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Ils n'y avaient jamais mis un pied : les premiers pas des bleus du gouvernement au Conseil des ministres
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Bonnes feuilles

Le débat démocratique a-t-il cours au salon Murat ? Y règle-t-on ses comptes ? Une cinquantaine de témoins directs qui ont opéré depuis 1958 ont raconté leur Conseil à Bérengère Bonte. Extrait de "Dans le secret du Conseil des ministres" (1/2).

Bérengère Bonte

Bérengère Bonte

Bérengère Bonte est journaliste à Europe 1 depuis 1998. Elle est l’auteure de Sain Nicolas, première biographie de Nicolas Hulot, aux Éditions du Moment en 2010.

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« Le changement, c’est maintenant », disait le slogan de campagne du vingt-quatrième président de la Ve République. Manifestement pas pour le déroulement du Conseil des ministres.

Calé dans son fauteuil du Salon doré, ce mercredi 5 décembre 2012, à 9 h, François Hollande n’en laisse rien paraître mais il a sans doute passé une nuit assez agitée. Dans une heure, il ouvrira le Conseil avec autour de la table un ministre dans la tourmente. La veille, Mediapart a dégainé un scoop qui va déclencher l’affaire Cahuzac, des soupçons d’évasion fiscale contraignant à la démission le ministre du Budget trois mois et demi plus tard, le 19 mars 2013. Évidemment, le chef de l’État n’en dit mot, ni devant l’auteure de ce livre, ni en Conseil. Son entretien hebdomadaire en tête à tête avec le Premier ministre débute sur ArcelorMittal car Jean-Marc Ayrault a rendez-vous dans l’après-midi avec l’intersyndicale du site sidérurgique de Florange pour lui promettre d’éviter le plan social. Bref, il y a comme un avis de gros temps sur le gouvernement. Pourtant, le Président se rend disponible, comme prévu, pour livrer sa vision du Conseil des ministres.

D’abord, l’évidence qui sonne comme un aveu : il n’avait jamais mis un pied au Conseil. « Je suis devenu Président sans avoir été ministre. Je n’avais aucun souvenir de ce lieu. Je le connaissais comme Premier secrétaire ou conseiller à l’Élysée par les récits des uns et des autres. Mais je n’avais aucune attitude à adopter qui aurait été en rupture avec ce qui se faisait auparavant . » Dans cet apprentissage, il ne peut même pas compter sur son Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, lui-même novice, qui concède humblement que « c’est impressionnant ». Le reste du gouvernement ? Des bleus, eux aussi, pour la plupart ! Cinq seulement ont déjà siégé au salon Murat. Cinq sur trente-quatre : Laurent Fabius, Pierre Moscovici, Jean-Yves Le Drian, Marylise Lebranchu et Michel Sapin. « Au début, certains quittaient leur place en plein milieu du Conseil pour aller voir le secrétaire général », raconte un « ancien ». Un jour, Marylise Lebranchu, ex-garde des Sceaux de l’équipe Jospin, stoppe net une voisine sur le point de lever la main… « Je lui ai dit : “Non, ce n’est pas le lieu. Le Président a parlé, on ne parle plus”. »

Le plus haut gradé, Laurent Fabius, ancien Premier ministre et désormais patron du Quai d’Orsay, ne boude pas son plaisir d’être consulté par les nouveaux. Mais ces derniers disent tous avoir compris d’eux-mêmes la règle numéro un : oubliés le tu et le François. La question ne s’est d’ailleurs pas posée. Là où Nicolas Sarkozy avait imaginé dépoussiérer les usages, François Hollande tente de les restaurer. Dans la pratique, après des mois de campagne et des années d’empoignades au bureau national du PS, l’opération ne s’avère pas si simple. Les réflexes sont tenaces. Notamment pour les amis très proches.

Michel Sapin, le ministre du Travail et de l’Emploi, prend très à coeur la mue présidentielle de celui qui fut son voisin de chambrée à l’armée. « Il faut l’accompagner dans ce changement. Ce n’est pas seulement François Hollande qu’on a face à soi. Ce ne sont pas deux copains qui se parlent, c’est un ministre qui parle à un président de la République. Il faut aider à respecter la hiérarchie, faire accepter la lourdeur administrative. Sinon, les institutions ne marchent pas. »

D’autres usages ont plus de mal à passer auprès des novices qui ont parfois l’impression d’être infantilisés. Au Conseil du 12 septembre 2012, Jérôme Cahuzac boude ostensiblement. Parmi les communications inscrites à l’ordre du jour, figurent « les grandes orientations budgétaires et fiscales pour 2013 ». Le président Hollande lui donne la parole. Subitement, le ministre délégué au Budget se met à bafouiller son texte, le plus vite pos- sible. Comme une récitation d’écolier, sans ton ni conviction. Embarras du ministre de tutelle, Pierre Moscovici, assis à la gauche du Premier ministre. En fait, Cahuzac ne digère pas que Matignon ait réécrit au dernier moment une bonne partie de sa communication.

Il n’est pas le seul que cela offusque. Cécile Duflot enrage de sa première prise de parole totalement ratée. « C’était sur la politique du logement. Mon texte avait été vérifié, sur-vérifé, pesé au gramme et au mot près. Et on m’a dit : “Faut le lire !” Donc je me suis mise à lire ce papier, ce qui est tout le contraire de ce que j’aime faire. Je trouvais cet exercice un peu débile pour tout dire. Et je l’ai vécu doublement mal parce qu’à la fin on m’en a fait le reproche. »

Hormis ces petits moments de mauvaise tête de certains, les débuts du Conseil sous Hollande sont marqués par un retour à la tranquillité et à la solennité. « De l’amitié, pas de familiarité », a tranché le Président dès le premier jour. Lui, jusque-là si jovial, entre désormais sans serrer aucune main, lance un « Bonjour » à la cantonade et file directement vers son fauteuil. Ce 17 mai 2012, il prend quand même le temps de remercier ses troupes pour les efforts fournis pendant la campagne. Mais, immédiatement, et comme tous ses prédécesseurs, il leur demande de se mettre au travail. Et… de gagner la bataille des législatives. Pour un débu- tant, il apprend vite.

Extrait de "Dans le secret du Conseil des ministres", Bérengère Bonte, (Editions du Moment), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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