Guerre en Israël, hybridation tragique de la gauche radicale et de l’islamisme en Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants tiennent une banderole sur laquelle on peut lire "stop à l'annexion - la Palestine gagnera" lors d'une manifestation de solidarité avec les Palestiniens, à Paris, le 15 mai 2021.
Des manifestants tiennent une banderole sur laquelle on peut lire "stop à l'annexion - la Palestine gagnera" lors d'une manifestation de solidarité avec les Palestiniens, à Paris, le 15 mai 2021.
©AFP / GEOFFROY VAN DER HASSELT

Antisémitisme

Une partie de la gauche française a renvoyé dos à dos les terroristes du Hamas et Israël.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Israël vient de faire l’objet d’une série d’attaques terroristes orchestrées par le Hamas. L’Etat hébreu a répliqué à son tour par les armes. Dans quelle mesure cette gauche cherche-t-elle à exporter le conflit en Europe (Fatima Ouassak parle, par exemple, de deux camps, pro-Israël ou pro-Palestine et en appelle aux décoloniaux pour participer à la lutte, en somme) ? Quelles sont les structures avec lesquelles elle travaille, et à quelles fins ?

Guylain Chevrier : Concernant le courant indigéniste, on aura à l’esprit comment Houria Bouteldja, longtemps porte-parole des Indigènes de la République, ne s’est pas cachée de son antisémitisme, allant jusqu’à dire : « On ne peut pas être Israélien innocemment ». Fatima Ouassak, aussi issue du courant indigéniste, nouvelle égérie influente de cette mouvance, est assez représentative de la nouvelle gauche racialiste. Lors d’une interview publiée par le média écologiste radical en ligne Reporterre, elle donne un rôle central à sa religion dans son combat, l’islam, qui serait tourné contre « la prédation capitaliste et impérialiste », car selon elle, « le péché premier en Islam, c’est le crédit »…  Elle est à l’origine de la création du « Front des mères », syndicat de parents de Seine-Saint-Denis qui dénonce « une école discriminatoire » en faveur des blancs, et une laïcité de l’école au service de l’islamophobie, à quoi elle ajoute une dose d’écologie pour lisser le tout. Elle trouve des appuis, elle est co-fondatrice de Verdragon, la Maison de l'écologie populaire à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), avec Alternatiba, association décriée pour sa radicalité, qui organise des formations à la « désobéissance civile » et débat publiquement sur le thème « Débat mouvant, actions violentes/non-violentes », au nom d’un combat « citoyen pour le climat et la justice sociale ».

Elle a rejoint le conseil citoyen du nouvel observatoire des discriminations, associé au Conseil départemental de Seine-Saint-Denis. Elle participait le 31 mai dernier, à « l’Université Libé », sous le signe de « faire débattre les différents courants progressistes », sur la même table ronde, entre autres, que Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l’Education. Soutien indéfectible du Comité Adama, au lendemain des deux premiers jours d’émeutes qui ont secoué récemment notre pays, elle exprime dans une nouvelle interview que son association : « Front des mères […] lutte contre les crimes policiers que subissent les jeunes hommes, ados et enfants racisés dans les quartiers populaires », qui « sont « étouffés » tant par les crimes policiers que par la crise écologique. », pour conclure par dire,« nous ne sommes pas là pour tempérer les colères de nos enfants, au contraire. S’ils ne se bougent pas, s’ils ne brûlent pas aujourd’hui, ils vont crever ! Se défendre tient de l’obligation. » Lorsqu’elle appelle à choisir son camp dans ce qui se passe aujourd’hui en Israël, alors qu’elle est connue pour ses positions pro-palestiniennes, on est toujours dans la même atmosphère. Ceux qui jouent avec les mots en ne condamnant pas clairement cette attaque terroriste, participent de laisser le champ libre à ceux qui rêvent de l’importation de cette violence.

