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Immigration : Macron, la gauche, la droite... et ces hypocrisies françaises qui se révèlent en pleine lumière
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Mauvaises conscience

Un projet de loi sur l’immigration et l’asile porté par le ministère de l’Intérieur est en préparation. Si le clivage gauche-droite sur cette question migratoire demeure structurant, un véritable malaise semble persister parmi un certain électorat.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Alors que le  projet de loi "immigration-asile"​ porté par Gerard Collomb provoque des "grincements de dents" au sein de la majorité, comment appréhender le rapport de l'opinion en France sur ces questions ? Ainsi, s'il apparaît que les électeurs de droite seraient favorables à un durcissement politique en la matière, le rapport de force à gauche semble moins évident. En effet, alors que 35% des électeurs de gauche sont opposés à la répartition des migrants prévue au niveau européen, en octobre 2016, 62% des électeurs PS, et 52% des électeurs de la FI déclaraient "comprendre" les manifestations anti-centre d’accueil pour les migrants. ​Peut-on voir une configuration d'un électorat de gauche qui pourrait être plus favorable à un durcissement politique sur ces questions, qui serait masqué par une difficulté d'assumer un tel choix ?

Chloé Morin : Il convient d’abord de souligner qu’à la différence d’autres questions politiques, le clivage gauche-droite sur la question du rapport à l’immigration demeure structurant. C’est d’ailleurs le cas dans tous les pays européens: ainsi, dans une étude européenne réalisée par l’Ifop pour la Fondation Jean Jaurès en septembre 2017, on pouvait noter que pour les pays testés il existe un différentiel allant de 18 points (en Allemagne) à 44 points (au Danemark) entre la gauche et la droite sur l’acceptation de l’accueil des migrants. En France, 70% des électeurs de gauche se déclaraient favorables à l’accueil, contre seulement 29% de l’électorat de droite.

Peut-on dire pour autant que la gauche est unanimement ouverte à un accueil massif? Evidemment non. La question est plus complexe que cela. La France est déjà l’un des pays d’Europe occidentale le moins favorable à l’accueil des migrants (46%, contre 67 en Espagne, 77 en Italie ou 79 en Allemagne). Le sujet est étroitement lié à la question économique (avons-nous les moyens de les accueillir?) et à la question de l’intégration. La gauche partage en partie ces interrogations. Il existe une tension entre sa culture historique et une réalité économique et sociale qui semble imposer une forme de pragmatisme. Alors que la droite considère à 74% que « notre pays compte déjà beaucoup d’étrangers ou de personnes d’origine étrangère et accueillir des immigrés supplémentaires n’est pas possible », moins de la moitié des sympathisants LREM le pensent (44%), et seulement 31% à gauche. Pour autant, on note sur cette question que 27% des sympathisants de gauche ne parviennent pas à se prononcer, ce qui témoigne d’une forme de malaise, et de cette tension entre la conscience qui porte à l’accueil et une forme de pragmatisme qui pousse à la prudence.

Concernant le projet de loi immigration -Asile​, le JDD indiquait ce dimanche 17 décembre : "​Mais Richard Ferrand, patron du groupe des Marcheurs, ne souhaitait pas que son groupe endosse la paternité d'une disposition si répressive. "En termes de symbole, ça n'aurait pas été terrible", concède un député. Ce sont donc les Constructifs, ces députés de droite prêts à travailler avec Emmanuel Macron, qui ont dû s'y coller, à la demande expresse de Matignon.​"​ Cette mauvaise conscience est elle utilisée ici à bon escient par le gouvernement qui préfère voir les anciens membres des LR se "salir les mains" sur un tel dossier ?

La difficulté de la majorité actuelle, c’est que de nombreux députés viennent de la gauche. Or, comme nous l’avons constaté plus haut, il existe un réel clivage entre gauche et droite sur le sujet migratoire. Le risque de fracture existe donc. La question est : une synthèse acceptable par tous est-elle possible? Le « en même temps » est il praticable sur une question aussi complexe et chargée émotionnellement?
Regardons la manière dont se positionnent les sympathisants LREM sur un certain nombre de questions (enquête Ifop pour la Fondation Jean Jaurès) :

- 29% jugent que « en général, les migrants qui arrivent en France font des efforts pour s’intégrer à la société française ». C’est peu par rapport au bloc de gauche (41%), c’est même inférieur au Modem (34%), mais c’est beaucoup plus que chez Les Républicains (7%) ou au FN (6%).
- 56% estiment qu’il est du devoir de la France d’accueillir les migrants qui fuient la guerre et la misère. C’est beaucoup plus qu’à droite (24%), et légèrement moins qu’à gauche (62%).
- 44% jugent que « notre pays compte déjà d’étrangers, et accueillir des immigrés supplémentaires n’est pas possible ». Là encore, les sympathisants LREM se montrent plus ouverts que ceux de droite (73%), mais moins que ceux de gauche (31%).
- Sur certains sujets, les sympathisants LREM sont même un peu plus ouverts que ceux de gauche… 10% pensent que « les français ont plus de difficultés à trouver du travail en raison des migrants présents en France ». C’est beaucoup moins que chez les Républicains (36%), et même qu’à gauche 15% au PS et 26% à LFI).

Au final, on constate donc que le socle macronien est certes moins ouvert que celui de gauche, mais se montre tout de même beaucoup plus ouvert que les sympathisants de droite. C’est bien là la difficulté de la majorité: trouver et assumer un équilibre acceptable par tous ses membres. La tentation de faire porter politiquement les mesures « inacceptables » aux yeux de leurs propres électeurs semble là assez compréhensible, mais in fine, les français savent que la majorité est très large, et que rien ne se fait contre sa volonté… Chaque député aura à assumer son choix.

Emmanuel Macron ne met-il ici pas le doigt sur un point qui révèle également un certain malaise en dehors même de la gauche ? 

Du strict point de vue de l’opinion, il n’y a pas vraiment d’ambiguïté: l’opposition à l’accueil, la volonté de voir faire appliquer plus fermement les règles en matière de reconduites à la frontière, font consensus. De ce point de vue, Laurent Wauquiez se trouve sans doute exactement au centre de gravité de sa famille politique.

Certaines figures de droite, à l’image d’un Juppé ou d’un Toubon, pourraient être tentées de critiquer Emmanuel Macron sur sa gauche. Mais quelle serait la portée de ces critiques, dès lors que l’on pourra leur rappeler qu'ils ont eux-même pu, au cours de leur longue carrière, soutenir des positions bien plus dures que la politique actuelle (notamment dans les années 80 et 90)? De l’autre côté, ceux qui seront tentés de l’attaquer sur sa droite risquent d’être renvoyés à un bilan Sarkozy qui - de l’aveu de son propre conseiller Patrick Buisson, dans « La cause du peuple » - a été durement sanctionné par les électeurs de droite. En effet, Emmanuel Macron affiche des taux de reconduite à la frontière qui semblent sensiblement supérieurs à ceux de ses prédécesseurs.

Cette mauvaise conscience de gauche n'est elle pas justement celle que Manuel Valls avait tenté d'éveiller depuis plusieurs années, notamment lorsqu'il déclarait ​en avril 2011 :"En revanche, moi je ne suis pas choqué par le fait que l'on reconduise à la frontière des migrants qui sont en situation clandestine, en situation irrégulière». «Ils n'ont pas vocation à rester sur le sol français. Je pense que la gauche doit être aussi très claire sur cette question-là». Quels sont les risques de fracture, aussi bien chez les LREM que chez le​s partis de gauche, sur cette question ?  ​

On revient là à la fameuse phrase de Michel Rocard. A une gauche tiraillée entre la volonté de ne pas paraitre laxiste, et celle d’éviter de paraître indifférente à la souffrance humaine - cas de conscience qui se pose beaucoup moins à droite, où le sujet fait l'unanimité. Les risques de fracture surviennent quand les situations, que l’on nous présente souvent sous forme de chiffres, de manière abstraite, s’humanisent: c’est le cas des multiples reportages que l’on a vu ces derniers jours, avec des villageois qui racontent comment ils viennent au secours de mineurs frigorifiés, qui tentent de passer les cols de montagne pour échapper aux contrôles de police… Mais souvenons-nous de l’émotion suscitée par la photo du petit Aylan, mort sur la plage, à l’automne 2015: on avait constaté un élan de sympathie assez fort, mais qui a laissé peu de traces dans la durée.
Le sujet est porteur de risques de fracture au sein de la gauche comparables à ce que nous avons connu avec le débat sur la déchéance de nationalité, tout simplement parce que nous touchons à des questions de philosophie et de principe. La clarté qu’appelait de ses voeux Manuel Valls n’empêche pas l’empathie à l’égard des plus fragiles.

Or, sur ce sujet, la gauche n’aura pas de mal à se mobiliser et à dénoncer le cynisme d'un Président qui a eu des mots forts en faveur de l’accueil. De l’autre côté, la droite jugera probablement que la politique en matière d’accueil n’est jamais assez ferme et efficace. Reste, pour la majorité, à construire une doctrine commune, capable d’accommoder les valeurs de gens venus de la gauche avec celles de ceux venus de la droite. Est-il possible, sur un tel sujet, de contenter des gens qui ont soutenu la politique de Nicolas Sarkozy en son temps, avec d’autres qui ont soutenu celle - prudente, mais plus ouverte - de François Hollande?

Notons que le gouvernement essaie de construire un équilibre en distinguant migrants économiques (pour lesquels la fermeté s’imposerait) et réfugiés politiques. En réalité, dès que les situations s’incarnent et s’humanisent, cette distinction apparaît de moins en moins opérante.

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