Impression 3D : la bulle des grands espoirs de révolution technologique majeure se dégonfle sérieusement <!-- --> | Atlantico.fr
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Une imprimante 3D.
Une imprimante 3D.
©wikipédia

Dans le dur

Les imprimantes 3D peinent à concrétiser les attentes et les espoirs qu'elles avaient suscités lors de leur lancement il y a quelques années. Leurs ventes sont en baisse constante depuis 2014.

Christophe Benavent

Christophe Benavent

Professeur à Paris Ouest, Christophe Benavent enseigne la stratégie et le marketing. Il dirige le Master Marketing opérationnel international.

Il est directeur du pôle digital de l'ObSoCo.

Il dirige l'Ecole doctorale Economie, Organisation et Société de Nanterre, ainsi que le Master Management des organisations et des politiques publiques.

 

Le dernier ouvrage de Christophe Benavent, Plateformes - Sites collaboratifs, marketplaces, réseaux sociaux : comment ils influencent nos Choix, est paru en mai  2016 (FYP editions). 

 
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Atlantico : Présentée comme le futur de l'industrie et l'invention du 21ème siècle par excellence, les imprimantes 3D connaissent des ventes qui déclinent depuis la fin de l'année 2014. Comment expliquer ce désintérêt soudain pour les imprimantes 3D ? 

Christophe Benavent : Des ventes qui déclinent, je n'en suis pas sûr, un effondrement du cours boursiers de deux de ses acteurs c'est certain, et cela suffit à traduire une désillusion des marchés. En 2014, 110 000 imprimantes ont été livrées selon Gartner qui prévoit un doublement pour 2015. Des prévisions à plus de 2,3 millions d'unités (dans le monde) sont envisagées pour l'horizon 2020, mais le marché est né il y a 30 ans, croissant à un rythme rarement supérieur à 10% ! Autant dire que les prévisions dans le domaine relève plus de l'astrologie que de la science, d'autant plus qu'on met sous un même terme des technologies très différentes et des usages très fragmentés. 

Il ne s'agit pas d'une technologie générique, sauf à penser que le principe de déposer des couches de matière est générique. A ce titre, il faudrait penser que construire une maison en brique, ou mieux la technique des boudins en poterie, en sont des exemples! De la même manière que tout ce qui a 4 roue n'est pas une voiture, toutes les techniques qui ajoutent une épaisseur ne sont pas de l'imprimerie. D'ailleurs les spécialistes parlent de technologie additive plutôt que d'imprimante qui est une mauvaise métaphore. Ces technologies se distinguent aux moins sur deux critères : la taille et la nature des matériaux qui en délimitent les usages. 

Et du point de vue du marché difficile de confondre les machines 3D destinées par exemple à la prothésie dentaire, celles à la fabrication d'éléments aéronautiques, celles destinées au design de prototype et de maquettes et enfin les modèles à bas prix destinés au marché du DIY ("do-it-yourself", faire soi-même ndlr)… Cette diversité des marchés ne fait pas l'unité du marché de l'imprimante 3D, et elle est certainement difficile à appréhender.

Cette technologie est-elle victime des espoirs placés en elle ? Comment expliquer la frénésie qui a accompagné la sortie des premières imprimantes 3D ? 

Elle est surtout victime d'une croyance fausse : celle que la technologie est une solution en elle-même. Le cycle de la "hype" laisse place à une période de désillusion qui dépend moins de la technique elle-même, que de l'idéologie techniciste qui l'accompagne et fait oublier les réalités industrielles et surtout économique. Considérons à ce stade uniquement les applications en B2B. La justification de l'adoption d'une technologie comme l'imprimante 3D et donc l'investissement, dépend de deux grands facteurs : la capacité à produire des produits d'une plus grande qualité et sa capacité à obtenir des coûts moindres. Sur le premier point on comprend aisément la limite et le potentiel. Dans la mesure où les matériaux les plus employés sont des polymères (ABS, PET, résines) pour les techniques filaires, ou pour d'autres des poudres comme l'alumide, la qualité des objets en termes physiques dépend de leur propriété : résistance à la chaleur, au déchirement, à l'abrasion. Et ces qualités n'ont pas toujours les niveaux requis pour des usages spécifiques et industriels. De plus, les techniques actuelles ne permettent pas la plupart du temps de combiner des matériaux différents. Il en résulte que l'avantage procuré se limite à la fabrication de prototypes et assez mal à la production en grands séries. Quant à l'argumentation des coûts, les techniques traditionnelles (fonderie, emboutissage, fraisage....) de production de forme associée à des coûts du travail faible, restent souvent compétitives surtout dans les ateliers du monde (Chine et Inde)...

Sans compter le coût des matériaux eux-mêmes dont à titre indication les niveaux sont de l'ordre de 15 euros le kilo au minimum.

L'enjeu pour le développement du marché est donc clair : une plus grande variété de matériaux et la capacité de les combiner, la vitesse de production unitaire, et avant tout la capacité d'obtenir des économies d'échelles et d'expérience importante. En attendant l'usage de ces techniques se limitera aux situations de très petites séries, pour des objets très complexes, et dans les cas où les acheteurs sont prêts à payer un coût unitaire très élevé.

