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Heurs et malheurs du guerrier au crépuscule du Moyen Age
©DR / CNRS - IRHT /

Bonnes feuilles

Joël Blanchard publie "La Fin du Moyen Age" aux éditions Perrin. La fin du Moyen Age est une période forte en contrastes, marquée par la guerre de Cent Ans, les pandémies comme la peste noire. Joël Blanchard donne à voir une fin de Moyen Age inspirée, savante, bouillonnante d'idées neuves et traversée d'une rare vitalité créative. Extrait 2/2.

Joël Blanchard

Joël Blanchard

Professeur émérite à l'université du Maine, Joël Blanchard est un spécialiste reconnu du Moyen Âge tardif. Il est l'auteur d'une biographie remarquée de Philippe de Commynes (Fayard, 2006), et de très nombreux travaux et éditions de référence sur les XIVe et XVe siècles.

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Un « arbre de deuil » au tronc trempé de sang, sur les branches duquel se trouvent rassemblés tous les protagonistes engagés dans un conflit mortel, voilà l’image forte par laquelle Honoré Bovet ouvre son Arbre des batailles, écrit entre 1386 et 1390. L’universalité du monde chrétien est ébranlée par cette « très forte tribulation ». Le geste par lequel Dieu précipite dans l’enfer les anges rebelles donne sa pleine légitimité à cette guerre totale. L’allégorie est une manière de sensibiliser l’opinion publique à un état de belligérance endémique. 

Elle renvoie à une perception globale, mais les tentatives d’explication sont multiples, les approches tâtonnantes et empiriques. Seul repère objectif dans le temps long de la guerre, l’existence de cycles, les oscillations pendulaires qui font se succéder phases négatives et positives, phases de dislocation et phases de construction. La comète de 1348 annonce des tribulations qui commencèrent dès cette année 1348, c’est-à-dire la grande mortalité, la peste, puis les guerres avec leur cortège de morts, en particulier la guerre franco-anglaise : Crécy (1346), Poitiers (1356). Sous le règne de Charles V, les efforts de reconstruction permettent de rétablir l’autorité royale, et, au moins partiellement, la discipline dans l’armée. Les réformes sont facilitées par la conclusion de trêves avec l’Angleterre (notamment 1389) qui interrompt les hostilités pendant plusieurs années. Mais l’instabilité de 1407 à 1413 avec la guerre civile opposant Armagnacs et Bourguignons et la nouvelle invasion anglaise à partir de 1415 plongent de nouveau le pays dans le chaos. Il faut attendre le milieu du règne de Charles VII (1430-1445) pour que les choses s’améliorent : c’est dans les années 1445-1446 que le roi procède, non pas au recrutement d’une armée permanente, mais « sépare le bon grain de l’ivraie » (Contamine). Il crée les compagnies d’ordonnance, engagées dans la reconquête de la Normandie (1449-1450) et dans la première, puis la seconde conquête de la Guyenne (1451 et 1453). Au terme de ces campagnes, les Anglais ne conservent sur le continent que Calais, place enclavée au sein des possessions bourguignonnes. Sous Louis XI, l’effort se poursuit. Le roi hérite d’une situation confortable, mais la menace anglaise n’a pas disparu. Le roi n’a jamais privilégié l’engagement guerrier. L’effet de masse lié au développement croissant des forces armées et des équipements est dissuasif, ainsi que le maillage du territoire par des places fortes. 

Voilà donc un élément objectif, mesurable dans le temps. Une autre approche est de faire un état des lieux, des ressources, des moyens humains et matériels. Il est possible – et cela a été fait parfaitement – de mesurer à l’aide des chiffres fournis par les comptes des Hôtels les soldes, les commandements, d’estimer l’évolution des structures héritées comme le ban et l’arrière-ban, la « semonce » des nobles, non pas leur disparition, mais leur concurrence avec d’autres dispositifs plus efficaces, les premiers essais de planification, l’apparition de l’artillerie dont l’impact ne fut réel qu’à la fin du XVe siècle, bref, les autres dispositions qui témoignent d’une « militarisation » progressive du pouvoir, ce qui nous fait passer d’un agglomérat de groupes humains à un changement interne dans l’ordre militaire. 

Mais ces remarques laissent de côté des pans entiers de réflexion sur la guerre, faits de prises de parole, de débats polémiques. On assiste, comme dans d’autres domaines étudiés dans les chapitres précédents, à une inflation du discours sur la condition et le comportement de l’homme d’armes, sur ses rapports avec d’autres catégories non combattantes. Ces discours nous offrent de lui une image nouvelle, qui se substitue à la représentation traditionnelle du chevalier. Dans le même esprit que la réforme du royaume, une sphère d’action – est-elle pour autant plus réduite ? – conduit à redéfinir les obligations de l’homme d’armes. D’un côté, des courants plus radicaux réorienteront la vocation du chevalier vers une voie spirituelle rattachée à l’esprit de croisade. Dans d’autres contextes, face aux développements de la vie de Cour, aux tentations curiales, l’homme d’armes réaffirme les obligations terre à terre de l’exploit militaire, sur le terrain, et met en avant son capital d’expérience ; d’où l’emploi de termes nouveaux, ceux d’« art » ou de « science » pour qualifier une activité désormais précise, clairement définie. Ce sont donc des représentations contrastées de l’homme d’armes, aussi bien que de la chevalerie. Le chevalier et le clerc fixent un cadre de réflexion en s’appuyant sur le terreau vivifiant du droit romain, des modèles antiques et bibliques, pour composer une image intègre du chevalier qui échappe au pouvoir dissolvant et corrosif de la Cour ou des plaisirs. Propos moraux, emprunts et remarques matérielles et techniques alternent dans les mêmes textes. Dans ce mélange hétéroclite, déconcertant pour l’esprit moderne, il est possible de repérer les doutes, les incertitudes d’une société aspirant au changement.

Extrait du livre de Joël Blanchard, "La Fin du Moyen Age", aux éditions Perrin

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