Grand et Petit Remplacement : Hervé le Bras prend le virage… et grille son moteur<!-- --> | Atlantico.fr
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Le démographe, historien et enseignant-chercheur français Hervé Le Bras pose pour une séance photo à Paris, le 31 janvier 2022.
Le démographe, historien et enseignant-chercheur français Hervé Le Bras pose pour une séance photo à Paris, le 31 janvier 2022.
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Il faut choisir

Dans un ouvrage récent au titre péremptoire, le très médiatique démographe Hervé le Bras s’était escrimé à démontrer que le Grand Remplacement était un leurre. « La théorie face aux chiffres » avait résumé Nathalie Birchen dans La Croix du 7/04 en soulignant le caractère scientifique des affirmations de l’auteur. Aussi certains auditeurs de l’émission de Sud Radio du 15/06 n’en ont pas cru leurs oreilles quand ils ont entendu le même spécialiste admettre qu’il existait des « petits remplacements » en Seine Saint-Denis, à Tourcoing, à Mulhouse… qu’entre les immigrés et leurs descendants intégrés et ceux qui refusent de s’intégrer, il y avait « un ventre mou d’environ 80% de personnes… plutôt moins bien intégrées qu’avant » et que l’immigration et le prosélytisme musulman posent « un vrai et grave problème ». Le démographe adulé de la bien-pensance aurait-il tourné casaque devant le mur de la réalité ?

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch est écrivain, essayiste et universitaire français. Il a enseigné l'image politique à l'Université de Paris XII, a contribué à l'élaboration de l'histoire de la littérature de la jeunesse et de ses illustrateurs par ses ouvrages et ses expositions, et a publié plusieurs ouvrages consacrés à l'Afrique et aux aspects sociaux et économiques de l'immigration en France. Il a notamment publié La France en Afrique 1520-2020 (L'Harmattan), La tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia 2021), Le coût annuel de l'immigration (Contribuables Associés 2022).

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Retour aux chiffres : Immigrés et descendants d’immigrés : les stocks 

A l’appui de sa démonstration, Hervé Le Bras avait avancé deux affirmations :  

Aujourd’hui il y aurait en France 4,2 millions d’Africains et d’Asiatiques contre 63,8 millions de « personnes autres ». 

Chaque année, depuis 2006,  il y a 100 000 immigrés légaux de plus en France  plus peut-être 20 000 clandestins. 

Donc puisque le remplacement se joue sur une génération, « il faut examiner le nombre d’immigrés en France de première et de deuxième génération en 2050 ».   Sur ses propres bases, Hervé Le Bras décompte 10,2 millions d’immigrés, 8, 2 millions de descendants d’immigrés et 60 millions de non immigrés. Aucun risque de grand remplacement. Mieux , une partie de ces immigrés sont issus de couples mixtes. Les enfants français seraient donc à cette époque, 76,6% à être « d’origine purement non immigrés ».

Sauf que le postulat de départ est complètement faux et que ce serait faire injure à un directeur d’études de l’INED et de l’EHESS, de prétendre qu’il ne le sait pas. 

Le nombre de 4, 2 millions est en contradiction totale avec  les statistiques convergentes  de l’INSEE et de l’OFII selon lesquels ils représentaient entre  2018 et 2021  entre 10, 2% et 11% de la population française, non compris les personnes en situation irrégulière dont Hervé Le Bras fixe l’étiage dans la fourchette basse : entre 300 000 et 600 000. Ce qui signifie qu’en 2022,  la population immigrée tant légale qu’irrégulière ne peut pas être inférieure à 8 millions de personnes. 

Le dernier carré de ses  défenseurs objectera sans doute les 4,2 millions d’immigrés mentionnés  ne concernent que la population originaire d’Afrique et d’Asie. Soit 61% des stocks selon le rapport INED de 2022. 61% de 8 millions, cela fait 4,88 millions de personnes. Le compte n’y est toujours pas. Et  pourquoi en exclure des HaÏtiens, des Tchetchènes ou des Albanais ?  

Immigrés en France : les flux

Le second postulat est aussi faux que le premier. Nous  avons plusieurs fois dénoncé la manipulation de l’INSEE sur le solde migratoire qui consiste, pour démontrer que le Grand Remplacement n’existe pas,  à soustraire ceux qui partent de ceux qui arrivent alors que les populations sont totalement différentes. La véritable démarche scientifique consiste à calculer séparément le solde migratoire de l’immigration (immigrés qui arrivent moins immigrés qui repartent)  et le solde migratoire de l’expatriation (expatriés qui partent moins expatriés qui reviennent). 

Le solde migratoire annuel moyen de l’immigration calculé sur les  trois dernières années n’est pas du tout de 120 000 comme le prétend Hervé Le Bras mais d’environ 270 000 comme le montre le tableau suivant (sources OFII, INSEE, Direction des  Etrangers en France, Contribuables Associés…).

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Arrivées 

Départs ou retours

Migrants légaux

255 000

105 000

Demandeurs d’asile

125 000

40 000

Migrants non demandeurs d’asile

20 000

5 000

Mineurs Non Accompagnés

40 000

30 000

Etrangers malades

15 000

5 000

Total immigration 

455 000

185 000

Cette approche a été suffisamment médiatisée pour qu’Hervé Le Bras ne puisse l’ignorer sauf à considérer qu’il ne lit que les ouvrages qu’il écrit ou qui confortent ses analyses. 

Repentance ou Instrumentalisation  ? 

Reste que le changement de trajectoire  du démographe interroge. Les idéologues, confrontés à la réalité  utilisent généralement la fenêtre d’Overton, un concept issu de la psychologie sociale qui s’attache à montrer comment ce qui n’était pas acceptable pour l’opinion publique peut devenir  tolérable,   puis faire l’objet d’un  débat national.   C’est le cas du Grand Remplacement considéré au départ comme une théorie raciste et fallacieuse, puis, du fait de son exposition médiatique par Eric Zemmour, comme complotiste et nauséabonde, puis aujourd’hui comme objet d’analyse scientifique et critique. 

Admettre qu’il existe aujourd’hui de « petits remplacements » sur le territoire français, c’est laisser entendre que leur ruissellement peut conduire à la constitution de torrents, de rivières ou de fleuves.  De ce point de vue la démarche d’Hervé Le Bras s’inscrit dans la réaction du pouvoir politique quand la poussière est trop importante pour être camouflée sous le tapis. D’abord on déclare que c’est faux, puis on concède que c’est en partie vrai mais qu’il ne faut pas le dire pour ne pas faire le jeu des extrêmes, puis on admet que c’est exact mais que c’est secondaire par rapport aux défis du temps présent.

Hervé Le Bras a pris le risque courageux d’ouvrir la boîte de Pandore. Au grand dam des immigrationnistes abandonnés par leur gourou, de leurs adversaires sceptiques sur la sincérité de cette conversion tardive, et des thuriféraires du « politiquement correct » privés de leur rassurante caution scientifique. Encore un effort, camarade ! 



Jean-Paul Gourévitch est consultant international sur l’Afrique et les migrations et membre du comité de direction du Partenariat Eurafricain . Derniers ouvrages parus sur le sujet : la tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia novembre 2021), le coût annuel de l’immigration (Contribuables Associés avril 2022) 

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