Harlem Désir à la tête du PS : pourquoi la succession de Martine Aubry s'est révélée plus compliquée que prévue<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Le fondateur de SOS Racisme a été choisi pour succéder à Martine Aubry.
Le fondateur de SOS Racisme a été choisi pour succéder à Martine Aubry.
©Reuters

Solferinologie

Harlem Désir sera bien le prochain patron du Parti socialiste. Mais il aura fallu attendre jusqu'au bout de la nuit du 11 au 12 septembre pour voir la fumée blanche s'échapper de Solférino. Martine Aubry préparait pourtant sa succession depuis des mois...

Michaël Darmon,Carole Barjon,Nicolas Barotte et Anita Hausser

Michaël Darmon,Carole Barjon,Nicolas Barotte et Anita Hausser

Michaël Darmon est éditorialiste politique et intervieweur sur la chaîne I-telé.

Carole Barjon est rédactrice en chef adjointe à la rubrique politique, chargée de l’Élysée et de la droite au Nouvel Observateur.

Nicolas Barotte est journaliste au service politique du Figaro.

Anita Hausser, journaliste, est éditorialiste à Atlantico, et offre à ses lecteurs un décryptage des coulisses de la politique française et internationale.

Voir la bio »

Harlem Désir sera bien le prochain premier secrétaire du Parti socialiste. Ancien président de SOS Racisme, l’actuel numéro 2 du parti, âgé de 53 ans, député européen, faisait figure de favori depuis plusieurs jours, après que des personnalités comme Michel Rocard, Bertrand Delanoë, et plusieurs ministres, dont Vincent Peillon, Manuel Valls et Stéphane Le Foll se sont publiquement exprimés en sa faveur. Il coiffe ainsi au poteau Jean-Christophe Cambadélis, député de Paris, ancien lieutenant de DSK, actuel secrétaire national aux relations internationales du parti, qui était notamment soutenu par le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone.

Ce qui n’était pas acquis en revanche, c’était le nom du futur numéro 2 du PS. Il était par ailleurs entendu que le choix de cette personnalité incomberait à Martine Aubry. Eh bien ! Si la place de Harlem Désir, dont le nom figure en tête de la motion initiée par Martine Aubry et Jean-Marc Ayrault, a toute son importance, celle des deux suivants ne l’a pas moins. Ils sont ex-æquo en quelque sorte, deux jeunes et brillants députés, symboles de la rénovation et du rajeunissement du PS, mais qui sont bien plus que cela. Le premier, Guillaume Bachelay, 38 ans, est le suppléant de Laurent Fabius, avec qui il a travaillé pendant quelques années à l’Assemblée avant de devenir un des plus proches conseillers de Martine Aubry, notamment pendant la campagne des primaires. Le second, Olivier Faure, 44 ans, est l’ancien bras droit de Jean-Marc Ayrault à l’Assemblée: il occupait les fonctions de secrétaire général du groupe socialiste, et il a fait partie de l’équipe rapprochée de François Hollande pendant la campagne présidentielle. Il vient d’être élu en Seine-et-Marne.

C’est dire que la composition de la tête de la future équipe dirigeante du PS a été savamment dosée et âprement négociée entre les caciques du Parti, car, aux dires d’un dirigeant pour les socialistes « le Parti est aussi important que le gouvernement ». En effet il ne s’agit pas seulement de choisir le premier secrétaire, mais aussi les titulaires d’autres postes clefs de direction, le secrétariat national,(notamment la responsabilité des élections, des fédérations, de la communication) et surtout l’ensemble du futur conseil national, le parlement du parti, instance vitale au PS.

D’habitude les choses sont simples : le conseil national est désigné à la proportionnelle en fonction des résultats obtenus par chaque motion en lice au congrès. Mais cette année les militants socialistes n’ont le choix qu’entre une motion ultra-majoritaire co-présentée par Martine Aubry et Jean-Marc Ayrault, ainsi que tous les membres du gouvernement, et une ou deux motions archi-minoritaires dont l’une présentée par la gauche du Parti hostile au futur traité européen (Benoit Hamon, issu de ce courant devrait s’en désolidariser au nom de la solidarité gouvernementale !). C’est donc entre les tenants de la motion majoritaire que se déroulent les tractations pour doser la représentation de chaque sensibilité.

Et pour dire les choses clairement, pour faire en sorte que les amis de François Hollande soient majoritaires, ce qui n’était pas le cas depuis le congrès de Reims. Cela n’a certes pas empêché le député de Corrèze de devenir président de la République, mais au moment de la répartition des investitures pour les législatives, quelques amis de François Hollande ont été écartés au profit de proches de Martine Aubry, ce qui n’avait pas contribué à améliorer les relations entre «hollandais » et «aubrystes ». Depuis, tout est (presque) rentré dans l’ordre. Martine Aubry devrait pouvoir s’en aller la tête haute puisqu’elle aura obtenu le rajeunissement de la direction du PS et la mise en application du non cumul des mandats, son cheval de bataille. Mais conservera-t-elle une grande influence au sein de l’appareil ?

Officiellement François Hollande ne s’occupe plus du PS; les petits déjeuners de la majorité ne se déroulent pas à l’Elysée, mais à Matignon. Cependant on ne peut l’imaginer indifférent au devenir d’un Parti qu’il a dirigé pendant 15 ans. Jean-Marc Ayrault ayant lui même admis « qu’on est passé à une autre étape», le soutien actif de son parti ne lui sera pas inutile. Harlem Désir s’inscrit dans cette logique. Au cours de la campagne qu’il a menée auprès des militants et des médias, le candidat à la direction se plaisait à imaginer un Parti « innovant, ouvert sur la société civile », qui « alimenterait le gouvernement en propositions ». Inspiré par l’expérience des primaires, qui a « mis les Français au cœur de la politique », Harlem Désir expliquait qu’il souhaite « y faire vivre le débat ». Beau programme pour un futur premier secrétaire dont l’élection tient du conclave et ne sera par la force des choses qu’une ratification.

Anita Hausser

Atlantico : Martine Aubry préparait sa succession depuis des mois. Pourtant, il aura fallu attendre la nuit du 11 au12 septembre - date et heure limites prévues par les statuts du parti - pour connaître enfin le nom du nouveau premier secrétaire : Harlem Désir. Comment expliquez-vous que les consultations aient été aussi longues et compliquées?

Nicolas Barotte : Il a été en effet très compliqué de contenter tout le monde. La désignation du premier secrétaire n’était pas le seul enjeu. Le plus important restait le nombre de postes et les rapports de force au sein de la direction. Les amis de François Hollande, rejoints par ceux de Vincent Peillon, Manuel Valls et Pierre Moscovici, voulaient la majorité. Il fallait que les amis de Martine Aubry la leur accordent, et si ce n'était pas le cas, il fallait envisager une compensation.

Cela s'est joué également sur la répartition des postes. Martine Aubry comptait bien placer ses amis, et notamment un numéro 2 qui resterait proche d’elle après son départ. Il existe des postes clés au sein du PS, la communication, les fédérations, les adhésions, le porte-parolat…

Le rôle du Bureau national est crucial pour les enjeux électoraux à venir. Il est en charge de promouvoir des militants qui peuvent devenir des élus, de les mettre en scène, de raccorder les investitures et de mener campagne. C’est une machine à conserver des postes ou à en conquérir et c’est pour cela que les « hollandais » voulait absolument la majorité !

Michaël Darmon : Nous avons assisté à une vraie partie de poker en ce qui concerne la répartition des postes et du rapport de force au sein du Bureau national. Les amis de Martine Aubry n’acceptaient pas la nomination d’Harlem Désir au poste de premier secrétaire mais aussi de lui laisser, comme il le demandait, la majorité au sein du Conseil  national, le parlement du PS qui enregistre et entérine les rapports de force entre les différentes sensibilités et motions.