Qu'est-ce qui déplaît aux consommateurs ? Que reproche-t-on concrètement aux imprimantes 3 D ? 

Là vous évoquer un autre marché. Celui du Do it yourself. Il existe depuis pas mal d'années une utopie, celle des "makers", et cette idée que les consommateurs souhaitent être leur propre producteur afin d'être acteur de leur consommation. Cela reste une utopie ne serait-ce que pour une question économique, les coûts des matériaux sont élevés. Imagine-t-on sérieusement se faire faire sa propre ménagère à 20 euros le kilo et nécessitant au moins deux machines 3D à 500 euros pièces pour un usage quotidien (il en faut une pour faire des assiettes en ABS et une autre des couteaux en alumide) ? Sans compter le temps passé à regarder la machine imprimer laborieusement les verres. Même si l'on a trouvé sur le net un modèle numérique exclusif et épatant au design somptueux, l'avantage de l'hyperpersonnalisation, l'expérience créative ne compense pas à ce jour le coût et l'effort de production. Nous ne sommes pas prêts à nous remettre à la couture ou à faire nos vêtements nous-même, ni à fabriquer nos objets du quotidien. S'il y a une tendance au DIY, elle reste marginale, même si les médias ont tendance à la grossir. Le très bel exemple en la matière est celui de l'alimentation (qui au passage peut aussi être imprimée) : en dépit des "Master chef" et autres émissions qui célèbrent le talent de cuisiniers amateurs, jamais on a autant moins fait la cuisine.

Mais on doit nuancer le propos en tenant compte d'une culture de l'amateur qui va du cuisinier occasionnel au modélisme, qui joue dans le système du consommateur un rôle non négligeable que ce soit dans le domaine de l'invention (le consommateur innovateur de Von Hippel) ou de la diffusion des goûts. Une fraction de l'ordre de quelques pour-cent de consommateur, bricolent et détournent les produits pour leur propre besoins (hacking) que ce soit pour l'automobile (tuning), l'aéromodélisme, la couture, la poterie ou le macramé. Ces activités qui constituent un loisir ne sont pas nouvelles, elles prennent un coup de jeune avec les technologies de l'information, mais ne constituent aucunement un retournement de nos façons de vivre. De la même manière que dans les réseaux sociaux, 1 ou 2% produisent une très grande proportion des contenus, dans la vie matérielle la même production est active. Le fait-main est l'affaire d'une minorité qui cependant peut être influente et orienter les innovations des entreprises qui ont compris l'intérêt d'exploiter leurs idées. 

Il n'y a pas de consommateur-producteur, il y a une ultra-minorité d'amateur sur-actifs et pour qui les imprimantes 3D sont un moyen de gagner en productivité, et une énorme majorité de consommateurs qui pour des questions d'économie ou de refus de faire des efforts, préfèrent la très grande série, éventuellement personnalisée à la marge. 

On comprendra qu'en potentiel de marché, il ne faut pas s'attendre à un taux de pénétration très élevé de ces machines à l'avenir sur les marchés de grande consommation.

Comment peut-on imaginer que les ventes des imprimantes 3D vont évoluer ? Quels correctifs pourraient-être apportés pour les rendre plus populaires ?

Le développement de ces machines va se poursuivre car on les améliore chaque jour en élargissant leurs usages. Dans le monde industriel l'enjeu est celui des échelles de production, mais le facteur de succès viendra surtout de la capacité de leurs producteurs à segmenter finement leurs domaines d'application et à découvrir des marchés dans lesquelles la personnalisation apporterait un avantage au consommateur final. Un exemple simple permet de comprendre le mécanisme : les selles de vélo. L'avantage de la 3D est naturellement de pouvoir adapter la production de ces selles à l'anatomie des cyclistes. En visant les vendeurs de vélo, et en leur apprenant à ajuster un modèle numérique générique à l'anatomie de leur client, on peut leur confier une production unitaire et relocalisée. Mais il ne suffit pas pour cela de fournir le modèle, la machine et les matériaux, il va falloir former les techniciens, mettre en place un protocole de mesure, et organiser la relation avec le client. On ne parle plus de technique, mais de marketing et d'organisation.

Quant au grand public, c'est en développant la culture de l'amateur, en organisant ces petites communautés, en introduisant des mécanismes d'émulation, qu'une dynamique positive sera instaurée. C'est déjà parfois le cas, mais cela va demander un effort encore plus grand, la technique seule est insuffisantes. Pour le dire vite c'est la construction d'une nouvelle relation au marché qui est en jeu, et elle demande beaucoup de moyen. 

Plus généralement je suis persuadé que tout se joue à mi-chemin entre le producteur et le consommateur, à celui d'intermédiaires locaux qui vont prendre en charge une partie de la production (personnalisée) et finaliser la relation entre le concepteur (qui développe le modèle numérique et fournit l'intermédiaire) et le consommateur. C'est un modèle connu, celui de la reproduction photographique, de la reproduction des clés. Pour en donner un exemple plus adapté à notre époque, pensons aux échoppes qui commercialisent des coques de smartphone personnalisées. Aujourd'hui même si le choix est limité (au mieux quelques centaines de modèles) on peut imaginer aisément produire la coque en magasin sur la base d'un modèle ajusté par le consommateur sur une plateforme virtuelle. 

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