Homoparentalité : des études sociologiques biaisées <!-- --> | Atlantico.fr
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Une étude australienne sur le bien-être des familles homoparentales a rendu public des résultats biaisés.
Une étude australienne sur le bien-être des familles homoparentales a rendu public des résultats biaisés.
©Reuters

Tout le monde il est beau...

Une étude australienne sur le bien-être des familles homoparentales dresse un portrait flatteur de la situation. Et pour cause : malgré la rigueur scientifique dont elle se réclame, la méthodologie de l'étude l'a amenée à ne s'intéresser qu'aux gays et lesbiennes les mieux intégrés. Au risque de gravement fausser la réalité.

Mark Regnerus

Mark Regnerus

Mark Regnerus est maître de conférences en sociologie à l’Université du Texas, à Austin, chercheur au Centre d’études des populations de cette université et membre fondateur de l’Institut de recherche sur famille et culture d’Austin. 

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L’étude australienne sur le bien-être des enfants des familles homoparentales a été abondamment commentée  ces derniers jours et présentée de façon positive par un certain nombre de médias et sites. Elle pâtit malheureusement de faiblesses méthodologiques majeures : elle ne porte que sur les vies et ressentis de l’élite LGBT.

Imaginez qu’une équipe de sociologues chrétiens évangéliques s’attelle à documenter les caractéristiques et la qualité de vie des enfants de familles de cette religion. Imaginez qu’ils commencent par recruter des parents d’enfants assidus au catéchisme, de communautés comme celle de la Wheaton Bible Church, près de Chicago, ou de la Saddleback Community Church d’Orange County, en Californie, c’est-à-dire des communautés prospères de "CSP+" soutenues dans leurs activités familiales et relevant de la foi. Ils ont choisi cette approche car les chrétiens évangélistes pratiquants ayant des enfants mineurs ne constituent que 3% de la population américaine adulte et qu’ils jugent plus aisé de recruter des participants à leur étude que d’étudier ceux qui devraient, statistiquement et sans recrutement particulier, apparaître dans un échantillon de population constitué selon la méthode des quotas. Ils savent que cette méthode est la meilleure, mais ils citent les "contraintes de coût" et des "difficultés liées à l’étude" pour justifier leur décision de recourir à un échantillon dit "de commodité".

Puis les chercheurs interrogent les parents, leur posent des questions sur la vie de leurs enfants. Ils compilent leurs résultats et titrent leur travail, "Étude sur la famille chrétienne américaine". L’étude comprend des comparaisons avec d’autres types de familles, dont les caractéristiques sont tirées d’autres études, effectuées selon la méthode des quotas, qui rendent compte du sort moyen des enfants de familles moyennes. Les enfants de familles évangéliques en ressortent avec une image flatteuse, s’en tirant mieux que la moyenne des enfants du pays dans son ensemble. Leurs parents ont plus de probabilités que les autres d’être mariés, bien éduqués, d’avoir une vie stable et un travail. Ces parents confirment aux chercheurs qui les interrogent que les enfants vont bien, qu’ils ne sont pas particulièrement soumis à des stress émotionnels, travaillent bien à l’école et sont bien dans leur peau de manière générale. Les premières conclusions de l’étude sont publiés dans une revue de sciences sociales  dans le cadre des évaluations par pairs ("peer review") et ils contribuent à améliorer la perception par la population des familles évangéliques.

Est-ce que la communauté scientifique considérerait cette étude comme majeure, recourant à des méthodes de sélection d’échantillons sérieuses, et utile aussi bien pour mieux comprendre la vie des foyers chrétiens en Amérique que pour comparer leur mode de vie à ceux d’autres enfants ? Pour le dire avec retenue, c’est peu probable et ce n’est pas mon avis non plus.

L'Étude australienne sur la santé des enfants des familles monoparentales

On ne note pourtant aucune réserve de cet ordre dans le milieu de la recherche sur une nouvelle étude qui vient d’être publiée et qui analyse les données recueillies lors d’une Étude australienne sur le bien-être des enfants de familles homoparentales (ACHESS), alors que l’analogie que je viens de faire reflète assez fidèlement la façon dont l’échantillon considéré a été constitué et les comparaisons effectuées. Je n’entretiens aucune animosité particulière envers l’équipe concernée ; la collecte de données est une tâche qui est loin d’être simple. Je ne conteste en rien les motivations de l’auteur et de ses collaborateurs. Les raisons de conduire une étude sont très diverses et chacun peut avoir les siennes propres. Je ne me soucie pas plus du financement de l’étude. Mais l’étude elle-même peut faire l’objet de commentaires critiques.