Martine Aubry n’a pas obtenu gain de cause sur le rééquilibrage de ses amis au sein du Conseil national. C'est pourquoi, elle a gardé le plus longtemps possible le nom de son successeur pour elle. C'était sa dernière carte. Si Martine Aubry révélait son nom trop tôt, elle n'avait alors plus aucun moyen de pression pour obtenir un meilleur rapport de force pour ses amis.

C'est une dramaturgie assez classique au Parti socialiste. Cette nuit, on était en pleine "solférinologie" toujours très complexe avec beaucoup de retournements possibles...

Carole Barjon : Je ne suis pas dans les secrets de Solférino, mais quelles que soient les raisons de ces difficultés, cela a un effet absolument déplorable sur l'image du Parti socialiste. D'une certaine manière, le PS est victime du succès de ses primaires. Celles-ci avaient été perçues par les Français comme un grand exercice de démocratie. Cette fois, l'élection du premier secrétaire a été verrouillées. Martine Aubry et Jean-Marc Ayrault se sont mis d'accord pour signer une même motion. Dès le départ, la perception de cette élection était plutôt négative..

Mais là, la succession de Martine Aubry a carrément tourné au Vaudeville ! D'ailleurs, on ne sait pas vraiment s'il s'agit d'un Vaudeville ou d'un vrai psychodrame ? Le moins que l'on puisse dire c'est que l'effet n'est pas brillant !

La première secrétaire a longtemps soutenu la candidature de Jean-Christophe Cambadélis tandis qu'Harlem Désir avait les faveurs des membres du gouvernement... Y a-t-il eu des tensions entre Martine Aubry et Jean-Marc Ayrault ?

Nicolas Barotte : Martine Aubry a un rapport compliqué et conflictuel avec François Hollande. La ligne de l’Elysée était de ne pas embêter Martine Aubry, de la laisser faire. Sauf que le Président a tout de même gardé un œil sur la vie du parti : la « petite politique », cela l’amuse beaucoup.

Il a laissé faire ses propres amis. A la fin de l’été, on a vu ressurgir une série de personnalités comme Stéphane Le Foll, Vincent Peillon, Manuel Valls ou Pierre Moscovici qui ont recrée un rapport de force avec Martine Aubry.

Jean-Marc Ayrault a joué là-dedans un rôle de caution, rien de plus. Une manière de montrer qu’Aubry ne serait pas la seule à décider et que le chef de la majorité a un regard sur le PS. En réalité, il n’a rien fait et n’y connait d’ailleurs pas grand-chose en tambouille politique.

Michaël Darmon : En réalité, Martine Aubry et Jean-Marc Ayrault ont tous les deux tenté de convaincre autour du nom de Jean-Christophe Cambadélis. En revanche, la candidature Cambadélis était rejetée par les ministres « hollandais ». C’est la raison pour laquelle il y a eu un retournement de situation en faveur d’Harlem Désir, impulsé par François Hollande. Il fallait calmer le jeu et ne pas créer une tension qui aurait pu être fatale entre le Premier ministre et des personnages comme Stéphane Le Fol, Pierre Moscovici, Vincent Peillon ou Manuel Valls.

Carole Barjon : Non, car le mot d'ordre de François Hollande était de ménager Martine Aubry. Jean-Marc Ayrault a appliqué scrupuleusement ce mot d'ordre. Martine Aubry fait partie de ce qu'on appelle les éléphants. Elle aurait pu avoir sa place à Matignon. Sa voix continuera à compter même si elle n'est pas parlementaire. Lorsqu'elle décidera d'exprimer ses réserves ou de jouer le rôle d'aiguillon de la gauche, elle se fera entendre. Par exemple, sur le cumul des mandats, qui est un sujet populaire auprès des Français, la désormais ex-première secrétaire du PS pourrait faire des dégâts. Il n'est donc pas anormal que François Hollande et Jean-Marc Ayrault aient essayé de ménager Martine ! 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !