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G20 : des avantages et des inconvénients de la méthode Trump
©Brendan Smialowski / AFP

Diplomatie

Lors du G20 et comme à son habitude, Donald Trump a fait usage d'une rhétorique diplomatique plutôt violente, notamment sur les questions économiques. Il a par exemple déclaré sur Twitter avoir "hâte de parler avec le Premier ministre Modi des droits de douanes très élevés que l'Inde impose depuis des années" et a demandé qu'ils soient retirés.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico.fr : Peut-on dire que Donald Trump dit tout haut ce que le système américain pensait tout bas depuis longtemps sur les questions commerciales ?

Jean-Marc Siroën : Ce n’est pas depuis des années que l’Inde impose des droits de douane, c’est depuis son indépendance et elle les a plutôt baissés depuis une trentaine d’année même si c’est le pays qui  fait le plus usage de droits anti-dumping juste avant … les États-Unis.
Le protectionnisme est une constante dans l’histoire économique américaine. Le libre-échangisme institutionnalisé après la seconde guerre mondiale par les Présidents démocrates -Roosevelt et Truman- peut ainsi apparaître comme un accident de l’histoire ; à l’époque ils pensaient que leur excédent commercial perdurerait tant le Monde avait besoin de leurs produits qu’ils soient agricoles ou industriels. Les guerres commerciales d’après-guerre n’ont donc pas commencé avec Trump mais avec l’apparition des déficits américains dans les années 1960 avec le durcissement des lois commerciales et des sanctions tarifaires prises à l’encontre de pays comme le  Japon ou l’Europe. 
Trump a ainsi repris la rhétorique utilisée autrefois, notamment sous Ronald Reagan, pour dénoncer les pratiques commerciales des pays qui leur taillaient des croupières sur les marchés internationaux. Les reproches faits aujourd’hui à la Chine sont quasiment les mêmes que ceux faits trente ans plus tôt au Japon. Il existe donc bien une certaine continuité.
Pour autant, on ne peut pas considérer que Trump inscrit ses pas dans ceux de ses prédécesseurs en se contentant seulement d’accélérer le rythme. En effet, jusqu’à Trump l’exécutif avait modéré les ardeurs d’un Congrès d’autant plus sensible aux sirènes protectionnistes que les démocrates, jusque-là libre-échangistes cédaient plus facilement aux pressions des syndicats qui ne l’étaient plus (et qui approuvent aujourd’hui les mesures commerciales prises par Trump). Maintenant, c’est au contraire l’exécutif qui prend l’initiative ;le Congrès est devenu un simple spectateur alors même que la Constitution lui donne tous les pouvoirs en ce domaine.
Ensuite, les Présidents successifs avaient toujours à peu près respecté le cadre multilatéral incarné par le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) mis en place en 1947 et l’OMC à partir de 1995. Malgré leurs réticences, ils avaient joué le jeu d’une procédure de règlement des différends qui leur donnait parfois raison, parfois tort. Le Président n’est plus sur cette ligne. Il n’hésite pas à réinterpréter à sa façon les règles de l’OMC -notamment sur les exceptions relatives à la sécurité-. Il pourrait bientôt bloquer la procédure de règlement des différends en empêchant la nomination de ses juges d’appel. 
Enfin, les administrations précédentes affichaient une stratégie relativement claire pour retrouver un certain leadership. Elle avait été « sublimée » sous la Présidence Obama : signer des vastes accords commerciaux « bilatéraux » ou « inter-régionaux » avec les principaux partenaires et ainsi universaliser de nouvelles règles du jeu couvrant une multitude de domaines (investissements, propriété intellectuelle, marchés publics, droit du travail, etc…) qui couvriraient une telle part du commerce mondial qu’elles s’universaliseraient et s’imposeraient de facto aux pays réfractaires au premier rang desquels, la Chine. Cette stratégie, certes un peu bancale avait un temps séduit l’Europe ou les pays du Pacifique. Elle a été abandonnée par Trump.

