L'homme qui se cache derrière le succès de The Artist aux États-Unis<!-- --> | Atlantico.fr
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Harvey Weinstein, le producteur d’Hollywood aux quelques 265 nominations et 86 Oscars.
Harvey Weinstein, le producteur d’Hollywood aux quelques 265 nominations et 86 Oscars.
©Reuters

Trans Amérique Express

Si le film français récolte des Oscars ce dimanche, ce sera davantage grâce à Harvey Weinstein, le producteur américain à la tête de Miramax, qu'à Jean Dujardin...

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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The Artist et ses dix nominations obligent, les Français vont suivre de très près la cérémonie des Oscars, 84e du nom, ce dimanche 26 février. Enfin, à condition de se coucher tard, car les solennités débuteront à minuit dimanche soir, heure de Paris…

Quel que soit le sort réservé au film, et au-delà de ses qualités cinématographiques incontestables, son succès critique et médiatique aux États-Unis doit beaucoup à un homme. Non pas Jean Dujardin, acteur fétiche des français au charme débonnaire, mais Harvey Weinstein, le producteur d’Hollywood aux quelques 265 nominations et 86 Oscars.

Weinstein a découvert le film au printemps 2011, après la palme d’Or du meilleur acteur décernée à Jean Dujardin au festival de Cannes. Il a décidé aussitôt d’en acheter les droits de distribution aux États-Unis et de le lancer dans la course aux Oscars. Comme on lance un cheval dans une course d’obstacles.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Les lauréats des Oscars (The Academy Awards en anglais), sont déterminés par le vote des six mille membres de l’ Academy of Motion Pictures Arts and Sciences, qui sont pour 95% des blancs et 77% des hommes. Mais ce vote n’intervient qu’à l’issue de longs mois de promotion, équivalent à une campagne électorale, où il faut faire passer un message, convaincre son auditoire et déjouer les (mauvais) coups de la concurrence.

Harvey Weinstein a 59 ans. Grand et en surpoids il a le physique d’un ours. Ou d’un ogre. Avec son frère Bob, il a fondé voici trente ans Miramax, une société de production «indépendante » qui possède dans son catalogue des succès comme Pulp Fiction, le Patient Anglais, ou Shakespaeare in Love. Aux États-Unis, les frères Weinstein se sont fait une spécialité des films d’auteurs européens – ils distribuent entre autres Pedro Almodovar et Peter Greenaway – et des séries B d’horreur à succès planétaire comme Scream.

Miramax vendu à Disney, dans les années 90, contre un gros paquet de millions de dollars, Weinstein est devenu un des piliers du Hollywood bien pensant et engagé. Il contribue à toutes les bonnes causes, lutte contre le sida en tête, et a même lancée une fondation censée vaincre la pauvreté et appelée « Robin des bois »… En 2001, il est fait Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres par Catherine Tasca, ministre de la Culture de Lionel Jospin. En 2008, il soutient Hillary Clinton dans sa campagne malheureuse pour la Maison Blanche.

Rare erreur de casting, qu’il corrige en 2011 en offrant en avant-première au président Obama le DVD de The Artist. Nous sommes alors au mois d’août, Weinstein a réuni l’équipe de Michel Hazanavicius, le metteur en scène,  pour leur confier son programme en leur demandant deux choses : un, suspendre tous leurs projets jusqu’aux Oscars pour se consacrer corps et âmes à la promotion du film ; deux, faire exactement ce qu’il leur dira…

La suite, ce sont des semaines d’avant-premières, de conférences de presse et de festivals, avec des allers retours à n’en plus finir entre Paris, New York, Londres, Los Angeles, Toronto ou Madrid, pendant lesquels, le trio Jean Dujardin - Bérénice Béjo - Michel Hazanavicius se relaient auprès des médias. Dujardin, qui ne parle pas anglais, prend des cours et bénéficie de l’appui d’une traductrice à demeure. Mais il joue parfaitement son rôle. Son charme, sa bonne humeur et sa simplicité font le reste. Quand Jay Leno, présentateur vedette, lui demande « Alors, comment est votre anglais ? », il répond  « Comme votre français ! » Et il devient le chouchou de l’Amérique.

Le film, ne sort d’abord en salles que dans deux villes, New York et Los Angeles. Parce qu’elles disposent d’un public pour les films « art et essais » et de critiques très influents. Puis son circuit de distribution est étendu au fur et à mesure que le « buzz » circule.

L’ensemble est orchestré de mains de maître. Weinstein va même jusqu’à mobiliser les arrières petites-filles de Charlie Chaplin, qui assurent que leur glorieux aïeul aurait « adoré » The Artist.

Au long de cette tournée de promotion, une métamorphose quasi imperceptible se produit. The Artist perd sa qualité de « film français ». Il devient « un film » tout court. Récompensé par la Director’s Guild of America (l’Association des metteurs en scène), Hazanavicius se présente même comme « un metteur en scène » et non pas « un metteur en scène français ».

Car apparaître comme un film « français » aux yeux de l’Academy n’est pas forcément un atout. Les films « étrangers » ont leur catégorie aux Oscars. Mais The Artist est en compétition dans 10 catégories (meilleur film, meilleur metteur en scène, meilleur scénario, meilleur acteur, meilleur second rôle féminin, meilleure cinématographie, meilleure direction artistique, meilleurs costumes, meilleure musique originale et meilleur montage), en concurrence avec des films « américains ».

Heureusement, le film se prête naturellement à cette évolution. Il a été tourné à Los Angeles et dans les studios de la Paramount, avec des vedettes américaines dans les seconds rôles. C’est un film muet. Il ne nécessite pas de doublage. Ni de sous-titres. Or aux États-Unis, les doublages sont notoirement mauvais, et les spectateurs n’aiment pas avoir à lire les sous-titres. Handicaps majeurs à la carrière des films étrangers.

Et le film est à la gloire d’Hollywood qui renverra peut-être la politesse. Si ce n’est pas le cas, Harvey Weinstein a d’autres films en compétition aux Oscars pour se consoler.

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