Les auteurs déclarent que "’étude vise à décrire l’état de santé physique, mentale et sociale d’enfants australiens vivant dans des familles homoparentales et l’impact qu’a sur eux la stigmatisation négative dont ils peuvent faire l’objet". Ils concluent que "les enfants de familles homoparentales obtiennent de meilleurs résultats que ceux d’échantillons de populations moyens sur de nombreux critères de bien-être tels que rapportés par leurs parents". Les articles que cette étude a suscités sont nombreux à avoir repris ces conclusions, à l’instar de celui publié par le Washington Post et titré,  "Une étude révèle que les enfants des familles homoparentales sont plus heureux et en meilleure santé globale que les autres".

Mais ce n’est pas, en réalité, ce que peut nous révéler cette étude, en raison des deux propositions suivantes tirées de son exposé de la méthodologie suivie :

"L’échantillon de commodité a été recruté à la fois sur Internet et par recrutement classique, c’est-à-dire entrée en contact avec des couples homoparentaux au travers d’annonces dans les médias, auprès d’associations, à l’occasion d’événements spécifiques, etc. Trois cent quatre-vingt-dix couples éligibles ont contacté l’équipe."

Le rapport intérimaire de l’ACHESS, publié il y a près de deux ans, allait déjà dans le sens des conclusions positives de l’article récemment publié — dans la même revue, il faut le noter — et donnait des précisions sur la constitution de l’échantillon étudié :

"Le recrutement initial se fera […] par le biais de publicités et d’annonces presse dans les revues pour gays et lesbiennes, de tracts distribués à des réunions de groupes gays et lesbiens et de la présence de chercheurs lors d’événements gays et lesbiens […] L’essentiel du recrutement se fera par envoi de mails à des listes de diffusion gays et lesbiennes, notamment les listes “Gay Dads Australia” et “Rainbow Families Council of Victoria”."

On ne peut pas dire que ce soit là une approche susceptible de donner une image de ce qui se joue dans une famille homoparentale moyenne, et mon analogie fournie en introduction était peut-être le meilleur moyen de le faire entendre. Confronter les résultats tirés d’un échantillon aussi particulier avec ceux tirés d’études générales de population suivant la méthode des quotas ne peut être qualifié que de pratique douteuse. Et c’est sans doute encore une formulation trop indulgente.

Échantillons non aléatoire et biais de désirabilité sociale

Ce n’est pas la première fois qu’une étude adoptant cette même approche rencontre un succès considérable auprès des médias. L’étude de l’ACHESS ressemble beaucoup à l’Étude nationale longitudinale des familles lesbiennes (NLLFS), en plus grand et plus récent. Je suis conscient que 500 échantillons, c’est un nombre considérable, surtout concernant des populations qui sont de petites minorités. Mais ce n’est qu’à la condition que l’équipe de chercheurs en sciences sociales ne rechigne pas à emprunter la voie difficile et coûteuse de l’identification de familles homoparentales (quelle qu’en soit la définition par ailleurs) au sein d’un échantillon aléatoire constitué par méthode des quotas — de préférences des candidats ne permettant de "devancer" dès le départ les conclusions souhaitées, comme dans le cas de l’ACHESS — que nous pourrions avoir l’assurance que des conclusions telles que "il n’y a pas de différence marquée" ou "sont plus heureux et en meilleure santé que" sont vraies, valides et fiables. Pourquoi ? Parce que cet échantillon non aléatoire reflète les vues de personnes qui ont résolument cherché à participer à l’étude, motivées par des raisons personnelles et politiques. Dans un contexte ainsi chargé émotionnellement, le grand public aussi bien que les médias, observateurs, et la Justice ferait bien de demander explicitement des études aux méthodologies plus sérieuses plutôt que des résultats qui lui conviennent.

L’échantillonnage dit "en boule de neige" ne mène à rien. Si je veux savoir qui est le candidat le plus susceptible de gagner la prochaine élection, je ne vais pas me contenter de demander à mes amis et proches qui ils soutiennent. Je ne vais pas non plus collaborer à un sondage qui pratique la réclame pour attirer les sondés. Ce que je vais rechercher, c’est un échantillon aléatoire tel que ceux qu’utilisent les grands instituts de sondage ou organismes de recherche.