Jean Petaux : Sur l’analyse complète des événements qui se déroulent en Israël, à Gaza et, plus globalement au Proche-Orient, depuis le tout début de la matinée samedi matin, je fais mienne et sans aucune réserve la tribune qu’a publié Elie Barnavi sur le site du Monde le dimanche 8 octobre 2023. Elie Barnavi est un homme de paix, un esprit tolérant, un humaniste, un très grand historien et intellectuel qui a toujours eu le courage de dire les choses. Y compris quand il s’agit de dénoncer les errements de la politique de Netanyahou, le délire des partis religieux israéliens et l’inadmissible implantation des colonies en territoire palestinien, en Cisjordanie. Auteur de plusieurs dizaines d’ouvrages sur l’histoire d’Israël et sur le peuple juif, sur l’histoire de l’Europe également, il a aussi été ambassadeur d’Israël  à Paris au début des années 2000 et préside encore le comité scientifique du musée de l’Europe à Bruxelles. Elie Barnavi écrit dans cette tribune : « L’attaque du Hamas résulte de la conjonction d’une organisation islamiste fanatique et d’une politique israélienne imbécile ». Voilà une analyse lucide, toute en retenue et équilibrée en un temps où la violence se déchaine. Elle dit aussi la réalité : le Hamas est un mouvement totalitaire, terroriste et extrêmement violent et c’est lui l’agresseur. Pas Israël, hier.

Je ne commenterais pas les propos de telle ou telle pseudo intellectuelle qui se dit « racisée », militante de je ne sais quelle pensée décoloniale dont le flou notionnel se dispute d’ailleurs avec la faiblesse réflexive et conceptuelle.

Ce qui est manifeste c’est qu’une fois encore, certains activistes, se positionnant à l’extrême-gauche de l’échiquier politique (surtout français), entendent utiliser l’actualité et les événements proche-orientaux pour, en les instrumentalisant, en faire le « carburant » de leurs luttes communautaires. Certaines d’entre elles sont d’ailleurs clairement proclamées comme « antidémocratiques » puisqu’il s’agit-là d’un régime politique honni (le nôtre) qu’il faut abattre sur ses bases. Il faut noter que ces postures, pro-Hamas par exemple, très minoritaires en France, sont assez peu partagées en Europe. En Espagne un peu, aux Pays-Bas sans doute aussi, mais fort peu ailleurs. Ce qui s’est passé à Berlin avec l’attaque d’une équipe de Welt reste un acte isolé qu’il convient de ne pas exagérer même si c’est un signal à enregistrer évidemment.

En règle générale, la gauche, a fortiori l’extrême-gauche, sont en perte de vitesse presque partout en Europe continentale. Il est net qu’en Europe centrale et orientale le rejet de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un « Arabe » l’emporte en effectivité sur un antisémitisme historique et sociétal qui ressurgit ici ou là. En Hongrie par exemple quand on lit la propagande anti-Soros que développe le gouvernement Orban, c’est un fait établi.

Ces militants anti-Israël qui constituent une partie de l’extrême-gauche française s’appuient sur quelques formations politiques gauchistes, très peu en réalité : le Nouveau Parti Anticapitaliste ou sur sa formation dissidente,  Révolution Permanente, dont le porte-parole Anasse Kazib a tenté, en vain, de se présenter lors de la dernière élection présidentielle de 2022 contre Philippe Poutou, le candidat officiel du NPA. L’autre formation politique bienveillante par rapport à ces activistes est, bien évidemment, La France Insoumise. LFI s’intéresse de très près aux mouvements « communautaristes », entre autre, pour des raisons de « marché électoral » essentiellement dans les cités et les quartiers, surtout en Seine-Saint-Denis. Rappelons que le parti de J.L. Mélenchon a joué à fond la carte du communautarisme avec tout ce qu’il faut de relations amicales envers certains groupes,  lui permettant de faire un vrai « carton » dans le département 93 aux législatives de juin 2022 puisque que LFI en a remporté 7 sur 12 (3 au PCF , une au PS et une au Parti Ouvrier Indépendant, groupuscule trotskyste dont Jean-Luc Mélenchon est très proche du fait de sa propre histoire militante et dont le seul député élu à l’AN s’est illustré sur X (ex-Twitter) ces dernières 24 heures).

