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Harcèlement et abus sexuels : pourquoi la violence des réactions aux propos de Brigitte Lahaie est profondément injuste
©Thomas SAMSON / AFP

Too much

L'animatrice a créé une polémique en affirmant qu'il était possible de "jouir lors d'un viol."

Peggy Sastre

Peggy Sastre

Peggy Sastre est écrivaine et traductrice. Elle est l'auteure de "Ex Utero : pour en finir avec le féminisme" et de "La domination masculine n'existe pas".

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"Je sais que c'est à la mode aujourd'hui. On dit quelque chose, c'est repris par les réseaux sociaux, on est lynché, et il faut faire ses excuses. Si c'est comme ça que le monde marche, alors, ok, je présente mes excuses."

Suite aux attaques dont elle a pu faire l'objet, après ses déclarations sur la possibilité "de jouir lors d'un viol", Brigitte Lahaie a tenu à s'excuser dans un climat de lynchage la concernant, mais tout en confirmant ses propos. Pourtant, et alors que des revues publient régulièrement des articles faisant état de la possibilité d'une simultanéité entre orgasme et viol (en indiquant d'évidence l'absence de lien), ce "lynchage" vous semble-t-il plus lié au contexte de "surchauffe" actuel sur ce sujet qu'avec les propos en eux mêmes ? 

Tout à fait et c'est aussi l'un des objectifs de notre tribune : de lancer un débat que je qualifierais de civilisationnel. Est-ce que l'on veut vraiment vivre dans un monde où l'état de droit est remplacé par la mentalité de villageois (et de villageoises) en colère et prompts à se « mobiliser » autour de victimes expiatoires ? Brigitte Lahaie fait et a fait un travail incroyable, et souvent « seule contre tous » pour améliorer la santé et le bien-être sexuels des hommes et des femmes. Ce qu'elle a dit relève d'une expertise réelle sur la question des violences sexuelles, de la « dissociation » entre le corps et l'esprit qui intervient très souvent durant des violences sexuelles et, que ce soit en tant que tels ou dans la discussion avec Caroline de Haas, ces propos étaient à la fois parfaitement factuels et cohérents. Des recherches montrent par exemple que les femmes ont, en tendance, une capacité d'excitation physiologique plus large que les hommes, notamment lorsqu'elles sont confrontées à des contenus violents. Cela ne veut pas dire que les femmes sont « excitées » par la violence – même si certaines peuvent l'être – mais que leur corps a appris, au cours de l'évolution, à diminuer les risques physiques de la coercition sexuelle. Je suis tout à fait empathique avec la souffrance que peut ressentir Brigitte Lahaie aujourd'hui. De un, le flot de haine qu'elle subit, les accusations qu'on lui porte, sont à l'exact opposé de son engagement pour améliorer la vie sexuelle et donc la vie tout court des individus. De deux, comme elle l'a dit, ce qui fait le plus mal, c'est de ne pas être compris et ses propos ont été à la fois sortis de leur contexte et déformés par une vague de malveillance et d'ignorance. A l'heure actuelle, j'ai de plus en plus le sentiment que les faits sont devenus méchants. Que pour dire « 2 et 2 font 4 » il faut d'abord envoyer un mot d'excuse en trois exemplaires aux « braves gens ». Et c'est insupportable.

Vous avez déclaré dans un post Facobook : "Ces termes n’apparaissent ni dans notre tribune ni dans les interventions médiatiques qui ont suivi la publication de la dite tribune. Nous sommes une très large majorité à considérer que ces propos sont insultants envers les femmes victimes de violences sexuelles et de viols". S'agissait-il plus d'éviter une confusion entre les propos de Brigitte Lahaie et la tribune « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle » co-signée par vous même et Brigitte Lahaie, entre autres, que d'une réelle réprobation ?

Je soutiens pleinement Brigitte Lahaie et si j'avais été la seule rédactrice du « manifeste des 100 », je n'aurais jamais publié de communiqué m'appelant à me désolidariser de ses propos. Mais voilà... nous avions plus de 50 signataires qui nous menaçaient de retirer leur soutien si nous ne les « désavouions », j'étais en tunnel de travail nécessitant que je me prive de sommeil pour rendre à temps une traduction, ça poussait derrière... et je me suis retrouvée en minorité au sein du « politburo » des rédactrices. Mais là où on voit que Brigitte Lahaie est une femme extrêmement intelligente, c'est qu'elle comprend cette décision relevant d'une « realpolitik » qui ne cessera de me désoler.

Je ne parle et ne peux parler que pour moi-même, car qu'importe que cela ait du mal à passer, nous ne sommes pas un collectif, nous ne sommes pas une armée, nous ne sommes pas une marque et encore moins un parti politique : nous sommes un ensemble d'individus, de genre féminin, ponctuellement rassemblées autour d'un texte. Et que cela plaise ou non, les cinq rédactrices du texte sont toutes des femmes extrêmement libérales, voire individualistes. Les signataires ont accepté d’apporter leur signature à un texte, mais elles ne sont redevables de rien et n'ont pas à cautionner ni ce qui précède, ni ce qui suivra. Le « délit d'association symbolique » n'existe pas et ne relève que d'un biais de contagion universelle – soit la base de la pensée magique, et je ne fais pas dans la pensée magique. Aujourd'hui, chacune et chacun est libre de s'approprier et de se réapproprier le texte. Marlène Schiappa nous a reproché de ne pas avoir de « ligne politique claire ». C'est bête, car moi j'y vois l'une de nos plus grandes forces...

Les propos de Catherine Millet qui "regrette ne jamais avoir été violée", bien plus lourds que ceux tenus par Brigitte Lahaie, semblent attirer moins de polémique. N'y a-t-il pas ici effectivement une dimension personnelle, aussi bien pour Catherine Millet que pour Brigitte Lahaie, marquant une tolérance plus importante à l'égard de la littérature qu'au "porno" ?

Comme ceux de Brigitte Lahaie, les propos de Catherine Millet sont extrêmement cohérents à la fois dans leur contexte d'énonciation et dans celui l’œuvre de Catherine Millet. Là encore, ceux qui s'en prennent à elle oublient bien vite le principe de charité, qui nous incite à considérer notre interlocuteur comme l'être le plus rationnel qui soit – en d'autres termes, à ne pas le prendre pour un con et à partir du principe qu'il sait ce qu'il raconte. Catherine Millet est une personne et un écrivain qui se méfie énormément de l'argument du « vécu » selon lequel on ne connaîtrait bien quelque chose que si on l'a expérimenté dans sa chair, si on est « concerné ». C'est un peu dommage pour les humains spécialistes des babouins ou de la préhistoire... Quant à la plus grande tolérance envers le porno qu'envers la littérature, oui, évidemment, et c'est un des nombreux éléments qui m'auraient motivée à ne jamais (ne serait-ce que penser à) désavouer Brigitte Lahaie si j'avais été seule à bord. Je crois que l'immense respect et la gratitude que je peux ressentir envers les travailleurs du sexe n'est plus à prouver. J'ai été aussi immensément honorée que Sonia Verstappen décide de signer le manifeste. Et je continuerai à me battre avec les moyens qui sont les miens pour qu'ils obtiennent des droits identiques à ceux de tous les travailleurs... c'est un point de départ fondamental pour espérer, un jour, en finir avec leur déshumanisation.    

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