Hitler, rongé par la maladie<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Culture
Hitler, rongé par la maladie
©

Bonnes feuilles

Les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale en Europe sont les plus sanglants et les plus destructeurs de tout le conflit. Diminué par la maladie, traqué, contesté ou haï par son peuple même, réduit à vivre sous les bombes dans un trou humide, Hitler continue néanmoins à alimenter le brasier. Extrait de "Les cent derniers jours d'Hitler" de Jean Lopez, aux éditions Perrin. 1/2

Jean Lopez

Jean Lopez

Jean Lopez, directeur de la rédaction de Guerres et Histoire, s’est signalé par une série d’ouvrages revisitant le front germano-soviétique dont, avec Lasha Otkhmezuri, une biographie de Joukov unanimement saluée. Il a en outre codirigé, avec Olivier Wieviorka, le second volume des Mythes de la Seconde Guerre mondiale.

Voir la bio »

Une épave physique, une volonté intacte

L’Hitler qui revient à Berlin le 16 janvier 1945 n’est plus celui qui arrivait en gare d’Anhalt, le 6 juillet 1940, avec le même train. Cet homme-là, salué jusqu’à la chancellerie par une mer humaine mise en délire par la victoire sur la France, possédait un dynamisme physique, une capacité de séduction des foules et des individus tout à fait hors norme. Cinq ans après son plus grand triomphe, Hitler, qui va avoir cinquante-six ans le 20 avril 1945, en paraît vingt de plus. Voûté, les épaules tombantes, le pas traînant, les cheveux blanchis, il éveille plus souvent chez ses interlocuteurs la pitié, la stupéfaction ou l’effroi, tous sentiments qui, lorsqu’il les perçoit dans un regard, éveillent sa colère.

Les yeux bleu-gris, décrits comme « magnétiques » ou « intenses », se sont éteints, mangés par d’énormes poches, au milieu d’un visage ridé, au teint terreux. Il a besoin de lunettes pour lire, alors même que tout document qui lui est destiné est tapé en caractères trois fois plus gros que la normale. La lumière le blesse, ses dents sont gâtées, son haleine épouvantable, son sommeil désastreux. Son système digestif est perturbé au point qu’il est incapable de contenir ses flatulences, une source constante d’humiliation. Il souffre d’hypertension et de sclérose coronarienne. La charge de travail écrasante, l’absence d’exercice, les bunkers insalubres où il s’est cloîtré quatre années durant et, surtout, les défaites qui se sont enchaînées à partir de l’automne 1942 n’ont pas amélioré le tableau clinique. Staline lui-même, pourtant porté par les ailes de la victoire, sortira épuisé et malade de la grande épreuve.

A-t-il été, comme on le lit souvent, empoisonné par les médications parfois farfelues de son médecin personnel, Theodor Morell ? Les analystes les plus sérieux – les docteurs Schenck et Gibbels – rejettent l’idée. Sur quatre-vingt-treize médicaments qu’il a prescrits, « seuls quarante-sept peuvent être considérés comme sérieux». Morell a surtout injecté, par voie veineuse ou intramusculaire, des vitamines et des hormones. La question de l’accoutumance aux amphétamines, en revanche, n’est pas tranchée. Si Morell n’a administré ouvertement la fameuse Pervitine que pour peu de temps, il reste à déterminer quelles doses cachées il a pu injecter sous la dénomination Vitamultine.

Mais tous ces maux, pour gênants qu’ils soient, cèdent le pas à la maladie de Parkinson. Qu’Hitler en soit atteint ne fait plus de doute. À l’époque, deux médecins seulement ont posé le bon diagnostic, le psychiatre Max de Crinis et le docteur Ernst Schenck ; Morell ne l’a reconnue qu’en avril 1945. Au début des années 1990, le docteur Ellen Gibbels, neurologue et psychiatre allemande de renom, a analysé quatre-vingt-dix films où apparaît Hitler et une trentaine de témoignages de personnes l’ayant fréquenté. Ses conclusions sont formelles : les premiers signes de parkinsonisme apparaissent en août 1941. Ils ne cessent ensuite de se multiplier et de s’aggraver. Les bras et les jambes, surtout à gauche, sont agités de tremblements rapides (quatre à six à la seconde) qui, à vouloir les contrôler, entraînent parfois la tête et tout le haut du corps dans une oscillation grotesque.

Le corps se raidit de plus en plus, les mouvements se ralentissent, le visage perd son expression, la voix s’éteint. Vers la fin, Hitler est incapable d’écrire et, pour s’allonger, son majordome doit lui lever les jambes. Une « épave », dira de lui le ministre Albert Speer. Ellen Gibbels situe à deux sur une échelle internationale de cinq l’état de gravité atteint par la maladie de Parkinson chez Hitler. Est-ce assez pour provoquer des troubles intellectuels ? La psychiatre répond clairement non. Le jugement, l’expression, la mémoire, la capacité de concentration, la maîtrise de soi ne sont pas touchés. Hitler demeure Hitler.

Ses colères sont violentes, il se méfie de tous, se surestime, veut toujours avoir raison, a du mal à décider, se perd dans les détails, radote et remâche volontiers le passé. Il ignore ce qui le dérange et s’abuse souvent lui-même. Ses accès d’optimisme paraissent délirants, son obstination ne connaît pas de bornes. L’incantation, la croyance aux miracles escortent son raisonnement. Mais tous ces traits étaient déjà là avant la maladie de Parkinson et, s’ils s’aggravent, la situation politique, militaire et psychologique y a plus de poids que la dégénérescence du système nerveux central. Jusqu’à la fin, Hitler se montre capable de saisir au vol une situation militaire, d’imposer sa volonté à ses généraux, de trouver l’énergie pour entraîner son entourage et son pays vers le suicide.

Sur le plan du comportement, la modification la plus spectaculaire est l’isolement volontaire croissant. Qu’Hitler se mure au début de mars 1945 dans un bunker souterrain prolonge et amplifie de façon spectaculaire un repli personnel et politique notable depuis 1941. L’homme qui, avant 1933, tenait deux meetings par jour, le chef qui, entre 1933 et 1939, a reçu des milliers d’invités au Berghof, cet homme-là disparaît avec la campagne de Russie et, de façon encore plus frappante pour son entourage, avec le désastre de Stalingrad. La dernière escapade au Berghof date du 14 juillet 1944.

Le dernier discours devant de simples citoyens – deux cents employés du ministère de l’Armement – remonte au 4 juillet 1944. La dernière prise de parole à la radio se fait à l’occasion du douzième anniversaire de l’arrivée au pouvoir, le 30 janvier 1945, après quoi Goebbels ne parviendra jamais à l’accoucher d’un discours « churchillien ». Le cercle d’Hitler, qui n’a jamais été surpeuplé et que la vigilance de Bormann s’emploie encore à réduire, se rétrécit de plus en plus. Bormann et Goebbels sont les deux derniers proches, politiquement parlant. Le peu d’affection dont Hitler est capable s’adresse à ses secrétaires et domestiques, à Eva Braun, à la chienne Blondi.

Extraits de "Les cent derniers jours d'Hitler" de Jean Lopez aux éditions Perrin, 2015

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !