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Grève des correcteurs : pourquoi la méthode employée ne doit pas détourner des inquiétudes profondes qui ont motivé le mouvement des professeurs
©FREDERICK FLORIN / AFP

En crise

Le refus de certains correcteurs de communiquer les notes du Bac ressemble davantage à un baroud d’honneur qu’à un mouvement de grève réfléchi et doté d’une stratégie. Et pour cause, beaucoup de professeurs ne peuvent tout simplement plus se permettre de mener une grève "classique".

René Chiche

René Chiche

René Chiche, journaliste depuis près de 25 ans, après avoir travaillé pour les groupes Ayache et Hachette-Filipacchi, a été rédacteur en chef et producteur délégué de magazines pour La Cinquième et France 5. Depuis quelques années, il dirige son agence de presse.

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Atlantico : La rétention des notes du baccalauréat a été jugée scandaleuse par beaucoup. La grève des notes du bac, en ce qu'elle n'exige pas d'avantages corporatistes (de type salariaux), est-elle un moyen efficace de lutter contre la réforme mise en oeuvre par Jean-Michel Blanquer ?

René Chiche : Il faut d’abord comprendre comment on en est arrivé là. L’idée de se mettre en grève au moment des examens ne date pas d’hier ni d’avant-hier. Depuis longtemps les professeurs ont cessé de suivre les appels à la grève lancés de manière répétitive et presque rituelle par des syndicats dits représentatifs, dont certains se qualifient même de « majoritaires » à l’issue (ici comme ailleurs) d’élections pour lesquelles la majorité se désintéresse pourtant. L’utilité et les buts de ces grèves font dorénavant l’objet d’un scepticisme généralisé. Les appels à se mettre en grève contre des réformes ne trouvent d’écho qu’auprès d’une minorité militante et assez bruyante tandis que la revendication salariale semble avoir été reléguée au second plan ou ne figurer dans lesdits appels que de façon très formelle.

En réalité, si les professeurs, dans leur immense majorité, ne font plus grève, ce n’est pas parce qu’ils n’ont plus de raison de le faire, bien au contraire, mais surtout parce qu’ils n’en ont plus les moyens et jugent en même temps ces actions parfaitement inutiles. Quand bien même les appellerait-on à se mettre en grève pour obtenir la ré-indexation du point d’indice, ils ne seraient pas assez stupides pour accepter de perdre une journée de leur salaire, devenu très maigre, en vue de ne même pas obtenir l’équivalent sur un an par le « dégel » de ce fameux point ! Le paradoxe est donc qu’ils ne font plus grève alors qu’ils n’ont jamais eu autant de bonnes raisons de le faire, et ce non pour obtenir quelque avantage mais bien plutôt afin de ne pas en perdre davantage, leur pouvoir d’achat s’étant déjà effondré de quelques 40% depuis les années 80, leurs salaires étant devenus de notoriété publique parmi les plus bas des pays européens, et quelques mesures récentes étant venues encore brutalement aggraver leur situation de ce point de vue, telle la suppression de la prime octroyée à ceux qui effectuaient plus de trois heures supplémentaires ou le rétablissement du jour de carence.

C’est dans un tel contexte que, depuis quelques années, a émergé l’idée que la seule grève utile serait une grève « dure », c’est-à-dire une grève non seulement reconductible mais aussi suffisamment gênante pour être prise au sérieux et devenir efficace : une grève ayant donc pour effet, et non pas pour but, de bloquer vraiment le fonctionnement de l’institution jusqu’à satisfaction de revendications légitimes et réalistes. Le syndicat Action et Démocratie-CFE-CGC a d’ailleurs mené au mois de janvier de cette année une enquête auprès de la profession qui faisait ressortir que près de 80% des quelques 86000 agents ayant répondu se déclaraient prêts à s’engager dans une telle grève, mettant largement en tête des revendications la question salariale (pour 77%). Une grève reconductible en période d’examen était donc parfaitement envisageable à deux conditions : qu’elle porte premièrement sur des revendications claires, consensuelles et en nombre limité afin qu’elles aient une chance d’être satisfaites, et qu’un préavis intersyndical le plus large possible soit déposé très en amont afin d’obtenir l’ouverture de négociations dignes de ce nom.

Ces conditions n’ont pas pu être réunies en raison du refus par tous les syndicats contactés de valider ces choix. Quelques-uns, non contents de ne pas même répondre à cette proposition, déposèrent dans leur coin des préavis de grève jusqu’en juillet sans toutefois formuler la moindre revendication ni donner la moindre explication à ce geste si ce n’est, assez hypocritement, celle consistant à « couvrir » les collègues qui se mettraient peut-être en grève, ce qui revenait soit à les conduire dans le mur en les incitant à une action dont ils ne voulaient pas eux-mêmes assumer l’échec (comme ce fut le cas), soit à se prévaloir d’être les premiers à y avoir appelé au cas où elle ait lieu et soit un succès. Ce sont pourtant à de telles conditions qu’une grève intervenant au moment des examens et portant sur des revendications corporatistes assumées, si elle avait eu lieu et avait été massivement suivie dans tous les corps de la profession(écoles, collèges et lycées, personnels enseignants ou non-enseignants) aurait eu du sens et n’eut alors affecté le déroulement des examens que par accident. Elle aurait eu du sens et surtout n’aurait pas eu, et n’avait pas en principe, forcément besoin d’être faite : j’avais en effet dès le mois de décembre brandi la menace de cette grève et l’avais alors qualifié d’ « arme atomique des professeurs ». Une telle arme n’est, comme chacun sait, qu’un moyen de dissuasion auquel on fait tout pour ne pas avoir effectivement recours. Il est fort à craindre que l’arme atomique ne se soit transformée depuis en pétard mouillé…

A bien des égards en effet, l’action entreprise et qualifiée de « rétention des notes » y ressemble, en dépit du courage dont ont fait preuve les professeurs qui s’y sont résolus, la plupart d’entre eux prenant une telle décision avec difficulté et gravité. En dépit de la vertu du désespoir dont elle est le reflet, cette action n’a rien d’une grève, quoique les acteurs de ce mouvement soient considérés comme « grévistes » du simple fait qu’ils ne communiquent pas les notes, puisqu’ils ont en réalité fait leur travail de correcteur au moins jusqu’au jour où ils devaient communiquer celles-ci. Il n’y a cependant pas eu de « grève des notes » ni de « grève du bac » car cela aurait supposé, de la part des grévistes, de ne pas corriger et par conséquent ne pas retirer non plus leurs copies.

C’est sans doute l’une des raisons qui ont conduit à juger sinon scandaleuse du moins incompréhensible cette rétention des notes, à quoi il faut ajouter qu’il s’est agi d’une initiative perçue comme très minoritaire d’une part (mais fondée sur le pari qu’une minorité était suffisante pour bloquer la totalité du déroulement de l’examen), et dont les objectifs restent également assez confus, mêlant à la façon des mauvais tracts syndicaux un refus de presque tout et une vague allusion à de meilleurs salaires. Est-ce ainsi qu’on obtient l’ouverture de négociations ? On peut en douter. Un mouvement social peut être très dur et pourtant soutenu, ou du moins compris, par la population, même lorsqu’elle en est victime, à condition qu’il soit lisible et que ses revendications, clairement exprimées, puissent être réellement satisfaites.

On ne peut pas considérer que des appels au « retrait » de la loi Blanquer, de Parcoursup et de la réforme du baccalauréat et du lycée puissent avoir la moindre chance d’être entendus et ce, nonobstant le cas de la loi qui, elle, pouvait certes être mieux amendée, parce qu’il est tout simplement impossible de « retirer » des réformes dont la mise en œuvre a déjà commencé. Qu’il soit possible, et même indispensable, de modifier certains aspects de ces réformes, cela ne fait aucun doute et il reste souhaitable que les organisations syndicales se réunissent et s’accordent sur l’exigence d’améliorationsqui sauveraient l’essentiel, telles que, par exemple : la suppression de la prise en compte des notes de l’année à hauteur de 10%, la diminution du poids démesuré de l’épreuve orale, la fixation de seuils de dédoublement pour les enseignements de spécialité mais aussi le recalibrage des divisions en tronc commun, la possibilité de conserver trois enseignements de spécialité en terminale, etc. ; tout cela est réaliste, tout cela est nécessaire, et tout cela pourrait encore être obtenu si le ministère était prêt à revoir sa très mauvaise copie au lieu de s’obstiner dans la conviction de l’excellence d’une réforme que la majorité de la profession rejette pour de très sérieuses raisons. Si, en revanche, il ne s’agit pas de vouloir vraiment obtenir des résultats mais seulement de manifester sa désapprobation ou son mécontentement, il est vrai que, sans mettre en doute la sincérité de ceux qui la pratiquent, la rétention des notes apparaît d’emblée comme un moyen particulièrement inapproprié et malvenu, ce qui à l’évidence a été considéré ainsi par la majorité des professeurs-examinateurs qui ne s’y sont pas associés, ainsi que par la plupart des directions syndicales qui les y ont pourtant incités en diffusant plusieurs fois par jour leur préavis de grève sur les réseaux sans assumer elles-mêmes le faitd’appeler explicitement à une telle rétention !

On peut donc en effet s’interroger sur la pertinence et l’opportunité d’une action dont il était très facile d’anticiper non seulement l’impopularité mais surtout l’inefficacité, et qui ressemble hélas davantage à un baroud d’honneur qu’à un mouvement de grève réfléchi et doté d’une stratégie. Mais on peut aussi considérer qu’un tel mouvement révèle la profondeur du désespoir d’une profession qui n’a plus de représentants crédibles et qui est livrée à elle-même pour sa défense, les syndicats censés y pourvoir étant soit aux abonnés absents, soit parvenus au comble de l’impuissance ou de la duplicité, selon les cas.

Malgré tout, ceux qui connaissent la profondeur et la gravité de la crise où s’est enfoncée l’éducation nationale depuis plusieurs décennies déjà, et moi le premier, ne jetteront pas la pierre aux professeurs, ni à l’immense majorité qui est résignée, ni à une minorité qui tente, assez maladroitement cependant, de résister à l’anéantissement, car c’est bien de cela qu’il s’agit en dépit du caractère un peu brutal d’une telle formulation. Un tel point de vue ne peut cependant pas être spontanément adopté par l’opinion publique, a fortiori lorsque, après avoir déjà abondamment usé du droit de grève en vain, on a recours à de telles modalités d’action dans le seul but de « se faire entendre » et sans être capable de faire passer dans les médias le début d’une revendication précise. Des syndicats responsables ne déclenchent pas des grèves ni n’encouragent d’autres formes d’« actions » pour attirer l’attention d’un ministre, car on peut espérer qu’ils ont d’autres moyens pour ce faire. Des syndicats responsables et puissants ne devraient pas dévoyer le principe de la grève en multipliant des appels pour un oui ou pour un non mais devraient utiliser la grève comme un dernier recours, ce qui suppose qu’une telle éventualité soit fortement annoncée bien en amont et surtout anticipée dans sa mise en œuvre. Rien de tel ne s’est hélas produit !

Pour le dire encore plus clairement, si la possibilité d’une grève au moment des examens avait été agitée comme une menace sérieuse et crédible (ce qu’il fallait alors s’employer à construire) et assortie de revendications précises et réalistes susceptibles d’être partagées par le plus grand nombre, nous n’en serions probablement pas là et l’opinion aurait même pu prendre fait et cause pour les acteurs d’un tel mouvement parce qu’on ne mettait alors personne devant le fait accompli. L’impopularité de la rétention des notes s’explique donc aisément non seulement parce qu’elle est le fait d’une minorité, ce qui laisse entendre, à tort ou à raison, qu’elle n’est pas légitime mais aussi parce qu’elle a été entièrement improvisée, ce qui a surpris tout le monde, syndicats compris, mais qui a surtout surpris un ministre qui s’était jusque-là fort bien accommodé des sempiternelles grèves quasi-rituelles auxquelles, durant les mois précédents, nul n’accorda la moindre importance en dehors de ceux qui y appelaient en vain leurs collègues, persistant à qualifier de succès des échecs aussi retentissants que prévisibles, y compris la très saugrenue grève de la surveillance du premier jour des épreuves dont on fit semblant de déplorer qu’elle n’eut strictement aucune conséquence tout en s’employant très souvent, sur le terrain, à ce qu’elle n’en ait effectivement aucune. La rétention des notes a surpris au contraire. Or la surprise n’est que le premier état de la peur, qui fait agir n’importe comment.

Il est évident que la gestion de cette crise par Jean-Michel Blanquer fut calamiteuse, notamment par une telle cause, et que la dernière des choses à faire, quand la panique commençait à s’emparer des rectorats et de la rue de Grenelle, était de se rendre sur un plateau de télévision pour annoncer, sans même en prendre toute la mesure, des procédures d’exception parfaitement illégales tout en dramatisant la situation. Car vouloir rassurer l’opinion et les candidats en écartant un risque que l’on évoque comme s’il était majeur, c’est occulter, délibérément ou non, que le seul désagrément susceptible d’affecter les candidats « victimes » de cette rétention des notes, à savoir un retard de quelques jours dans la publication de leur résultat, n’est rien au regard des conséquences engendrées par la décision qui a finalement été prise de saboter l’une des dernière session du baccalauréat dans sa forme actuelle, et en se payant qui plus est le luxe de mettre en œuvre l’un des principes les plus contestables de la réforme… deux ans avant son entrée en vigueur !  Pour ne rien dire des libertés prises avec la loi et le principe d’équité, qu’il est tout de même stupéfiant de voir un ministre fouler aussi tranquillement aux pieds alors qu’il devrait en être le garant !

La rétention des notes, scandale absolu ou simple pétard mouillé ? Il convient en tout cas de ne pas accorder une grande importance aux déclarations tonitruantes sur la « prise en otage », « le manque de déontologie », « la faute grave et inadmissible » et j’en passe, de tous ceux qui, sautant sur l’occasion qui leur était ainsi offerte sur un plateau, et d’ailleurs souvent eux-mêmes sur un plateau, de télévision cette fois, se sont livrés sans retenue aux surenchères convenues de la comédie de l’indignation dont ils font si souvent leurs délices quels que soient les sujets, dramatisant à leur tour inutilement une situation qui ne méritait décidément pas de l’être : cette rétention des notes, si l’on veut bien regarder les choses telles qu’elles sont, ressemblait davantage en effet à un jeu de poker qu’à une grève dure, chacun des protagonistes sachant très bien, que ce soit du côté des « grévistes » ou du côté du ministère, que sa seule conséquence notable serait, répétons-le, de retarder de quelques jours seulement la publication des résultats de l’examen, préjudice somme toute modeste et sans commune mesure avec le véritable scandale que constitue, pour le coup, le niveau réel des candidats à qui l’on délivre un examen auquel presque tous, à commencer par ceux qui le donnent très libéralement,n’accordent que peu de valeur, et dont les seuls résultats encore significatifs sont ceux qu’on trouve aux extrêmes ! Cette rétention des notes aura donc causé surtout beaucoup de bruit pour rien, et n’aura pas du tout permis, à l’instar des grèves qui l’ont précédées, de faire réellement entendre à l’opinion publique ce qu’une telle réforme a de si néfaste, le moyen utilisé pour le dire ayant semble-t-il rendu la profession encore plus inaudible auprès de cette dernière, ce qui est finalement assez désespérant.

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