Antoine Brunet : Je cois surtout que lorsque Hillary Clinton fut battue par Donald Trump, le Pentagone et les milieux américains de la Défense ont alors aperçu que s'ouvrait enfin la possibilité d'une contre-offensive géopolitique des Etats Unis face à la stratégie conquérante de plus en plus intense que menait Pékin depuis 2001 et plus particulièrement encore depuis la crise de 2008. L'analyse que porte le conseiller commercial le plus influent de Trump, Peter Navarro, est totalement pertinente : c'est la prospérité économique d'un grand pays qui induit sa puissance géopolitique : depuis son entrée à l'OMC fin 2001, les excédents commerciaux cumulés de la Chine s'élèvent à environ 4.500 milliards de dollars si l'on accepte la statistique émise par la Chine et le double, soit environ 9.000 milliards de dollars, si on prend en compte que le FMI, qui, chaque année entre 2001 et 2008, recalculait indirectement l'excédent commercial de la Chine, aboutissait à un chiffre environ deux fois supérieur à celui affiché par la Chine. Lorsqu'un pays comme la Chine dispose de tels flux accumulés de dollars, il le fait fructifier en termes de puissance géopolitique. Si la Chine a surpris par sa capacité d'innovation technologique, si elle a surpris en mettant au point des missiles hypersoniques, si elle a surpris par l'efficacité de ses détestables initiatives de hacking, si elle a surpris en militarisant brusquement des ilots inhabités (et à peine émergés) de la Mer de Chine du sud en bases aéronavales, si elle a surpris en annonçant des financements géants pour les pays qui s'inscrivent dans les routes de la soie, si elle a surpris en achetant partout de l'influence diplomatique et en se procurant à l'étranger un réseau  des ports à des fins commerciales ou militaires (Djibouti), c'est parce qu'elle disposait de cet énorme flux renouvelé de dollars. Peter Navarro n'éprouve probablement aucune difficulté à convaincre le Pentagone et Trump  quand il propose que les Etats Unis s'assignent désormais de tarir le plus possible ce flux de dollars qui vient irriguer Pékin et le Parti Communiste Chinois jusqu'à leur permettre de s'emparer de l'hégémonie mondiale.

L'objectif que propose Peter Navarro est à la fois très justifié et très ambitieux. Pour l'atteindre, cela supposait de rompre le train-train du commerce mondial canalisé par l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Il fallait que les Etats Unis  commencent par "renverser la table de jeu". La stratégie intelligente que porte Navarro nécessitait un changement brutal de comportement de Washington face à Pékin et à l'OMC. C'est ce dont s'est jusqu'ici fort bien acquitté Trump en se permettant, à la surprise générale, d'imposer des tarifs douaniers sur les produits made in China, en contravention totale avec les règles de l'OMC. 

Quels sont les avantages de cette méthode diplomatique directe pour les négociations commerciales ? En quoi est-ce aussi utile globalement, en permettant aux autres pays de sortir d'une forme de léthargie ?

Jean-Marc Siroën : De quelle léthargie parle-t-on ? Le Traité de Paris qu’il ne faudrait certes pas mythifier ne relevait pas de léthargie. L’accord de Vienne sur le nucléaire iranien qui avait permis de réunir les 5 membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (et l’Allemagne) n’en était pas non plus. Dans les deux cas, c’est Donald Trump qui s’est retiré…
Car son objectif de Trump estde s’affranchir du cadre multilatéral mis en place par ses lointains prédécesseurs démocrates, Roosevelt et Truman. Il a une stratégie offensive avec des méthodes plutôt brutales qui établissent les rapports de force. Il l’associe à une tactique, la négociation qui, dans sa vision, ne peut-être que gagnant-perdant. On peut même se demander si le plus grand plaisir du businessman Trump, auteur du best seller « The Art of the Deal »,n’est pas la mise en pratique de son talent (supposé) de négociateur ! Il joue, mais dangereusement.
Certes, Donald Trump met le doigt sur certaines questions qui méritent d’être posées. Mais les réponses qu’il tente d’imposer, avec un succès pour l’instant relativement limité, ne visent qu’à satisfaire les intérêts américains ou à affaiblir les concurrents étrangers. 
Tous les pays sont visés ou susceptibles de l’être, même les alliés et des pays aussi proches que le Canada et le Mexique. Pour Donald Trump, son pays n’avait pas suffisamment tiré parti de son hégémonie économique, financière, diplomatique et militaire pour obtenir plus. Le concept internationaliste et plutôt démocrate de « leadership bienveillant » lui est inconnu car la bienveillance a un coût dont il ne perçoit pas la contrepartie, réelle pourtant (la suprématie du dollar entre autres…). Dès lors, on voit assez mal comment la politique de Donald Trump pourrait être utile à d’autres qu’aux États-Unis. Certes, on peut trouver une certaine convergence d’intérêt entre, par exemple, les États-Unis et l’Union Européenne sur certaines pratiques chinoises dénoncées par les deux parties mais jusqu’à maintenant aucune action conjointe n’a été menée. L’alliance ou la coalition ne figure pas dans la boîte à outil du Président. 
Alors oui, on peut rêver d’une Europe qui se résoudrait enfin à prendre davantage en main son destin. Mais on n’en est pas tout à fait là.