La militante que vous évoquez est une activiste politique classique : réseaux sociaux, production de textes, reconnaissance publique de certains de ses écrits par des membres de la gaucho-sphère et construction d’un statut d’influenceuse à coût de buzz médiatico-sociaux. Cela n’a rien, ni de nouveau, ni d’original. Il faut bien comprendre que, dans le combat qui est le sien, l’explosion de la guerre contre Israël est une opportunité mobilisatrice remarquable. Reste à savoir si « son public » ou « sa clientèle » d’habitude va s’engager dans un tel conflit, et se mobiliser en France. Je ne le crois guère pour l’instant. En tous les cas se serait vraiment une première car, jusqu’à maintenant, les différentes crises vécues au Proche-Orient n’ont pas trouvé grand relais dans les « quartiers » (comprendre auprès de la population « arabo-musulmane » en France…). Il est vrai, a contrario de ce que j’avance, qu’en matière de « premières », celles-ci ne manquent pas depuis samedi matin.

Sur quoi prospère cette "forme d'antisémitisme" qu'a dénoncé Elisabeth Borne ? Faut-il blâmer la lâcheté, le déni ou l'ignorance de certains dirigeants ? Quid d'une forme d'entrisme, également, avec certaines mouvances de l'islam politique ?

Guylain Chevrier : Effectivement, la Première ministre a dénoncé ce dimanche sur BFMTV l'"ambiguïté" de La France insoumise concernant l’attaque du Hamas sur Israël intervenue ce samedi matin, accusant le mouvement de Jean-Luc Mélenchon de "renvoyer dos-à-dos" une "organisation terroriste" et "un Etat démocratique". Notant que le leader de LFI est "comme à son habitude dans une ambiguïté vis-à-vis d'Israël". Elle a ensuite estimé que "l'antisionnisme" des insoumis est "parfois une façon aussi de masquer de l'antisémitisme".

La confusion entretenue entre sionisme, projet d’un Grand Israël, et juifs, conduit directement à l’antisémitisme. Cet antisémitisme est patent à travers un rejet homogène des juifs que cela encourage derrière cet amalgame fait des Israéliens, en faisant oublier la réalité politique de ce pays qui est une démocratie, quoi qu’on en pense, où il y une droite et une gauche, avec un fort mouvement pour la paix. Il suffit d’avoir à l’esprit les manifestations antigouvernementales qui se déroulaient encore juste avant cette attaque terroriste du Hamas contre le gouvernement actuel concernant la réforme de la justice en cours, pour mesurer ce qu’est la démocratie israélienne. Et ce, malgré le fait que la coalition qui a porté Benyamin Netanyahou au poste de premier ministre comprenne l'extrême-droite et des ultra-orthodoxes. Il y a un point d’aveuglement autour de la question israélo-palestinienne. On ne veut pas voir qu’à Gaza par exemple, il est impossible pour un juif d’y habiter, aucune vie démocratique n’y existe depuis que le Hamas s’y est imposé par les armes en 2007, alors que les arabes israéliens représentent environ 20% de la population du pays, qu’ils votent et ont des représentants à la Knesset, le parlement israélien. Mais cet antisionisme qui est trop souvent le faux-nez de l’antisémitisme, est révélateur de l’absence de la question de la démocratie côté palestinien, dans le discours sur la solution de deux Etats. Une solution encore prônée comme la seule viable dans un contexte pourtant peu propice à ce débat, sur France 2, dans le JT de ce 8 octobre, mais sur quelle base ? Les fondements démocratiques impératifs de tout Etat palestinien futur sont toujours mis sous le boisseau. Ce caractère démocratique d’un futur Etat palestinien est totalement incompatible avec l’antisémitisme qui est quasi culturel dans les territoires palestiniens. On se remémorera que Le président palestinien Mahmoud Abbas a tenu des propos antisémites lors d’un discours fin août, en Cisjordanie. Ses déclarations ont d’ailleurs eu pour conséquence que lui soit retirée la médaille Grand Vermeil que lui avait décernée la maire de Paris, Anne Hidalgo (PS). Il n’est jamais trop tard pour les prises de conscience, après des années d’aveuglement à gauche.

Les liaisons dangereuses d’une partie de la gauche dont la LFI avec l’islam politique, on les a vues à plusieurs reprises se manifester. On aura à l’esprit la participation de responsables politiques de gauche à la manifestation « Stop à l’islamophobie », dont Jean-Luc Mélenchon. Avec à la tête de cette initiative le militant de l’islam politique Madjid Messaoudene, ex-élu dyonisien, qui s’est fait « un nom en 2012, en publiant une longue série de tweets ironisant sur le meurtre d'enfants juifs par le terroriste islamiste Mohammed Merah. » Une manifestation soutenue par le Collectif contre l’islamophobie en France, dissous à la demande de Gérald Darmanin pour « propagande islamiste », où Marwan Muhammad, son ancien directeur, avait fait reprendre en cœur Allah Akbar par la foule, sans que cela ne choque les participants et soutiens sur place, pas plus que des étoiles jaunes portées par des enfants, mais à cinq branches…

Jean Petaux : L’antisémitisme n’a pas besoin d’éléments « objectivés » pour prospérer. Léon Poliakov (1910 – 1997) a écrit sur cette question une série d’ouvrages fondateurs. Je n’en citerai qu’un, c’est le plus connu : « Le Bréviaire de la haine. Le IIIe Reich et les Juifs », (préface de François Mauriac, Paris, Calmann-Lévy, 1951 ; dernière édition de Poche, Presses Pocket, 1993). Si les antisémites n’étaient pas des idiots minables, incultes et illettrés, ils devraient lire ce livre. C’est justement parce qu’ils sont tout cela qu’ils ne l’ont jamais lu et le liront jamais. D’autres, beaucoup plus intelligents, beaucoup plus renseignés, beaucoup plus cultivés, s’ils ne l’ont pas lu non plus (on ne va pas demander l’impossible… : humour triste et désabusé), savent parfaitement ce que c’est que l’antisémitisme, ce qu’il porte comme crimes dans l’histoire de l’humanité et comment selon la parole de Brecht dans sa pièce « La Résistible ascension d’Arturo Ui » : « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde ».

Madame Laurence Rossignol, sénatrice PS du Val-de-Marne, a réagi très dignement et courageusement aux propos d’un député LFI connu pour ses provocations et son sens du « clash ». Ce député rendait responsables de leur propre malheur les citoyennes et citoyens israéliens tués depuis samedi matin (plus de 600 selon les derniers chiffres fournis par le gouvernement israélien, dimanche soir,  une centaine pris en otage et plusieurs centaines de blessés par balle) : « Ce sont toujours les Juifs qui sont responsables de ce qui leur arrive. Cette manière d’expliquer les faits est odieuse ». Félicitations et merci Madame la Sénatrice.

Elle n’est pas inqualifiable cette « manière de dire », cette façon de considérer que les « Juifs font chier le monde entier » et que ce qui leur arrive, à épisodes réguliers de l’Histoire est dans l’ordre « naturel » des choses. Elle est qualifiable : elle est dégueulasse. Elle est sanctionnable car elle relève de l’antisémitisme qui est pénalement condamnable dans notre pays.  

Alors on voit bien que s’associent ou se rejoignent tous ceux qui nourrissent à l’égard du « Juif » une forme de ressentiment profond qui trouvent dans la haine des Israéliens l’occasion de se défouler. On se dit antisioniste pour masquer son antisémitisme. En réalité la politique actuelle de l’Etat d’Israël importe peu… Sauf pour une chose : pour eux, Nétanyahou et les partis religieux orthodoxes, les racistes d’extrême-droite qui siègent au gouvernement israélien, les suprémacistes qui n’ont rien à envier aux pires leaders du gouvernement d’apartheid sud-africain dans les années 60-70, sont une aubaine. La « politique imbécile » de Nétanyahou (je reprends les mots d’Elie Barnavi) ne peut que justifier les délires antisémites. Ce ne sont pas les Juifs en général qui sont responsables de l’attaque du Hamas, c’est bien le Hamas qui a attaqué la terre souveraine d’Israël (et pas des Territoires occupés) avec la bénédiction d’un régime théocratique de fous furieux : celui de Téhéran. Mais ce sont bien les politiciens qui soutiennent l’actuel gouvernement en place à Jérusalem qui sont responsables de la faillite sécuritaire dans laquelle se sont engouffrés les attaquants hier.

