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GPA à l'étranger : la justice sort-elle de son rôle en reconnaissant pour la première fois une adoption par le deuxième père ?
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Cour d'appel

La Cour d'appel de Paris a accordé l'adoption plénière, et non simple, au mari du père biologique de deux jumelles nées d'une GPA au Canada. Cette décision, saluée comme une "première" en France par l'avocate du couple, pourrait faire jurisprudence.

Aude  Mirkovic

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic est Maître de conférences en droit privé, et auteur de PMA-GPA, La controverse juridique aux éditions Téqui (2014).

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Atlantico : En quoi cette décision, à savoir l'adoption plénière plutôt que simple, est-elle significative? 

Aude Mirkovic : L’adoption plénière est l’adoption au sens propre du terme : l’enfant adopté est assimilé à un enfant par le sang, et la famille adoptive remplace définitivement la famille d’origine. Au contraire, l’adoption simple laisse subsister le lien de filiation d’origine, et lui ajoute un second lien, le lien adoptif. Les conséquences de l’adoption plénière sont ainsi beaucoup plus radicales. 
La Cour de cassation avait déjà accepté, dans une décision du 5 juillet 2017, que le conjoint du père adopte, de façon simple, l’enfant issu de la GPA : concrètement, la filiation à l’égard de la mère porteuse n’était pas effacée et le nouveau lien de filiation à l’égard du second homme se surajoutait. 
La Cour d’appel de Paris, ainsi que le tribunal de grande instance d’Evry, avaient ensuite rejeté des demandes d’adoption plénière mais la Cour d’appel de Paris vient visiblement de céder. 
Certes, l’adoption plénière est plus radicale dans ses effets que l’adoption simple mais, dans tous les cas, le problème est le même : l’adoption n’a pas pour but de priver les enfants de leurs parents, elle a pour but de réparer la privation subie par certains d’entre eux en raison des aléas et malheurs de la vie. Au contraire, la GPA organise la mise à l’écart de la mère, sur fond d’éclatement de la notion de mère puisque plusieurs femmes peuvent être impliquées dans le processus de maternité, bref, la GPA organise la privation de mère pour que l’enfant n’ait qu’un seul parent, ici le père, et soit ainsi rendu délibérément adoptable. 
Ce que l’adoption répare, la GPA le provoque. Elle provoque une situation d’abandon de manière à ce que l’enfant soit disponible pour satisfaire le projet des clients : s’agissant ici de deux hommes, leur projet n’inclut aucune femme et ils privent donc l’enfant de mère, pour le faire correspondre à leur désir. 
Dans ces conditions, on comprend que l’adoption est ici dévoyée, qu’elle soit simple ou plénière. La Cour de cassation l’a d’ailleurs longtemps dit, pour refuser les adoptions simples comme plénières : susciter une situation d’abandon pour rendre un enfant adoptable constitue un détournement de l’adoption. Il est certes encore plus grave que la mère soit carrément effacée, ce que fait l’adoption plénière, mais elle est également effacée en cas d’adoption simple, en fait sinon en droit : quand bien même elle demeurerait inscrite sur l’acte de naissance, elle a vocation à disparaître de la vie de l’enfant. Effacer la mère, c’est le but et le principe de la GPA. 
La Cour d’appel de Paris fait comme la Cour de cassation : elle ne regarde que la situation actuelle de l’enfant, élevé par deux hommes, sans tenir compte de la manière dont cet enfant a été obtenu. Si un étudiant traitait ainsi ce cas, on lui indiquerait, en rouge, dans la marge : « Vous oubliez la GPA : relisez l’énoncé ! ». Désormais, vous pouvez vous procurer un enfant de n’importe quelle manière : du moment qu’à l’arrivée vous vous occupez bien de lui, la justice prononcera l’adoption sans s’intéresser à l’origine de l’enfant. Les trafics d’enfants les plus divers ont de beaux jours devant eux. 

Est-ce le rôle de la Cour d'Appel de statuer sur ce point ? N'est-ce pas plutôt celui du législateur ? 

Dans un Etat de droit, il y a la séparation des pouvoirs, et les juges sont chargés d’appliquer la loi, non de la faire. En matière de GPA, les juges ignorent totalement la prohibition légale de la GPA mais, aussi, les principes fondamentaux du droit qui sont bafoués par cette pratique : la dignité humaine qui interdit de faire d’un être humain l’objet d’une transaction (cela s’appelle la traite des êtres humains, cette fois-ci en rose bonbon mais cela reste de la traite), la non marchandisation et l’indisponibilité du corps : non seulement son propre corps mais bien entendu celui d’autrui, et les contractants disposent du corps de l’enfant dans la GPA, le plus souvent de façon marchande. 
Si la société française veut légaliser la GPA, ce sera une régression de la civilisation pour revenir à des pratiques qu’on croyait éradiquées de commerce des êtres humains. Mais enfin, si la société française veut vraiment revenir à l’esclavage, en effet ce n’est pas de la compétence des juges. 

Quel impact cela risque-t-il d'avoir pour le futur ?

Ce n’est jamais qu’un arrêt de plus qui entérine la démission généralisée des juges de leur rôle de protéger les femmes et les enfants contre la maltraitance que suppose pour eux le passage par la GPA. Cela fait déjà quelque temps qu’il est clair qu’il n’y a pas grand chose à attendre de la justice française. D’ailleurs, que chacun s’interroge : au moment d’intenter un procès, a-t-il confiance dans la justice ? Des décisions comme celles de la Cour d’appel de Paris, qui ferment les yeux sur la violation des droits des enfants, comme si de rien n’était, relèvent du déni de justice. Un jour ou l’autre, ces enfants demanderont des comptes et des responsabilités seront engagées, comme on l’a vu plusieurs fois au cours de l’histoire. En attendant, il faut bien reconnaitre que, une fois la GPA réalisée, il n’y a aucune bonne solution. Les bricolages lamentables auxquels nous assistons décision après décision le montrent. Si on veut protéger efficacement les enfants de subir la GPA, ce sont des mesures dissuasives qu’il faut adopter, et commencer par appliquer celles qui existent. Par exemple, des sociétés américaines de GPA viennent en France proposer des GPA aux Français. C’est un délit pénal, le délit d’entremise en vue de la GPA. Le dossier est accablant et les sociétés plaident coupables : elles se vantent de ce qui leur est reproché, c’est leur fond de commerce et, pourtant, elles agissent en toute impunité et ne sont pas poursuivies : il a fallu des plaintes déposées par notre association Juristes pour l’enfance pour faire le travail des procureurs, et ces plaintes ont été classées sans suite ! Le droit n’est qu’un moyen, et il manque la volonté de lutter contre la GPA. A chacun de solliciter son député en ce sens, si on veut faire bouger les choses. Mais pas question de se résigner : si nous nous permettons de porter des jugements parfois très sévères sur telle ou telle époque qui a toléré, dans l’indifférence, la violation des droits des uns ou des autres, ce n’est pas pour baisser les bras lorsque le droit français revient petit à petit à la traite des êtres humains.

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