Antoine Brunet : Au passage, l'offensive de Trump et la réaction du Parti Communiste Chinois sont l'occasion de trois démonstrations : 

(1) La Chine démontre qu'elle est résolument anti-coopérative et qu'elle entend le demeurer indéfiniment ; elle refuse de reconnaître et de prendre en compte que ses énormes excédents renouvelés posent problème à la plupart des autres pays qui se voient indirectement condamnés à des déficits commerciaux récurrents ; elle prétend avoir  toute légitimité à renouveler des excédents commerciaux colossaux sans aucun égard pour les autres pays ; en réalité, renoncer à ces excédents commerciaux colossaux est inacceptable pour Pékin parce que ce serait renoncer à sa stratégie de conquête du monde qui est précisément basée sur le renouvellement d'excédents colossaux (voir ci-dessus). 

(2) Le fait que les tarifs douaniers de Trump sur le made in China ne mordent que très peu sur l'excédent commercial chinois démontre aussi l'énorme sur-compétitivité salariale ouvrière que s'est construite la Chine. Pour une part, cela renvoie à la sous-évaluation éhontée du yuan que  Pékin maintient depuis 25 ans avec la passivité complice du FMI et de l'OMC : le dollar/yuan est maintenu par Pékin autour de 6,90 quand les services économiques du FMI estiment qu'il devrait se situer à 3,51. Le yuan vaut donc deux fois moins que ce qu'il devrait valoir. Pour l'autre part, la sur-compétitivité salariale renvoie au fait que les ouvriers qui travaillent pour l'industrie exportatrice chinoise sont pour la plupart des mingong, c'est-à-dire des ouvriers sans papier et sans aucun droit qui peuvent à tout moment être renvoyés par leur employeur dans leur province intérieure d'origine où l'emploi y est très rare. Les 240 millions de mingong (ouvriers et ouvrières) sont de ce fait condamnés à des rémunérations extrêmement inférieures à celle des salariés urbains chinois (fonctionnaires, employés, personnel hospitalier...) En terme de pouvoir d'achat, une heure d'ouvrier mingong chinois coûte environ 10 fois moins à son employeur qu'une heure d'ouvrier américain à son employeur. Au total, en dollar, du fait de la sous-évaluation évoquée du yuan, l'heure de travail de l'ouvrier chinois coûte 20 fois moins que l'heure de travail de l'ouvrier américain.

(3) Troisième démonstration : Seule l'abolition de la fonction punitive de l'OMC permettrait de mettre fin à ces insupportables excédents commerciaux renouvelés de la Chine. Nous pensons que, dans la dynamique d'affrontement commercial que Trump a amorcée et qui reçoit maintenant le plein assentiment du Parti Démocrate, il faudra en arriver à interrompre le fonctionnement punitif de l'OMC ou, à tout le moins, à mettre hors jeu son instance punitive, the Appellate Body, cette instance judiciaire composée normalement de sept juges indépendants qui vient systématiquement sanctionner, lourdement et sans délai, tout pays qui tente de recourir à des protections douanières contre un autre. D'ores et déjà d'ailleurs cet Appellate Body ne compte plus que trois juges en exercice au lieu des sept prévus. Deux de ces trois juges voient leur mandat de 4 ans expirer à leur tour en décembre 2019. Si les candidats au remplacement sont à leur tour écartés, il ne restera début 2020 qu'un seul juge en exercice au sein de cet Appellate Body quand les règles de l'OMC exigent qu'il faut au moins trois juges pour prononcer des sanctions. L'Appellate Body, l'instance punitive de l'OMC, vit donc sans doute ses derniers mois, ce qui devrait enfin permettre à nombre de pays de retrouver leur pleine capacité à se protéger de la concurrence déloyale de la Chine. Si l'Appellate Body finit par être définitivement paralysée, la capacité punitive de l'OMC disparaîtra, les Etats Unis mais aussi tous les autres pays  qui sont confrontés à la concurrence déloyale de Pékin retrouveront leur capacité à imposer des droits de douane sur le made in China et même aussi à instituer des restrictions quantitatives sur le made in China, ce qui est encore plus efficace.

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