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Génération Erasmus : 30 ans après la création du programme, un bien mince bilan pour l’Europe
©Reuters Pictures

L'auberge espagnole

Après 30 ans d'échanges avec le programme Erasmus, les étudiants français n'ont pas tous cultivé cette identité européenne voulue. Les jeunes d'aujourd'hui bien loin des promesses de mondialisation se tournent de plus en plus vers l'euroscepticisme.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

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Atlantico : Le plan Erasmus célèbre aujourd’hui son anniversaire. Adopté en 1987, le programme vise à faciliter les échanges d'étudiants et d'enseignants entre les différentes universités européennes. 30 ans après, dans quelle mesure le projet qui consistait à créer une génération de jeunes européens, animés par un destin et une identité commune a-t-il atteint son objectif ? Quel bilan pourrait-on faire de cette mission ?

Jean-Paul Brighelli : Vous rappelez-vous ? "Vos filles et vos fils vont, la main dans la main / Faire l'amour ensemble et l'Europ' de demain" C'était une chanson de Brassens, écrite dans les années 1960, et intitulée "les Deux oncles". C'était l'époque où De Gaulle et Adenauer faisaient de leur mieux pour étouffer nos querelles d'Allemands… Puis on a eu droit à Mitterrand et Kohl, la main dans la main comme dans la chanson… Nous voici aux années 1980 — l'Europe, l'Europe, l'Europe ! Erasmus donc.

Trente ans plus tard, le terrorisme s'est invité grâce à Schengen — non pas il y a deux ans à Charlie, mais dès les années 1980-1990, rappelez-vous l'attentat du RER B le 25 juillet 1995. Puis l'euro s'est imposé, dans la foulée de la réunification de l'Allemagne — et il a été mis en place (symboliquement sa valeur a été calculée sur deux deutsche marks) afin d'aider les Allemands à payer le prix de la réunification. Et ce prix, les Allemands l'ont fait payer — et continuent à le faire payer — au reste de l'Europe. Ce qui semblait un projet quasi humaniste s'est révélé être une machine à faire du fric, dans le cadre du capitalisme financier. Le facteur humain, là-dedans… Erasme était un intellectuel merveilleusement cultivé. Erasmus, c'est… l'auberge espagnole du tourisme étudiant.

Ouverture sur le monde, libéralisme économique... Comment décririez-vous justement ce destin et cette identité commune ? Voies professionnelles, technologiques ou générales : tous les jeunes européens ont-ils pu profiter de ce programme ?

Ce que je vois, c'est le délitement des systèmes scolaires, accentué par le Protocole de Lisbonne en 2000 et le passage de la transmission des savoirs, qui gérait l'école depuis 2000 ans, à l'évaluation des "compétences"… le surgissement du globbish, destiné à remplacer les langues nationales — ce dont témoigne le mépris de l'Elysée et de la rue de Grenelle pour l"orthographe, la syntaxe, et tout ce qui est culture : rappelez-vous Fleur Pellerin incapable de citer une œuvre de Patrick Modiano, prix Nobel de littérature, en 2014… Je vois la dévaluation des diplômes, parce que l'Europe de la finance n'a pas besoin de jeunes cultivés — juste de machines obéissantes, contentes de décrocher un CDD mal payé, et consommatrices de gadgets électroniques coûteux.

L'ouverture sur le monde, c'est la mondialisation, l'exploitation tous azimuts, la consommation de produits à obsolescence programmée, et la dissolution du lien national dans une mosaïque des "communautés" qui se regardent en chiens de faïence en attendant d'en venir aux mains. Regardez les Juifs : intégrés depuis Napoléon, contents d'avoir survécu à l'Holocauste, et sommés à nouveau de prendre des cours de krav maga ou de se résoudre à une nouvelle aliyah. 

Pour ce qui est de la France, on note une surreprésentation du vote des jeunes chez les électeurs de formations eurosceptiques, comme Marine Le Pen ou encore Jean-Luc Mélenchon. Comment analysez-vous cette remise en cause de cette identité d'ouverture ?

J'espère bien que les jeunes ont compris — mais j'en doute parfois. J'espère qu'ils ont compris ce que l'Europe est en train de leur faire — et sans lubrifiant. J'espère qu'ils ont compris que les partis traditionnels, sauf aggiornamento improbable, sont les affidés de Bruxelles. Qu'ils ont compris que la dette que l'on fait peser sur leurs épaules est une fiction — et qu'il est temps de s'en affranchir, le plus vite possible, d'autant que tout le monde sait que nous ne la rembourserons jamais — ni nous, ni les autres. J'espère, mais j'en doute : ils sont tellement la tête dans le guidon, obsédés par la nécessité de trouver un job, qu'ils sont prêts à voter pour le premier parti qui se prononcera, comme en Finlande, pour le revenu universel — la dernière invention du néo-libéralisme pour les mettre à jamais en dépendance. Oui, les jeunes sont en pleine servitude volontaire — en pleine barbarie douce — en plein fascisme rose. Et pendant ce temps, les barbares lorgnent vers l'Europe, et attaquent çà et là pour tester nos défenses immunitaires : mais l'europe est, à mon sens, une maladie auto-immune dont nous allons crever, sauf sursaut des nations.

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