

Intemporel

La commémoration du 150ème anniversaire de la naissance de Maurras a déclenché de vives polémiques, au point que le ministère de la Culture, qui l’avait inscrit au départ dans la liste des commémorations prévues en 2018, l’a retirée. Jacques Paugam livre une analyse lucide et éclairante de la pensée et du parcours de Charles Maurras.

Jacques Paugam

Jacques Paugam

Jacques Paugam est un écrivain et journaliste français. Très impliqué dans le domaine de la culture, il a produit et animé de nombreuses émissions et chroniques pour la télévision, la radio et la presse écrite. Il est le cofondateur du site Culture Tops, partenaire d'Atlantico.

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Atlantico : Alors qu’en 1968, le Monde consacrait une double page, certes critique, au parcours singulier de Maurras, l’année 2018 restera celle des polémiques et d’une certaine censure, justifiée par les accusations d’antisémitisme. L'antisémitisme de Maurras doit-il conduire à éviter de parler de lui et de sa pensée?

Jacques Paugam : Tout d’abord, je veux rappeler une chose évidente. L’antisémitisme est une horreur inacceptable, il n’y a pas à en discuter. Malgré son intelligence et sa clairvoyance, c’est la grande faute de Maurras, celle qui restera comme une tâche noire dans son parcours.

Maintenant, qu'est-ce qui caractérise son antisémitisme? Maurras n’est pas antisémite au sens raciste du terme. Mais il estime que la communauté juive fait passer ses intérêts supérieurs avant ceux de la Nation. Il faut donc, selon lui, exclure les juifs de la citoyenneté française et des emplois publics. Mais  il affirmera encore, en 1941, comme il l'avait fait en 1903, dans "Dictateur et Roi", et presque dans les mêmes termes, que « les juifs doivent pourvoir exercer leur religion librement » et que  « l’humanité veut que nous assurions aux juifs qui résident chez nous la sécurité , la bienveillance, la justice, avec toute l’amitié possible ». 

Comment un homme aussi intelligent n’a-t-il pas compris que ces deux  affirmations étaient, dans les faits, incompatibles et qu'il ouvrait ainsi, sans le vouloir, la voie aux pires atrocités? Pour moi, cela reste une énigme radicale, quand on sait, par ailleurs, qu'il considérait le nazisme comme une barbarie et Hitler comme "la plus complète expression" de "la horde bestiale allemande".

Ceci étant dit, je rappellerai, de mémoire, le principe émis par Voltaire, clé de voûte de toute démocratie: je ne suis pas d'accord avec ce que vous dîtes mais je défendrai jusqu'à ma mort le droit que vous avez de le dire.

Quelle est la démarche de sa pensée et du « système maurrassien »?

Je dirai que c'est une démarche à 6 clés:

- la 1°, c'est celle du"petit poussin", qui peut se débrouiller seul au bout de quelques mois seulement. L'homme, quant à lui, à besoin d'être formé, "porté", par son entourage; une solidarité qui débouche évidemment sur des inégalités de situation et de chances.

- la 2°, c'est la mort, et l'idée que l'homme a beaucoup de mal à en accepter le principe. D'où une violence qu'il retourne contre lui-même, contre les autres, individuellement, en groupes ou au niveau national. Le rôle du pouvoir est de donner un cadre à ces pulsions pour qu'elles puissent être maîtrisées, au niveau politique, dans le domaine du travail et des rapports internationaux.

- la 3°, c'est l'anti-Rousseauisme. Pour Maurras, Rousseau est un dangereux fada, sa conception de l'égalité débouchant sur l'égalitarisme et  un individualisme forcené, amenant inexorablement désordre et violence.

- la 4°, c'est l'anti-Kantisme, et le rejet de l'impératif catégorique. La raison rationnelle mise en oeuvre par Kant, ne se nourrissant que d'abstractions, loin des réalités, conduit, selon Maurras,  à une dangereuse confusion des genres: avoir des idées généreuses et des  sentiments vrais, au lieu d'avoir des idées vraies et de sentiments généreux; ce qui débouche sur les pires excès. 

- la 5°, c'est un culte de la beauté classique, l'harmonie créatrice gréco-romaine,  dont le Parthénon lui semble une illustration supérieure.

- la 6°, c'est la recherche, en tout, de la pérennité. Dès les années 1900-1910, son cap c'est 1950: comment faire pour que la France puisse encore s'en sortir dans la deuxième moitié du 20°siècle?

Vous développez dans cet ouvrage une analyse de la filiation entre Maurras et le Général de Gaulle. Sur quoi repose-t-elle ?

Je sais qu'en disant cela je choque pas mal de gens, mais pour moi, cette filiation est très importante:

- en premier lieu, en matière de politique étrangère. Vous trouvez les bases de la politique étrangère gaullienne dans "Kiel et Tanger", dès la première mouture de 1905. La France, dit Maurras n'est plus une grande puissance. Le 20° siècle verra l'affrontement de quelques grands blocs, engagés dans une compétition économiques effrénée, au détriment des Etats moyens et petits. Le rôle de la France est de prendre la tête de ces Etats intermédiaires et de contribuer à construire une Europe des Nations, héritière de la civilisation gréco-romano-catholique.

- en deuxième lieu, les deux hommes partageaient la même vision d'un Etat fort au service de tous, animé par le principe de l'empirisme organisateur, et capable de mettre en place une organisation économique et sociale solidaire, maîtrisant  les excès du capitalisme.

- enfin les deux hommes attachaient une importance capitale à notre héritage culturel, à la beauté de la langue française et à la nécessité de permettre à tous d'accéder à la culture.

J'ajouterai que la fin de vie des deux hommes, dans la solitude, n'est pas sans éléments de rapprochement 

Personnellement, j'estime que Le Général de Gaulle fut un meilleur maurrassien que Maurras lui-même dans la mesure oû il a laissé tomber tout le côté négatif de Maurras, traumatisé par la défaite de 1870, et où il a su incarner lui-même, de manière magistrale, par exemple dans l'organisation du processus d'indépendance de l'Afrique Noire, le principe de l'empirisme organisateur cher au poète de Martigue mais qui fut lui-même bien incapable de l'incarner politiquement.

En quoi la pensée de Maurras éclaire-t-elle notre époque ?

En 1972,  Georges Pompidou  déclarait devant des étudiants de Sciences Po: « Maurras avait prévu le monde d’aujourd’hui ».

Je dirai que c'est encore plus vrai en 2018. Deux exemples:

- tout le dérapage actuel vers un égalitarisme individualiste qui a fait passer, petit à petit, le sociétal avant le social, pour le plus grand mal des classes populaires.

- le développement dans le débat public, d'un sentimentalisme manipulateur qui exclut de plus en plus la confrontation des idées et met en cause le principe démocratique lui-même: islamo-gauchisme, hystéro-féminisme, oukases du silence etc...

L’âge d’or du Maurrassisme, de Jacques Paugam (éditions Pierre Guillaume de Roux). Préface de Michel de Jaeghere, directeur du Figaro Histoire et du Figaro Hors-Série

L’âge d’or du maurrassisme, de Jacques Paugam

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