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"Histoire d’une enfant de Vienne" de Ferdinand von Saar : une prose ciselée et suggestive par un maître de la nouvelle
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De : Ferdinand von Saar Bartillat Traducteur Jacques Le Rider Parution le 4 janvier 2024 (Première publication en 1892) 138 pages 20 €

François Duffour pour Culture-Tops

François Duffour pour Culture-Tops

François Duffour est chroniqueur pour Culture-Tops et avocat au Barreau de Paris.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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THÈME

En quelques scènes espacées par ses rares éloignements de la capitale autrichienne, Ferdinand von Saar dresse le portrait d’Elsa Schebesta, une jeune bourgeoise à la beauté stupéfiante qu’il a connue adolescente. Au-delà du portrait d’Elsa, éduquée mais frivole, c’est celui de la société viennoise toute entière que propose l’auteur, tiraillée entre un conformisme social hérité de la tutelle habsbourgeoise dans une Vienne impériale très fin de siècle et son aspiration à la transgression favorisée par le règne de l’argent et l’apparition d’une nouvelle société. La beauté fatale cheminera dans ce monde délétère comme une comète, séduira sans malice un bourgeois très convenable et lui donnera deux enfants conférant au jeune couple une considération statutaire. Un avenir tracé en somme, conforme à l’attente de tous, qui se fracassera très tôt contre l’imposture d’un séducteur cynique, Elsa suivant avec Léo Röber son désir plus que son instinct, provoquant un scandale et sa perte. Elle prendra la plume ensuite en racontant ses frasques, sur l’insistance d’un jeune auteur aussi pédant qu’opportuniste quand elle aurait pu s’étendre sur le divan du jeune Sigmund Freud pour confesser sa trahison. Elle perdra ainsi jusqu’à son honneur sans jamais regretter néanmoins l’existence paisible et heureuse d’une femme qui serait restée à sa place.

POINTS FORTS

Un style concis, efficace et probant, sans artifice, associé à des ellipses subtiles, chaque tableau suggérant plus qu’il ne démontre ou ne décrit, le tout dans une économie de mots très pertinente.

 L’intérêt évident à notre époque pour les premiers soubresauts de l’affranchissement des femmes, fut-il en l’espèce suicidaire.

 La description d’une société figée qui va bouger sous l’impulsion d’une économie prospère et spéculative, avec son lot de promotions sociales, de ruines, déchéances physiques et autres détresses morales, associées à l’inévitable querelle des anciens et des modernes.

QUELQUES RÉSERVES

Paradoxalement et même si l’ellipse et la suggestion « font » le style de l’auteur, on aimerait quelquefois en lire un peu plus, ce qui aurait pu se faire ici quand on apprend dans la postface qu’il a supprimé quelques descriptions de sa nouvelle au moment de sa première publication (1892), à dessein bien sûr, l’épure n’étant pas toujours l’ennemi de quelques développements utiles.

ENCORE UN MOT...

Les nouvelles et les romans, nés au cœur de cet empire autrichien finissant, exhalent tous un parfum singulier, celui d’une société très convenue et pleine de convulsions secrètes dans laquelle le fossé se creuse entre la réalité et les apparences, des convulsions justifiant à elles seules l’invention de la psychanalyse et le succès spectaculaire de Freud, son fondateur, qui n’était sans doute pas installé à Vienne tout à fait par hasard. On retrouve ainsi dans cette petite œuvre ciselée de Ferdinand von Saar un peu de l’esprit des nouvelles d’Arthur Schnitzler et sans doute la préfiguration des romans de Stefan Zweig et de Sandor Marai. L’évocation critique de l’œuvre de Wagner vient en point d’orgue illustrer ces spasmes et autres états de l’âme, l’auteur la décrivant comme « le plus violent assaut contre les nerfs humains jamais tentés par la musique ».

UNE PHRASE

« Il arrivait alors assez souvent qu’à une heure avancée de la soirée, elle entre dans le café voisin, au milieu d’une troupe d’hommes, pour prendre place à grand bruit dans la salle déserte et, devant les verres de punch fumant, lâcher complètement la bride aux esprits animaux. Rien cependant n’était signalé qui aurait pu entamer la réputation de cette dame ; tout en s’adonnant joyeusement aux plaisirs de la vie, elle semblait au contraire accomplir ses devoirs fort consciencieusement. » page 16

L'AUTEUR

Ferdinand von Saar, né à Vienne en 1833, appartient au courant réaliste. Auteur dramatique et poète, Il est surtout connu pour ses nouvelles, d’un pessimisme absolu. Après des débuts en littérature difficiles, marqués par des incarcérations quand la prison pour dettes existait encore, il trouvera un meilleur statut à l’âge mûr grâce à l’appui de puissants mécènes et fréquentera le salon de Joséphine von Wertheimstein (1820–1894). Le succès viendra avec ses Novellen aus Österreich (1877) (Nouvelles d'Autriche). Saar a écrit 32 nouvelles qu’il qualifie « de tableaux de la culture et des mœurs puisés dans la vie autrichienne de 1850 jusqu'au présent. »

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