Un autre motif de scepticisme fondé est que les participants à l’étude ACHESS — des parents qui rendent compte de la vie de leurs enfants — sont très conscients de l’importance politique de l’objet de l’étude, au point qu’un nombre indéterminé d’entre eux ont certainement souhaité y participer pour cette raison. De ce fait, on peut difficilement se fier à leurs commentaires non contrôlés, au vu du risque de "biais de désirabilité sociale", c’est-à-dire la tendance à se présenter (ou plutôt ici à présenter ses enfants) sous un jour plus favorable que la réalité pour y gagner une meilleure image dans la société. Je le répète, il est impossible d’évaluer précisément le poids d’un tel biais dans l’étude telle qu’elle a été conduite. Mais je pense que la tentation de peindre une image positive de la situation est forte, au sein de cet échantillon auto-sélectionné  et sur un sujet de société aussi sensible. (Au final, les différences entre les éléments fournis par les parents ACHESS et ceux de la population en général sont plus limitées — en gros de 3 à 6 pour cent — que ce à quoi je m’attendais.)

Le scepticisme que peut susciter l’étude ACHESS est une raison de plus, dans ce domaine, de conduire une étude aléatoire qui ne prétende pas afficher le début de ses conclusions avant de se livrer au travail de terrain. C’est précisément pourquoi l’étude que j’ai moi-même coordonnée, l’Étude sur les nouvelles structures familiales (NFSS), a choisi d’interroger les enfants une fois parvenus à l’âge adulte, laissant ainsi les parents hors circuit pour bénéficier d’un témoignage plus direct ; de ne pas dévoiler nos motivations dans le titre de l’étude ou dans le questionnaire de qualification ; et enfin de sélectionner des participants de façon aléatoire au sein d’un large échantillon représentatif de la population. Si vous suivez l’actualité sur ces questions, vous savez probablement que le rapport final de mon étude — qui se fondait sur 248 répondants ayant grandis, selon leur dire, dans une famille homoparentale — et la réponse aux critiques que j’ai faite trois mois après la publication du rapport sont parvenus à des conclusions bien différentes de celles de l’étude ACHESS.

De nouvelles technologies de procréation

Il faut préciser que l’étude ACHESS porte sur un nombre important d’enfants nés selon de nouvelles méthodes : 80% de ceux ayant des parents féminins ont fait l’objet d’un recours à une insémination à domicile ou à une assistance médicalisée à la procréation (PMA), et 82% de ceux ayant des parents masculins sont passés par une gestation par autrui (GPA). Notre étude NFSS portait sur une génération d’enfants antérieure, à une époque où la PMA et la GPA étaient rares. Cela dit, aucune information sérieuse sur la diffusion de ces nouvelles techniques de procréation au sein des couples homosexuels dans les pays occidentaux, notamment les États-Unis et l’Australie, n’est disponible.

D’ailleurs, la plupart des enfants nés à l’aide de la PMA ou de la GPA se distinguent d’emblée des 99% de ceux pour lesquels ces techniques n’ont pas utilisées – et il n’y a pas besoin de conduire d’étude pour le constater – par l’importance des dépenses occasionnées par leur conception et leur acquisition. C’est un aspect qui fait figure d’exception par rapport à l’expérience du couple moyen, qu’il soit hétérosexuel ou homosexuel. En d’autres termes, parmi les familles de l’échantillon ACHESS, il y a eu très peu de grossesses non planifiées. Dans cette étude, comme dans la plupart de ce qui s’exprime publiquement concernant le mouvement pour le mariage homosexuel, ce sont les vécus de ceux qui constituent en quelque sorte « l’élite LGBT » qui sont livrés au public. Les cas de familles plus modestes, plus ordinaires sont passés sous silence.

Que savons-nous vraiment de l'homoparentalité ?

On pourrait conclure de toutes ces réserves justifiées que la plupart des études menées dans ce domaine sont irrémédiablement biaisées. Ce n’est pas le cas. Les chercheurs s’accordent sur toute une série de conclusions concernant les familles homoparentales et le sort des enfants qui en font partie. Quelles sont-elles ?

– L’homoparentalité est un mode familial peu répandu. Moins de 2% des Américains en relèvent. Parmi les couples homosexuels qui désirent des enfants, le groupe le plus à même de recourir aux techniques de procréation assistée —les femmes blanches de niveau d’éducation élevé — est en réalité celui qui est le moins intéressé par la procréation.

– Les enfants profitent toujours plus d’un environnement familial stable. Dans la cohorte concernée par l’étude NFSS, la stabilité était le plus souvent absente de l’environnement familial des enfants adultes interrogés. C’est pourquoi leur vécu était (en moyenne) plus problématique que celui de leurs homologues ayant un père et une mère mariés. Certains critiques ont argué qu’une telle comparaison était "injuste". Mais si la réalité est elle-même injuste, les chercheurs en sociologie ne peuvent pas y faire grand-chose.

Je tire une satisfaction de ce que les polémiques relatives aux données de l’étude NFSS aient finalement débouché sur un large consensus autour d’une observation simple : le divorce et autres bouleversements familiaux, notamment rangés sous l’appellation de "recomposition familiale" nuisent aux enfants jusque dans leurs années d’adulte. Ce consensus n’a pas toujours existé dans le monde des spécialistes du mariage et de la famille.

La question est donc : à l’avenir, les couples homosexuels seront-ils plus ou moins stables qu’aujourd’hui ? Un fait établi, d’une part, c’est que les relations homosexuelles sont, de manière générale, plus fragiles que les relations hétérosexuelles (mais pour être honnête, tous les couples ont du mal ces temps-ci). On peut s’interroger sur les raisons de cette différence, mais elle existe. Il est néanmoins trop tôt pour savoir si cette différence perdurera avec l’arrivée du mariage homosexuel ; le nombre de mariages célébrés est en effet encore faible et concerne, de surcroît, ceux qui en attendaient la possibilité le plus impatiemment et sont les plus susceptibles de durer.

D’autre part, la nature "planifiée" des nouvelles formes d’homoparentalité (ex. : PMA) dénote sans doute une réflexion plus poussée (et des moyens financiers plus importants) que dans le cas de la plupart des grossesses non planifiées, alors même que ces naissances par PMA et GPA distendent la relation de parenté, dans la mesure où une des parties prenantes n’est pas le parent biologique de l’enfant. Dans le cadre des études sur la parentalité, niveau de vie et niveau de planification élevés sont des avantages, tandis que la distension de la relation parentale est un risque.

Il n’est pas encore établi que la planification parentale est devenue normale au sein des couples homosexuels. Je n’en suis pas convaincu moi-même. Mais il fait peu de doutes que l’archétype de l’homoparentalité, aujourd’hui, est celui de la mère lesbienne trentenaire de catégorie socio-professionnelle supérieure et de sa partenaire, élevant un enfant plutôt bien intégré conçu par PMA. D’une certaine façon, cela répond à la demande générale, celle des sociologues, des juges, des médias, qui souhaitent avoir une image relativement claire et apaisée de cette nouvelle forme de parenté. L’étude ACHESS a certainement satisfait cette demande… au prix d’une distorsion de la réalité de l’homoparentalité moyenne, comme l’atteste l’étude NFSS.

J’en ai eu un témoignage clair en discutant récemment avec un confrère de l’Université du Colorado. Il me disait que lui et sa famille avaient pour voisine une femme — une mère — qui avait eu successivement trois partenaires homosexuelles au cours des ans. En diverses occasions, lorsqu’il lui arrivait de jouer avec ses enfants dans son jardin, il avait pu remarquer le fils de cette voisine qui les observait depuis son propre jardin. Sa mère en avait été témoin et avait confié à mon confrère, "franchement, je fais de mon mieux".

Si les enseignements de l’étude NFSS sur l’instabilité familiale ne sont pas significatives de l’avenir de l’homoparentalité en Amérique, on doit s’attendre à ce que de tels témoignages d’un certain désarroi se raréfient à mesure que l’homoparentalité gagnera en stabilité et en efficacité, jusqu’à éventuellement dépasser la parenté hétérosexuelle classique. Mais je suis suffisamment bien placé pour savoir que la réalité des situations n’évolue pas aussi vite que les perceptions et attitudes concernant les familles homoparentales.

Je me demande parfois pourquoi je prends le temps d’exprimer de telles préoccupations. Dans ma courte expérience de la chose judiciaire, j’ai vu le Juge de la cour fédérale de district Bernard Friedman décrédibiliser mon étude NFSS et d’autres analyses américaines et canadiennes effectuées à partir de données incontestables issues du recensement, et préférer se donner une image "branchée" en piétinant de façon polémique nos arguments plutôt qu’en y répondant. Dans un pays qui semble de plus en plus abaisser son niveau culturel et intellectuel à celui d’une grande école primaire, les faits et arguments ne semblent plus autant importer. En tout cas beaucoup moins que les adhésions idéologiques.

Certaines parties de cet article ont été reprises et adaptées par l’auteur à partir d’un billet de blog et d’une contribution à la National Review Online.

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