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Gerard Manley Hopkins, le pari du mystère contre l’horreur
©CC

Vent d'ailleurs

Les Editions du Cerf mettent à l’honneur une nouvelle traduction de Gerard Manley Hopkins.

Pauline de Préval

Pauline de Préval

Pauline de Préval est journaliste et réalisatrice. Auteure en janvier 2012 de Jeanne d’Arc, la sainteté casquée, aux éditions du Seuil, elle a publié en septembre 2015 Une saison au Thoronet, carnets spirituels.

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Faut-il y voir un signe des temps ? Et, pourtant, quoi de plus éloigné de nous, en apparence, surtout en ce début de XXIe siècle ! Songez-y, il s’agit d’un poète anglais né la même année que Verlaine (1844) et décédé l’année où Oscar Wilde terminait Le Portrait de Dorian Gray (1889). Il faut aussitôt ajouter pour comble d’anachronisme qu’il était prêtre ! Oui, et prêtre catholique, ce qui dans une île comme l’Angleterre revient à être une île dans une île, la plus tragique des situations que vivra à son tour G.K. Chesterton. Un prêtre catholique ? Que dis-je ? Un jésuite. Dès lors, on ne peut pas penser à notre actualité : Hopkins pourrait-il préfigurer le pape François, le premier pape issu de la compagnie de Jésus ? On en discute. Le saint père s’en réclame d’ailleurs à l’occasion. Mais son actualité est encore toute autre. Il était impossible de ne pas penser à lui lorsque nous avons vu les flammes de l’incendie du 15 avril, qui ont défiguré en partie Notre-Dame de Paris.

En effet, la question de la catastrophe et du salut est au cœur de la pensée et l’œuvre de Hopkins. Celle-ci débute par un grand poème, peut-être impossible à traduire, mais merveilleusement rendu par Bruno Gaurier, le savant traducteur, tant il sollicite le plus pur génie musical anglais, j’ai cité « Le Naufrage du Deutschland ».  L’histoire de ce poème aux allures de mer emportée est bien connue : en 1875, 157 personnes, fuyant les persécutions contre les catholiques en Allemagne, ont péri en mer. Parmi elles, cinq religieuses franciscaines. Comment comprendre ce désastre ? Hopkins lance son verbe au plus haut pour recréer l’impression tourbillonnante d’une tempête, décrire le péril, raconter la catastrophe et interroger son sens. Tout n’est-il donc qu’horreur, absurdité et néant ? Ou tout contient-il, au contraire, une part inaliénable de mystère ? De foi possible, malgré tout ?  Hopkins fait le pari de mystère contre l’horreur :

Je te louange, O maître des marées,

De l’antique déluge, de la chute de l’an ;

Contenance et recouvrance au bord des abysses,

Son enceinte et son môle et sa digue ;

Tu étanches et apaises  un océan à l’humeur capricieuse ;

Tu fondes l’être, toi son granit ; hors de toute

Portée, Dieu, tu trône voilé par

La mort en souverain qui veille et ne se voit, s’annonce mais sursoit.

Cette musique étrange, cette foi résolue résonnent à notre oreille, en ce qu’elles sont un défi aux lâchetés, à un appel au sursaut, une ouverture à l’infini. Hopkins écrit par ailleurs : « Pour nous, catholiques, mystère signifie une incompréhensible certitude. Sans certitude, sans formulation, il n’y a pas d’intérêt. Plus la formulation est claire, plus l’intérêt grandit. En fin de compte, la source de l’intérêt est la même dans les deux cas, chez vous, comme chez nous : c’est l’inconnu, cette réserve de vérité au-delà de ce que l’esprit atteint, et dont on devine la présence. Mais l’intérêt qu’éprouve le catholique est, si je puis dire, d’une beauté rare. » Curieuse destinée, en tout cas, que celle de ce prêtre qui exerça son ministère au milieu de la misère de Liverpool puis de Glasgow, puis en tant que professeur de grec à Dublin en 1884. Maurice Blanchot l’avait compris qui écrivait dans la NRF en 1958 : « Comme il est étrange que les plus grandes gloires littéraires de notre temps soient nées d'œuvres entièrement posthumes : Kafka, Simone Weil, Hopkins, ou partiellement comme Hölderlin, Rimbaud, Lautréamont, Trakl, et en un sens plus cruel Nietzsche. »

Parmi ces poèmes admirables, aussi puissants que ceux Shakespeare, des poèmes à lire en bilingue, où on entend le souffle du génie passer à chaque vers, il en est un qui est admirable entre tous, son Ode l’Orphée britannique, Henry Purcell :

Oh ! que son souffle angélique m’élève, m’apaise ! Aurais-je seulement

Regard sur ses bienfaits, sur ses sidérations étranges, sur le soyeux plumage au creux

Des ailes : tel un pétrel des tempêtes, eût-il couru son temps

Sur la grève tonnerre pourpre aux plumes pourpres du tonnerre

Qu’en tornade ses rémiges-pure-neige libèrent alentour un colossal sourire.

Philippe Jaccottet, qui a su louer chez l’auteur « un mouvement de l’âme vers la perfection », a écrit : « Hopkins fut emporté par la typhoïde à l’âge de quarante-cinq ans. Ses poèmes furent publiés pour la première fois par Robert Bridges, un de ses rares amis, en 1918 seulement. Depuis lors, ils ont pris une importance considérable dans les pays anglo-saxons. » A nous de faire fête à cet homme qui laisse un signe de joie.

Gerard Manley Hopkins, Poèmes, 400 pages - févr. 2019 - 25,00€

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