Les propos de Jean-Luc Mélenchon s’inscrivent dans une logique qui prédatent considérablement ces assauts. Faut-il y voir un problème d’ordre systémique au sein d’un certain courant de la gauche ? Comment, éventuellement, en venir à bout ?

Guylain Chevrier : On a vu progresser à la LFI une tendance à chercher à capter nos concitoyens de confession musulmane par ses prises de position en victimologie, comme sur l’abaya en s’opposant à son interdiction dans l’école. On remarquera que les croyants musulmans sont toujours pris dans ce discours comme communauté avant tout, en jouant un jeu d’assignation de ceux-ci qui convient à merveille aux propagandistes du communautarisme. Et peu importe que les juifs dans notre pays aient massivement quitté les écoles publiques et les quartiers de certaines banlieues, alors qu’ils subissent selon les chiffres annuels des actes racistes ou antisémites, le plus grand nombre de ces actes les plus violents.

Pour rompre avec cette évolution, et son versant politique, il faut une prise de conscience, qui doit amener à revenir aux fondements de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, à laquelle s’est progressivement substituée une lutte contre les discriminations qui se confond avec « la défense des minorités ». Une logique qui fait des dégâts, en allant dans le sens d’une conception qui tend à ne reconnaître les individus qu’à travers des communautés. Il en découle une revendication à des quotas aujourd’hui, logique qui tourne totalement le dos à la République et dans laquelle une certaine gauche de la gauche s’engouffre, non sans arrière-pensées électorales d’ailleurs. Mais c’est prendre la question des libertés et des droits à défendre à l’envers, dont la dimension individuelle est la seule reconnue dans nos institutions et pour cause, afin de protéger l’autonomie de l’individu, d’autant plus face à la montée des affirmations identitaires et à la volonté d’emprise des groupes de pression communautarisés. C’est ce glissement qui doit être combattu. Il faut revenir à une lutte contre le racisme et l’antisémitisme qui est celle relative à tout être humain, un individu dé-assigné, universel.

Jean Petaux : Quand on connait la culture de Jean-Luc Mélenchon, sa connaissance de l’Histoire et de ses développements, comment ne pas être sidéré par certaines de ses prises de position sur les événements du Proche-Orient ? Pour d’autres on trouvera des excuses liées à l’ignorance, la capacité analytique limitée ou d’autres « circonstances atténuantes », telles que la bêtise tout simplement. Pour le leader de La France Insoumise rien de tout cela ne vaut. Alors quoi ? Hélas, être un fidèle disciple de Lev Davidovitch Bronstein, plus connu dans l’Histoire sous le nom de Léon Trotsky, avoir été formé au militantisme dans « son école » (chez les Lambertistes de l’Organisation communiste internationale) ne vaccine pas contre le poison lent d’une forme diffuse et sournoise de méfiance ou d’opinion négative à l’égard du judaïsme et du peuple juif en général. Il n’y a rien qui peut corriger cela. Comme dit si bien Baruch Spinoza (aïe… encore un Juif, même s’il a eu de vrais soucis avec sa propre communauté…) : « Tout être tend à persévérer dans son être ». Jean-Luc Mélenchon illustre, sans doute à son corps défendant, la maxime de l’auteur de « L’Ethique ». Ouvrage qu’il devrait lire, ou plutôt relire, car l’homme, on l’a dit, est cultivé. Circonstance aggravante…

Les propos de Jean-Luc Mélenchon et, d’une façon générale, de la France Insoumise sont-ils de nature à soulever la question de l’appartenance du mouvement à l’arc républicain ? Faut-il s’attendre à une rupture de certaines des alliances observées au sein de la NUPES ? 

Guylain Chevrier : On voit combien la Nupes ne tient plus, alors que certains s'interrogent sur son avenir avec des désaccords qui se creusent et s’accumulent. Les réponses différentes données à cette attaque terroriste en sont un bel exemple, certaines mettant l'accent sur l'horreur des frappes qui touchent les Israéliens, d'autres assurant qu'une violence existe des deux côtés en renvoyant dos à dos les terroristes islamistes et l’Etat d’Israël.

Jean-Luc Mélenchon se positionne sur cette ligne, à savoir, condamner "la violence déchaînée contre Israël et à Gaza", pour dire qu’un « cessez-le-feu doit s'imposer". Mais de quoi parle-t-il ? Comme s’il en allait de discussions entre deux parties égales ? Ceci, alors qu’il s’agit d’une attaque terroriste qui continue et n’a pour but que de faire un maximum de victimes, qui vise essentiellement des civils, organise des kidnapping, des prises d’otages, d’enfants, de femmes âgées…, assassine froidement des jeunes désarmés qui étaient en train de faire la fête. C’est la barbarie ! Ce sont des fous de dieu qui sont prêts à tout, et n’ont aucune limite, qu’il faut stopper ! Loin de tout cessez le feu qui ici n’est qu’un mirage à troubler les esprits. Le groupe parlementaire de La France insoumise, dans un communiqué, notamment partagé sur X par Mathilde Panot, sa cheffe de file, ne condamne pas directement ces attaques, il souligne que l'offensive est menée "dans un contexte d'intensification de la politique d'occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem Est", pour ensuite évoquer des pensées qui « vont à toutes les victimes. » et le risque d’escalade. Là aussi, où en est-on donc à la LFI, qui dévoile de plus en plus son incapacité à partager les repères qui sont ceux de toute démocratie qui se respecte. Mieux ! Louis Boyard, député LFI du Val-de-Marne, dans son message sur X, entame un autre couplet, assurant que depuis trop longtemps la France "ferme les yeux sur la colonisation et les exactions en Palestine ". "Trop longtemps que la France renvoie dos à dos la violence de l'État israélien et celle de groupes armés palestiniens", estime-t-il.

Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste, et Fabien Roussel, le secrétaire national du Parti communiste français, ont respectivement fait part de leur condamnation "totale" et "sans réserve" de l’attaque du Hamas sur X (ex-Twitter). "Le terrorisme n'est pas la justice, il discrédite les causes qu'il prétend servir", écrit le premier. "[Ces attaques] sont inacceptables et injustifiables", souligne le second. Dans un communiqué EELV condamne "ces événements particulièrement effroyables sans aucune ambiguïté" Sur X, l'écologiste Sandrine Rousseau déplore une "attaque intolérable" avec "des civils pris pour cible". De son côté, le socialiste Jérôme Guedj sur X a affirmé : "Aux idiots utiles des terroristes du Hamas qui les exonèrent en relativisant au nom de l’impasse politique du conflit israélo-palestinien, de la poursuite de la colonisation, de Netanyahou… vous me dégoûtez. Qu’on en trouve à gauche est insupportable".

Le contexte est on ne peut plus favorable à un éclatement de la Nupes, alors que ces événements se déroulent dans un contexte où La France insoumise est laissée seule pour les élections européennes, après que le PCF, EELV, et le PS, aient chacun validé l’option d’une liste autonome pour ce scrutin.

Jean Petaux : Il n’est pas question, à mon sens, de remettre en cause l’appartenance de LFI à l’arc républicain. S’engager dans cette voie c’est sortir de la  démocratie et de la République. Constater qu’il existe une tendance historique d’une certaine gauche à pencher du côté de l’antisémitisme ne doit pas se traduire, à mon sens, par une interdiction de cette sensibilité en tant que voix politique. Tant qu’il n’y a pas d’appel à la haine il ne peut y avoir de procès politique… Encore moins juridictionnel.

Cette tradition on la connait en France : elle a fait qu’un Edouard Drumont, journaliste, polémiste, écrivain, classé à gauche au début de sa « carrière » va basculer dans l’antisémitisme le plus odieux  en publiant en 1886 « La France Juive » (énorme succès d’édition : plus de 150 fois réédité et l’un des plus gros succès de librairie de la Troisième république) puis en créant en 1892 et en dirigeant « La Libre Parole » qui va être l’organe de presse le plus anti-dreyfusard possible… En 1898, élu député d’Alger, Drumont préside même un groupe de parlementaires, le « Groupe Antisémite » (appellation « officielle » au sein de la Chambre des Députés) qui comptera 28 membres. Alors oui, on a pu être un journaliste polémiste anticapitaliste, anti-patrons, se revendiquant de la gauche républicaine et finir à l’extrême-droite. Être de gauche en France ne protège de rien…  

Le seul ciment, de la NUPES, celui qui la fait vaguement exister encore, ce sont les investitures électorales. Rien d’autre. On voit qu’elles n’auront déjà plus cours pour les prochaines élections européennes de juin 2024 où chacune des composantes de la NUPES (au grand regret de LFI)  partira sous ses propres couleurs. La question qui se pose pour le PS est la suivante : où se situe la ligne rouge entre l’intérêt purement électoral et la fidélité aux principes de Jaures et de Blum… Quant aux Verts, leurs récents démêlés avec un artiste qui s’est autoproclamé « intellectuel », suffisent à les renvoyer à leurs contradictions premières et secondaires…

Ce type de comportement n’est pas propre à la gauche française. A Berlin, certains sympathisants du Hamas ont décidé de fêter les assauts contre Israël. A quel point peut-on parler de banalisation de l’antisémitisme en Europe ? Dans quelle mesure peut-on parler d’un mouvement qui traverse toutes les extrêmes-gauches du vieux continent ?

Guylain Chevrier : On est loin d’un front uni dans les pays de l’UE face à l’antisémitisme observées dans les sociétés européennes : « l’ex-Europe de l’Est reste marquée par les préjugés traditionnels contre les juifs ; les citoyens des pays de l’Europe de l’Ouest se montrent eux plus enclins à pointer du doigt la politique d’Israël envers les Palestiniens. » Voilà ce qui ressort d’un sondage Ipsos commandé par l’Action and Protection League (APL), organisation partenaire de l’Association juive européenne (EJA) d’octobre 2021. Dans le détail, l’enquête menée pendant deux ans dans seize pays de l’Union européenne (UE), confirme la persistance de stéréotypes sur les communautés juives d’Europe, qui représentent, selon les estimations, 1,5 million de personnes.». Les auteurs de l’étude estiment que 12 % des Européens sont « fortement » antisémites et 8 % « modérément ».

On se rappelle cette campagne faisant la promotion du voile portée par le Conseil de l’Europe, qui a fait un tollé en France au point d’être retirée sous sa pression, elle a été coorganisée avec le Forum des Organisations Européennes Musulmanes de Jeunes et d’Étudiants (FEMYSO) proche des Frères musulmans. Une organisation qui bénéficie depuis les années 2000 de plusieurs dizaines de milliers d’euros de subventions de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, cette institution intergouvernementale de 47 nations européennes qui a pour tâche d’œuvrer pour la préservation des libertés individuelles, notamment via la Cour européenne des Droits de l'Homme. Une organisation qui a activé ses réseaux pour dénoncer le « racisme, plus grosse exportation » de la France. On ne peut pas dire que le soutien à ce type d’association communautariste soit la meilleure des façons de lutter contre l’influence de d’une mouvance islamiste pour laquelle le conflit israélo-palestinien est comme une boussole avec un antisémitisme viscéral. Mais on ne peut aussi que constater combien la plupart des mouvements d’extrême gauche considèrent le soutien aux Palestiniens comme inconditionnel, y compris avec beaucoup de complaisance vis-à-vis du Hamas. Le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) s’est inscrit à rebours de la classe politique en déclarant apporter « son soutien aux Palestiniens et aux moyens de lutte qu’ils ont choisis pour résister ». Il y a derrière cela une idéologie, celle qui considère qu’au nom de ce qui est jugé comme une grande cause, la fin justifie toujours les moyens (des moyens antihumanistes pour atteindre un but humaniste ?) On connaît bien devant l’histoire comment les choses se passent après.

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